Les diverses manières avec lesquelles Israël fait la guerre contre l’Iran
De combien de manières Israël peut-il faire la guerre contre l’Iran avant que les médias ne rapportent qu’Israël en fait mène une guerre contre l’Iran ?
Par Ted Snider, 9 juillet 2020
Israël vient tout juste de bombarder l’Iran. Et personne ne l’a remarqué.
Le 2 juillet 2020, deux explosions ont eu lieu en Iran et toutes deux semblent avoir été provoquées par Israël. Aucune des deux n’a réellement secoué l’information et ce qu’on a pu en dire reste peu consistant et très vague.
Le premier reportage est sorti l’après-midi du 3 juillet. The Jerusalem Post a repris un compte rendu publié dans le journal koweïtien Al-Jarida, disant qu’un incendie avait éclaté sur un site civil iranien d’enrichissement de l’uranium, Natanz. Le reportage koweïtien dit qu’une source importante restée anonyme a fait savoir que l’incendie avait été provoqué par une cyberattaque israélienne. Les journalistes suggéraient que l’Iran aurait besoin de deux mois environ pour faire disparaître les effets de l’attaque. Depuis, des responsables iraniens ont confirmé que, bien qu’aucune des centrifugeuses souterraines n’ait été endommagée, les dégâts en surface étaient très importants et que leur programme de centrifugation avait été substantiellement retardé.
La seconde attaque a eu lieu près de Parchin, contre un site dont on prétend qu’il sert à la production de missiles. Citant le même journal koweïtien, The Times of Israel a attribué l’explosion de Parchin à des missiles largués par des avions de combat furtifs F-35 d’Israël.
L’incident de Parchin n’a guère attiré plus d’attention et n’a fait l’objet d’aucun développement depuis, mais l’affaire de Natanz, elle, a évolué de façon assez confuse. Bien que des responsables iraniens non nommés aient à première vue semblé favoriser la théorie d’une cyberattaque, certains experts ont proposé une autre théorie, disant que l’explosion de Natanz n’était pas une cyberattaque, mais bien une attaque physique plus audacieuse.
Dans un rare article de style conventionnel, The New York Times semble confirmer la théorie de l’attaque physique. S’appuyant sur « un responsable des renseignements sur le Moyen-Orient au courant de l’affaire », le journal déclare que le complexe nucléaire de Natanz n’a pas été frappé par une cyberattaque, comme on l’avait prétendu précédemment, mais par une « bombe puissante ». Le fonctionnaire des renseignements a ajouté que « Israël était responsable de l’attaque ». Le rapport du New York Times soutient cette source en ajoutant qu’un
« membre du Corps des Gardiens islamiques de la Révolution, qui avait été briefé à ce sujet, avait également déclaré que c’était un explosif qui avait été utilisé ».
Selon la source des Gardiens de la Révolution, il est probable que quelqu’un avait apporté la bombe dans le bâtiment.
Ces deux attaques semblent ajouter le largage de missiles par voie aérienne ainsi que le transport de bombes au sol par des humains au palmarès israélien des actes de guerre contre l’Iran. Et ce palmarès est passablement long.
Les cyberattaques
Bien que, cette fois, ce ne soit pas par une cyberattaque qu’Israël a frappé le site de Natanz, il a déjà recouru lourdement au procédé dans le passé. Lors de la précédente opération, Israël s’était acoquiné avec les Etats-Unis : L’unité militaire secrète d’Israël 8200 avait travaillé de concert avec la CIA et la NSA américaines.
Quand un virus massif appelé Flame fut injecté dans les ordinateurs iraniens, il répertoria et contrôla le système de ces mêmes ordinateurs et renvoya des renseignements qui étaient utilisés pour préparer les campagnes de guerre cybernétique contre l’Iran. Des officiels ont confirmé que Flame était une composante d’un projet commun de la CIA, la NSA et l’unité 8200.
L’une des guerres cybernétiques dont Flame a préparé la voie n’est autre que le Stuxnet aujourd’hui bien connu. Le Stuxnet est un virus informatique qui a infecté les centrifugeuses de l’Iran et les a fait tourner follement, hors de tout contrôle avant de refaire passer les bandes, enregistrées avant cela, des opérations normales que les opérateurs de la centrale ont donc regardées sans les soupçonner, alors que les centrifugeuses tournaient de plus en plus vite jusqu’au moment où elles se sont littéralement arrachées de leur axe de rotation. The New York Times dit que, selon des experts des renseignements et autres experts militaires, le complexe nucléaire de Dimona en Israël a été le terrain d’essai du virus. Il existe à Dimona des centrifugeuses nucléaires qui sont virtuellement identiques à celles de l’Iran, ce qui fait qu’elles constituent un modèle parfait pour tester l’efficacité du virus. Il semblerait que Stuxnet ait mis hors course environ 20 pour 100 des centrifugeuses nucléaires de l’Iran.
Ainsi donc, cela intègre les attaques par missiles, les attaques par bombes et les cyberattaques au palmarès israélien des actes de guerre contre l’Iran. Et cette cyberattaque était un acte de guerre. Une étude de l’Otan a admis que le recours à Stuxnet pouvait être qualifié d’« action de force illégale ». Selon Stephen Cohen, après que les Etats-Unis avaient accusé la Russie d’avoir piraté des ordinateurs, l’Otan avait sorti une déclaration disant que
« hacker un Etat membre pouvait désormais être considéré comme une entrée en guerre contre la totalité de l’alliance militaire et que cela requérait des représailles militaires ».
Assassinats
Mais ce palmarès est loin d’être exhaustif. Il comprend également l’assassinat, de multiples assassinats. Le 12 janvier 2010, Massoud Ali-Mohammadi perdit la vie quand une bombe contrôlée à distance et placée sur une motocyclette explosa à proximité de sa voiture. L’enquête entreprise par les forces de sécurité iraniennes déboucha sur l’arrestation de dix Iraniens qui furent accusés de travailler pour le Mossad israélien. L’un d’eux, Jamali Fashi, qui avait un ordinateur et des téléphones cellulaires qui le reliaient à la fois au Mossad en général et aux assassinats en particulier, confessa qu’il avait été recruté et entraîné par le Mossad en vue d’assassiner Massoud Ali-Mohammadi.
En novembre 2010, Majid Shahriyari fut tué quand les passagers d’une moto fixèrent une bombe aimantée sur sa voiture. Le même jour, des tueurs tentèrent d’assassiner Fereydoun Abbasi-Davani de la même façon, mais échouèrent quand l’homme remarqua les motocyclistes suspects et sauta hors de sa voiture. Homme de science lui aussi, Abbasi-Davani fut nommé chef de l’Association iranienne de l’énergie atomique quelques mois plus tard. Il affirme que des espions britanniques l’ont suivi afin de collecter des renseignements sur lui en prévision de cette tentative d’assassinat – avortée.
Le physicien et savant nucléaire iranien Darioush Rezainejad perdit la vie quand deux tueurs à motocyclette ouvrirent le feu sur lui alors qu’il entrait dans son garage. Sa femme fut également blessée. C’était le quatrième assassinat – ou tentative d’assassinat – consécutif recourant aux services de motocyclistes. Selon l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique), Rezainejad jouait un rôle clé dans le programme nucléaire iranien. L’Iran blâma les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et Israël pour son assassinat. Et « une source du côté de la communauté israélienne des renseignements » déclara dans le journal allemand Der Spiegel que le Mossad était derrière l’assassinat de Rezainejad.
Le 11 janvier 2012, Mostafa Ahmadi Roshan, un homme de science impliqué dans l’achat d’équipements pour le programme nucléaire iranien, fut assassiné quand un motocycliste plaça une bombe aimantée sur le toit de sa voiture alors qu’elle roulait. On arrêta treize personnes dont on avait découvert qu’elles travaillaient pour un réseau d’espions israéliens.
Un cinquième acteur important de la scène nucléaire iranienne fut tué en novembre quand une énorme explosion dans l’arsenal des armes militaires abritant les missiles Shahab à longue portée de l’Iran, tuant dix-sept personnes et en blessant quinze autres. Parmi les morts figuraient le major-général Hassan Moqqadam, un pionnier du développement des missiles iraniens. Plus tôt, en octobre 2010, une explosion avait déjà eu lieu dans une base de missiles Shahab. Time Magazine avait révélé en novembre 2011 qu’une source proche des renseignements occidentaux avait affirmé que le Mossad était derrière cette explosion.
Deux hauts responsables de l’administration Obama révélèrent aux informations de la NBC que les assassinats avaient été perpétrés par le Mujahideen-e-Khalq (MEK), un groupe d’opposition iranien qui avait passé de nombreuses années sur la liste américaine des terroristes. Ils confirmèrent également que le MEK était financé, armé et entraîné par le Mossad israélien et que les assassinats avaient été perpétrés au su de l’administration Obama. Les Américains eux aussi ont secrètement entraîné et soutenu le MEK.
Qassem Suleimani
L’assassinat par les Américains du général iranien Qassem Suleimani attira massivement l’attention des médias. Ce qui ne fut pas le cas du rôle d’Israël même dans l’assassinat. Selon un « officier de l’armée israélienne bien au fait des questions militaires israéliennes », l’assassinat de Suleimani « ne fut pas une surprise » parce que, selon les analystes militaires et diplomatiques israéliens, « Israël était au courant à l’avance du plan américain ». Barak Ravid, de Channel 13, rapporta que « les Etats-Unis avaient informé Israël de cette opération en Iraq, voici apparemment quelques jours ». Netanyahou était le seul allié des Etats-Unis à être au courant de l’opération, après en avoir été informé par le secrétaire d’Etat Mike Pompeo.
Mais Israël fit plus que d’être au courant de l’affaire. Il y participa aussi. « Les renseignements israéliens furent des instruments », dans cet assassinat. Suleimani fut tué à Bagdad quand son véhicule fut frappé par des missiles américains Hellfire (feu de l’enfer). Les renseignements israéliens « confirmèrent et vérifièrent » les informations fournies par des informateurs qui avaient renseigné les Etats-Unis à propos de l’avion à bord duquel devait se trouver Suleimani.
Dans un rapport publié le 7 juillet 2020, l’experte des Nations unies sur les assassinats extrajudiciaires, Agnès Callamard, concluait que l’assassinat était « illégal » et que c’était un « homicide arbitraire » commis en violation de la charte des Nations unies.
Cela ajoute les assassinats et les assassinats politiques au palmarès d’Israël.
Guerre économique et isolement
L’article du New York Times rapportant que l’attaque contre Natanz était en fait l’œuvre d’une bombe ajoute que l’introduction en secret de la bombe à l’intérieur du site d’enrichissement n’était pas la première fois qu’Israël avait été à même « de frapper au cœur de l’Iran ». Le journal ajoute à la liste des agressions israéliennes contre l’Iran l’intrusion par la Mossad en 2018 dans les archives nucléaires secrètes de Téhéran. Si c’était vrai, cela constituerait une violation supplémentaire du territoire iranien à ajouter au palmarès d’Israël. Mais, en fait, l’information est fausse.
Bien que le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou ait affirmé que les documents d’archives volés prouvaient que « l’Iran mentait, comme à son habitude, après avoir signé l’accord nucléaire en 2015 », il est certain que c’était Netanyahou qui mentait. Olli Heinonen, inspecteur en chef de l’AIEA à l’époque des négociations du JCPOA (Joint Comprehensive Plan of Action – Accord de Vienne sur le nucléaire iranien) – quelqu’un qu’on ne peut soupçonner en aucun cas de se montrer tendre envers l’Iran – déclara que l’AIEA avait d’abord vérifié la « nouvelle preuve significative » que Netanyahou avait révélée treize ans plus tôt, en 2005. Examinant la révélation de Netanyahou, tout ce que Heinonen put dire fut : « Je n’ai vu qu’un tas de photographies que j’avais déjà vues plus tôt. » Ces vieilles photos avaient été minutieusement discréditées par de nombreux experts, dont Gareth Porter dans Manufactured Crisis (Une crise fabriquée). L’AIEA en termina avec elles en décembre 2015. Le lendemain de la révélation de Netanyahou, l’AIEA déclara qu’il n’y avait « pas de signe crédible » de ce que l’Iran travaillait à un programme d’armes nucléaires plusieurs années avant la signature du JCPOA. Comme Gareth Porter l’a montré en mains endroits, y compris dans The CIA Insider’s Guide to the Iran Crisis (Guide d’un initié de la CIA sur la crise iranienne), les documents d’archives ont été contaminés par des fausses vérités dont il a été clairement révélé qu’elles avaient été forgées de toutes pièces.
Néanmoins, quand Donald Trump s’est illégalement retiré de l’accord nucléaire iranien du JCPOA, il s’est vanté de ce que la révélation de Netanyahou « montrait que j’avais raison à 100 pour 100 ». Et, ce citant que la présentation de Netanyahou comme preuve, il se retira de l’accord, replongea l’Iran dans l’isolement et le plaça sous embargo économique : un acte de guerre économique.
Bien qu’Israël n’ait pas vraiment agressé physiquement l’Iran en pénétrant dans l’entrepôt de Téhéran, la fabrication de preuves et les tours de passe-passe propagandistes ont été un exemple parfait du rôle crucial d’Israël quand il s’est agi de préparer Trump et de l’amener à exercer un maximum de pressions vers une guerre économique contre l’Iran.
Ainsi donc, bien que The New York Times se soit trompé, il avait raison. L’événement illusoire n’ajouta pas d’autre acte physique de guerre au palmarès d’Israël. Il ajouta par contre un autre genre de guerre au palmarès : les attaques par missile, les attentats à la bombe, les cyberattaques, les assassinats, les assassinats politiques et, désormais, la guerre économique.
De combien de façons différentes Israël peut-il faire la guerre contre l’Iran avant qu’il devienne évident qu’Israël mène en fait une guerre contre l’Iran ?
Publié le 9 juillet 2020 sur Mondoweiss sous le titre : How many ways can Israel wage war on Iran before the media reports Israel is waging war on Iran?
Traduction : Jean-Marie Flémal