Un modèle de guidance émanant de la diaspora palestinienne aux Etats-Unis
Cet article se propose de discuter d’un modèle d’activisme palestinien initié par la diaspora palestinienne aux Etats-Unis. Le but est de recueillir des enseignements sur les nouveaux modèles de guidance émanant de groupes qui sont parvenus à s’organiser efficacement et dont l’expérience peut servir les Palestiniens à un niveau élargi. Le terme « diaspora » utilisé ici renvoie aux Palestiniens qui vivent en dehors de la Palestine et qui, selon certaines estimations représentent près de la moitié de la population palestinienne totale (1).
Dana El Kurd
La diaspora palestinienne aux États-Unis n’est évidemment pas monolithique et les modèles d’activisme diffèrent selon les régions, les États et même les villes. Les luttes de chaque communauté particulière sont grandement contextualisées et les groupes doivent donc opérer en fonction de ces contextes.
Dans ce cas, vu l’espace dont nous disposons ici, il serait impossible d’établir une liste exhaustive des diverses formes d’organisation que l’on rencontre dans la diaspora américaine. Toutefois, il serait utile d’examiner l’évolution de certains groupes choisis. L’un de ces groupes clés, qui a recueilli suffisamment de soutien dans tout le pays pour mettre sur pied des événements nationaux – et transnationaux – n’est autre que le Palestinian Youth Movement (PYM – Mouvement de la jeunesse palestinienne).
Ceci ne constitue en aucune façon non plus une liste de tous les groupes à public national, mais représente un modèle de guidance qu’il importe de prendre en considération. Par exemple, des groupes au niveau des universités, comme Students for Justice in Palestine, sont sans nul doute des modèles très actifs et efficaces dans bien des cas, mais ils sortent du cadre de la présente analyse. Le travail d’organisation au niveau des écoles présente des contraintes et considérations différentes et les leçons qu’on en tire seraient moins généralisables aux Palestiniens à un niveau élargi.
Le Palestinian Youth Movement : américain, puis transnational
Le Palestinian Youth Movement (initialement le Palestinian Youth Network – Réseau de la jeunesse palestinienne) a débuté en 2006, en rassemblant 35 activistes du monde entier lors d’une rencontre à Barcelone (2).
Ce réseau entendait représenter diverses variantes d’expériences palestiniennes vécues, depuis la diaspora jusqu’aux Palestiniens dans la Palestine historique, dans une tentative en vue de se frayer un chemin hors de la stagnation imposée par les accords d’Oslo.
Comme le dit l’un des membres d’origine, le réseau « voulait examiner les dilemmes et luttes qui attendaient la jeunesse palestinienne dans diverses géographies » afin de se rendre compte « comment aller de l’avant ».
Nombre de ces membres des débuts étaient motivés par la conscience de ce que, malgré leur engagement – tant idéologique que matériel – en faveur de la cause palestinienne, leur travail dans les secteurs des ONG et dans les groupes humanitaires ne constituait pas « un travail politique » et ne fournissait pas l’espace nécessaire pour capitaliser sur les connexions mondiales existant entre les jeunes Palestiniens de diverses parties de la diaspora.
Et, pour ces membres, les questions soulevées par la responsabilisation (empowerment) des jeunes au sein même de l’infrastructure de la politique nationale palestinienne faisaient partie intégrante de la crise palestinienne. Ils n’étaient pas opposés aux formes traditionnelles d’activisme que l’on rencontrait auparavant et ils désiraient appliquer les leçons là où cela pouvait servir, mais il n’y avait pas de dogme attaché par amour de la tradition au maintien des formes habituelles d’activisme. Pour reprendre les mots de l’un des membres, ceci apportait aux gens « un investissement émotionnel » dans le succès du réseau.
En 2007, celui-ci s’engagea dans une coordination avec l’Union générale des étudiants palestiniens afin de mettre sur pied une conférence en France, laquelle réunit une centaine de participants. Cette initiative déboucha sur le meeting fondateur de l’assemblée générale, qui se tint à Madrid en 2008 ; 28 membres représentant 28 pays différents ratifièrent les assembles générales. Avec plus de 150 participants et 33 pays représentés lors de cette rencontre, le groupe put initier une dynamique suffisante. Ainsi donc débuta le travail de mise en place d’un réseau international par le biais de camps d’été et de campagnes d’éducation politique, qui toucha bientôt plus d’un millier de jeunes dans plus de 30 pays.
Avec les soulèvements arabes, le Palestinian Youth Network prit la décision concrète de relancer le Palestinian Youth Movement (PYM) lors de son assemblée générale de 2011, à Istanbul. Cette modification fut accompagnée de nombreux changements structurels, dont l’ouverture de l’affiliation à des membres arabes. Au vu de la promesse du « Printemps arabe », le PYM réaffirma l’importance de la dimension arabe pour la lutte palestinienne. En particulier, le mouvement examina comment les soulèvements arabes pouvaient fournir de nouvelles opportunités à la Palestine ainsi que la manière dont les Palestiniens pouvaient soutenir les transformations dans la région et y participer, dans l’objectif de faire du monde arabe même une arène incontournable de l’activisme futur.
Mais, comme nous le savons tous, cet optimisme fut de courte durée. Les réunions et conférences suivantes de l’assemblée générale furent nettement plus divisées, du fait que les membres se fragmentaient sur des questions telle la révolution en Syrie, ainsi que sur la manière d’aborder la répression accrue à laquelle ils étaient confrontés dans leurs propres pays d’origine. Lors de la rencontre d’Amman en 2014, la décision fut prise de mettre à l’arrêt les activités internationales de façon que chacun des chapitres puisse se concentrer sur les défis qui les attendaient dans leur contexte propre.
Un renouveau dans la concentration sur les Etats-Unis
Par la suite, le PYM devint plus actif aux Etats-Unis spécifiquement, alors que d’autres chapitres luttèrent pour maintenir leur rythme d’activité. Jusqu’en 2015, le PYM s’organisa surtout depuis la zone de la Baie, en Californie, en sus d’un chapitre actif à San Diego. Mais, après une initiative d’université d’été en 2015, le PYM fut en mesure de lancer des chapitres dans diverses villes un peu partout aux Etats-Unis.
Depuis lors, ces chapitres se sont focalisés sur trois objectifs prioritaires : mettre sur pied des communautés arabes locales et saines par le biais de programmes culturels et de services sociaux ; relier la dimension nationale aux dimensions internationales de la lutte palestinienne en ravivant les liens entre la jeunesse palestinienne et la jeunesse arabe ; et se relier à d’autres communautés – comme les communautés noires et autochtones – dans leurs luttes locales.
Comme l’explique un membre, le PYM avait pu avec succès surmonter des tempêtes significatives et des climats politiques tumultueux précisément parce qu’il était resté dynamique et qu’il avait tenté d’intégrer des solutions aux problèmes qui surgissaient à chaque avatar du mouvement.
Par exemple, après la première conférence, les membres fondateurs remarquèrent qu’apparaissaient des « questions d’authenticité », se manifestant par des désaccords parmi les jeunes de différents endroits quant à savoir qui était le plus représentatif de la Palestine et des questions palestiniennes.
Pour résoudre ces tensions, le PYM s’assura que son prochain programme d’été (en Syrie, en 2009) serait précisément concentré sur des questions d’identité. Et, comme avec toute organisation volontaire, la direction du PYM avait émergé de façon organique, selon le niveau d’engagement des gens dans l’élaboration de chaque projet.
Chaque réunion de l’assemblée allait déboucher sur certains objectifs et demander des volontaires parmi les participants afin de prendre la direction des comités de suivi. Entre 2009 et 2014, les dirigeants du PYM venus des Etats-Unis et qui furent intégrés au groupe international du PYM, furent davantage reliés aux institutions traditionnelles de la diaspora palestinienne, plus anciennes.
Aujourd’hui, la nouvelle direction du PYM n’est pas seulement beaucoup plus jeune, mais aussi moins connectée à l’activisme traditionnel palestinien. Ils sont donc capables d’être plus novateurs concernant les cibles de leurs campagnes et activités.
Par exemple, en 2018, dans l’objectif de créer des connexions afin d’allier des communautés, le PYM a envoyé des délégations à Standing Rock et a dirigé une délégation de jeunes indigènes en Palestine, réalisant ainsi des percées au sein du mouvement des droits des autochtones aux Etats-Unis. En avril 2019, il a également envoyé une délégation en Afrique du Sud, en partenariat avec l’Afro-Middle East Center (Centre Afrique – Moyen-Orient), reliant de la sorte la lutte palestinienne à d’autres mouvements et ce, de diverses manières novatrices et intéressantes.
Le PYM a également poursuivi sciemment l’application d’un modèle s’appuyant sur le volontariat, malgré ses défis, parce qu’il ne veut pas tomber dans le piège des ONG, avec tous les intérêts particuliers qu’il entraîne. Ce modèle dynamique et très sensible s’est avéré une réussite, en ce sens que le PYM a lancé efficacement un certain nombre de programmes, comme la bourse artistique Ghassan Kanafani afin de soutenir l’intérêt de la jeunesse pour la culture et l’identité palestiniennes, les initiatives des « universités populaires » et le travail de soutien aux réfugiés en Grèce et à San Diego, Californie, afin de relier la lutte des réfugiés palestiniens et la cause des droits des réfugiés à l’échelle mondiale.
Les leçons que nous pouvons tirer de ce cas même sont importantes.
Primo, il est d’une importance cruciale que l’on reconnaisse les variations dans les expériences vécues et que l’on accorde aux Palestiniens de l’espace, dans divers contextes, afin qu’ils puissent s’organiser et aborder les défis auxquels ils sont confrontés dans leurs propres environnements sans toutefois se voir imposer des solutions d’ordre général. Ceci a permis au PYM de changer d’image après que plusieurs des soulèvements arabes eurent été écrasés et d’assurer sa continuité malgré les obstacles rencontrés.
Secundo, centrer l’intérêt sur la jeunesse est incontournable pour garder l’enthousiasme et la vitalité au sein du mouvement. Il est manifestement improductif, par amour et souci de la tradition, de reproduire les mêmes formes organisationnelles qui peuvent avoir bien fonctionné dans des temps révolus, sans se demander de façon critique si ces stratégies sont toujours utiles. Placer les problèmes des jeunes à l’avant-plan et installer des jeunes dans des positions de guidance est impératif.
Août 2020, Al-Shabaka
Traduction : Jean-Marie Flémal
Notes
(1)Le nombre de Palestino-Américains n’est pas clair. Certaines estimations avancées à partir d’études réalisées dans les années 1980 font état d’un chiffre aussi grand que 250 000 ; toutefois, les derniers chiffres émanant de l’American Community Survey (Enquête sur la communauté américaine) ramènent ce nombre à 82 000 (c’est-à-dire le nombre de cas auto-rapportés). Pour plus d’informations, consulter Kathleen Christison, « The American Experi-ence: Palestinians in the U.S. » (L’expérience américaine : les Palestiniens aux Etats-Unis), dans Journal of Palestine Studies 18, 4 (1989) : pp. 18–36 ainsi que Carlos Cortés, « Multicultural America: A Multimedia Encyclopedia » (L’Amérique multiculturelle : une encyclopédie des multimédias) (Thousand Oaks, CA : SAGE Publications, 2013), pp. 1670-1671.
(2)Les données ici proviennent d’interviews d’une membre fondatrice du PYM, Loubna Qutami, ainsi que de participants au programme d’université d’été du PYM. Qutami a rédigé un essai suer le mouvement.
Le dossier d’Al-Shabaka
Le rapport du Cercle politique élargi est intitulé « Reclaiming The PLO, Re-Engaging Youth » (Reprendre l’OLP, réengager la jeunesse) et aborde des questions cruciales pour l’avenir de la cause palestinienne : comment l’OLP peut-elle maintenir sa responsabilité en tant que mouvement de libération nationale et organe directeur ? Comment le Hamas et le Djihad islamique pourraient-ils être intégrés après des décennies d’exclusion ? Quels modèles de leadership de la jeunesse palestinienne peuvent être développés plus avant ?
Les analystes d’Al-Shabaka, Nijmeh Ali, Marwa Fatafta, Dana El Kurd, Fadi Quran et Belal Shobaki répondent à ces questions et à d’autres dans ce rapport complet, le travail d’une année, facilité par Alaa Tartir et Marwa Fatafta.
La traduction de ce document est le fruit d’un travail collectif des sites web ISM-France, Charleroi pour la Palestine et Chronique de Palestine.
Contenu :
–Introduction
–La reconstruction de l’OLP : le Jihad islamique et le Hamas peuvent-ils y contribuer ?
–La question de la représentation palestinienne : Élections vs Recherche d’un consensus
–Le leadership palestinien par la résistance ou la perpétuation sans leader ? Le rôle de la jeunesse
–Un modèle de guidance émanant de la diaspora palestinienne aux États-Unis
–Rendre des comptes : L’OLP, d’hier à demain
–Annexe 1 : Bref récapitulatif du contexte et de la structure de l’OLP
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