Le cadeau de l’Autorité palestinienne à Biden : retour à une stratégie avortée

L’information selon laquelle l’Autorité palestinienne a décidé de relancer la coordination avec Israël après l’avoir suspendue durant six mois n’a guère surpris.

La reprise de la coordination entre l'Autorité palestinienne et Israël constitue la bienvenue adressée par la direction cisjordanienne au président américain nouvellement élu, Joe Biden. (Photo : Thaer Ganaim APA images)

La reprise de la coordination entre l’Autorité palestinienne et Israël constitue la bienvenue adressée par la direction cisjordanienne au président américain nouvellement élu, Joe Biden. (Photo : Thaer Ganaim APA images)

Omar Karmi, 20 novembre 2020

Elle équivaut à un cadeau de bienvenue à Joe Biden, le nouveau président américain, et montre en même temps la pauvreté de réflexion qui sévit chez les responsables de l’Autorité palestinienne.

La décision, en mai dernier, de mettre un terme à la coordination avait été la réponse à la menace d’annexion officielle par Israël d’environ 30 pour 100 de la Cisjordanie occupée.

Mais, dès le départ, les responsables palestiniens avaient déjà fait savoir qu’il s’agirait d’une protestation grandement symbolique.

Officiellement, la coordination entre les forces de sécurité palestiniennes et l’armée israélienne allait cesser. Mais ces mêmes forces de sécurité palestiniennes allaient toutefois agir comme si la coordination était toujours de mise.

En d’autres termes, dans le seul domaine dont Israël s’occupe de très près – la sécurité – l’AP est tout de suite revenue sur sa décision.

Le reste n’était que du cirque et de l’automutilation.

Du cirque parce que, sans coordination sécuritaire, il s’agissait d’une démarche particulièrement impuissante dirigée davantage contre un public intérieur – voyez, nous agissons – qu’en fonction d’un quelconque espoir réel qu’il en découle le moindre effet palpable.

Et c’était de l’automutilation parce que tout ce qui en est ressorti, finalement, ç’a été que l’AP allait devoir se débrouiller sans le revenu des taxes qu’Israël prélevait pour elle.

Et, du fait que tout cela se passait en pleine pandémie mondiale, cela allait également avoir des conséquences très réelles, surtout à Gaza, où la fin de la coordination signifierait qu’une population déjà prise en otage par un blocus israélien n’aurait quasiment plus la possibilité, désormais, de sortir de l’enclave pour chercher ailleurs des soins médicaux.

Avec un secteur des soins de santé au bord de l’effondrement en conséquence directe des sanctions et du siège imposés par Israël, cela a causé des dégâts et des souffrances inimaginables.

La coordination entre l’Autorité palestinienne et Israël est le mécanisme via lequel Israël impose son régime de permis aux Palestiniens dans tous les territoires occupés, et c’est ressenti de la façon la plus aiguë dans la bande de Gaza tenue sous isolement. Toutefois, en tant que puissance occupante, c’est Israël qui est responsable du bien-être de toutes les personnes vivant sous son occupation, et ce, quel que soit le statut de la coordination.

Une glorieuse victoire

Maintenant, on pourrait prétendre – de la même façon que pourraient le prétendre l’EAU et Bahreïn – que le travail a été fait, que la menace d’une annexion officielle est écartée et qu’il n’est nul besoin de continuer à suspendre la coordination, d’autant que cela équivaut vraiment à scier la branche sur laquelle on est assis.

Cela pourrait toutefois suggérer que deux choses se sont produites et, manifestement, cela n’a été le cas pour aucune des deux :

Un, que l’absence de coordination palestino-israélienne a d’une certaine manière embarrassé Israël au point de le forcer à renoncer à l’annexion.

Deux, qu’Israël a laissé tomber l’annexion.

Il est vrai qu’Israël a reporté ses plans en vue d’annoncer officiellement l’annexion d’une plus grande partie encore des terres occupées (il a déjà annexé officiellement les hauteurs du Golan et Jérusalem-Est).

Mais il a progressé dans l’implantation des colonies. Chaque colonie construite constitue une annexion de facto. Israël n’installe pas des gens dans un territoire qu’il entend en fin de compte faire évacuer au profit d’un État palestinien.

Par conséquent, la cessation de la coordination avec Israël n’a précisément rien rapporté au camp palestinien.

Mais cela n’a pas empêché les principaux responsables de l’AP de prétendre que la reprise de la coordination était une « victoire » pour le peuple palestinien.

Cela se veut certainement sarcastique.

Il n’y a que deux raisons pour lesquelles l’AP a repris la coordination et aucune n’a quoi que ce soit à voir avec un succès diplomatique.

D’abord, il y a la saignée financière, qui est bien réelle.

Et, secundo, il y a les élections présidentielles américaines. L’Autorité palestinienne est très soucieuse de présenter une copie vierge à l’administration (probablement) entrante de Joe Biden.

Mais, dans sa hâte à vouloir le faire, l’Autorité palestinienne va tout simplement rétablir la situation déjà en place avant la venue du président américain Donald Trump et elle reprendra le cours habituel des choses, un cours qui n’aura fait le jeu que d’Israël durant plus de deux décennies.

Et on ne cesse de tourner en rond

Le premier signe des intentions de l’AP réside dans sa hâte de vouloir rétablir les relations diplomatiques avec l’EAU et Bahreïn en dépit de leur « trahison » lors de la normalisation de leurs relations avec Israël.

Ensuite, il lui faut assurer la réouverture de la mission de l’Organisation de libération de la Palestine à Washington ainsi que la reprise de ses relations avec les États-Unis.

Ceci pourrait constituer un moment prometteur en vue d’obtenir l’une ou l’autre concession de la part d’une administration entrante soucieuse de prendre ses distances vis-à-vis de l’administration sortante.

Une concession a déjà été balayée de la table, cependant : Biden a déclaré il y a longtemps qu’il ne déménagerait pas l’ambassade des États-Unis de Jérusalem.

Mais les Palestiniens pourraient demander que les États-Unis clarifient leur position à propos de Jérusalem-Est en tant que territoire occupé et à propos des colonies, puisqu’elles sont illégales selon les lois internationales.

Ce ne sont pas des positions controversées sur le plan international.

Au fil de nombreuses années, les États-Unis ont progressivement rétrogradé leur position concernant les colonies, pour atteindre un nadir au moment où l’administration Trump a décrété qu’elles « n’étaient pas en contradiction » avec les lois internationales. Ceci fournirait à Biden une occasion de rompre immédiatement avec les années Trump.

Mais Biden est profondément intégré à la culture pro-israélienne de Washington et, quoi qu’il en soit, et quel que soit le parti qui contrôle le Congrès américain, il sera toujours confronté à une certaine hostilité quand il abordera le moindre sujet concernant Israël.

Aucune concession ne viendra facilement. C’est particulièrement vrai du fait que la direction de l’AP sera bien en peine de résister une fois que la Maison-Blanche lui fera de l’œil.

Par conséquent, il ne faut pas s’attendre à une véritable tentative en vue d’obtenir quelque récompense de la part des États-Unis ou d’Israël au moment où l’administration Biden débarquera – ce qu’elle fera inévitablement.

Au contraire, si l’administration Biden invite à nouveau l’OLP à Washington, la direction palestinienne perdra peu de temps.

Il en résultera qu’il faudra s’attendre à ce que des efforts en vue d’une unité avec le Hamas – en même temps que des pourparlers en faveur d’élections – soient tranquillement sabordés, si l’AP veut tenter d’éviter quoi que ce soit qui risque d’embarrasser le président Biden.

Le chef de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, peut désirer voir un nouveau genre de processus de paix qui soit cette fois dirigé par une combinaison d’acteurs internationaux plutôt que par les seuls États-Unis.

Il a exprimé cette position à plusieurs reprises au cours des dernières années.

Mais il faudra peu d’efforts de la part des responsables au sein d’une administration américaine « plus amicale » pour convaincre leurs homologues palestiniens qu’ils devraient accepter un retour du financement américain – pour l’AP, ou pour l’UNRWA, l’agence de l’ONU qui s’occupe des réfugiés palestiniens – en même temps que la réouverture de la mission de l’OLP à Washington en guise de premiers pas – et s’abstenir de formuler d’autres exigences.

Après quoi, ce ne sera qu’une question de temps avant que les Palestiniens ne puissent célébrer une autre « victoire » diplomatique : le retour à la situation avant Trump.

Ça avait si bien marché, naturellement, pour les Palestiniens.

En l’absence de quelque changement fondamental de stratégie de la part de la direction de l’OLP, nous sommes bien partis pour voir le même « processus de paix » s’écrouler, une fois de plus.


Publié le 20 novembre 2020 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal

Omar Karmi est un rédacteur associé de The Electronic Intifada et un ancien correspondant du journal The National à Jérusalem et à Washington, DC.

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A regarder : Joe Biden et Kamala Harris sur Israël, la Palestine

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