« Mur de fer » ou « villa dans la jungle » – Le colonialisme israélien a plus d’un nom

Le « mur » est une protection de la « villa » sioniste contre la « jungle ». Le « mur » et la « jungle » sont deux faces de la même médaille colonialiste et raciste. Ce n’est pas plus compliqué que cela…

par Jonathan Ofir

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a engrangé plus de victoires dans ses efforts de « normalisation » – la Serbie et le Kosovo vont ouvrir des ambassades à Jérusalem – en allant à l’encontre des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU), depuis qu’Israël a annexé unilatéralement Jérusalem-Est en violation flagrante des lois internationales.

Les deux pays précités emboîtent ainsi le pas aux Etats-Unis et au Guatemala. Pour le Kosovo, qui n’a proclamé son indépendance qu’en 2008, il s’agit d’une première reconnaissance d’Israël et il plonge tête première dans la mare de Jérusalem. Natanyahou a insisté avant toute chose pour dire que le Kosovo était un Etat à « majorité musulmane » 

« Le Kosovo sera le premier pays à majorité musulmane à ouvrir une ambassade à Jérusalem. Comme je l’ai dit ces derniers jours – le cercle de la paix et de la reconnaissance d’Israël s’étend et on attend le ralliement d’un plus grand nombre de pays encore. »  

L’accord, qui implique en même temps une reconnaissance réciproque du Kosovo par Israël et la « normalisation économique » entre les rivaux que sont la Serbie et le Kosovo (la Serbie ne reconnaît pas le Kosovo), a été mis sur pied par les Etats-Unis. Naturellement, il vient sur les talons d’un autre accord de « normalisation » – celui qui implique l’officialisation des liens entre les Emirats arabes unis et Israël.

Pour Israël, la « paix » a toujours signifié d’éviter la formation d’un Etat palestinien, en même temps que la marginalisation des Palestiniens. Quand Netanyahou dit « cercle de la paix », ce que cela signifie réellement n’est rien d’autre qu’une cabale colonialiste de guerre contre les Palestiniens. 

Netanyahou a toujours perçu de tels accords de « paix » comme un moyen d’accroître sa force nationaliste et de marginaliser plus encore les adversaires des desseins colonialistes. Il y a deux ans, prenant la parole lors d’une cérémonie à la centrale nucléaire de Dimona, Netanyahou avait déclaré :

« Les faibles s’écroulent, sont massacrés et effacés de l’histoire, alors que les forts, pour le meilleur et pour le pire, survivent. Les forts sont respectés et c’est avec eux qu’on scelle des alliances et, qu’à la fin, on fait la paix (…) »

Cette conception hitlérienne et fasciste du monde a débuté sa trajectoire à partir de Ze’ev Jabotinsky, fondateur du Mouvement sioniste révisionniste – Jabotinsky avait des liens de coopération en même que des affinités idéologiques avec Mussolini -, s’est poursuivie dans le parti Herut de Menahem Begin, qui est devenu ensuite le Likoud. Et rappelez-vous que feu le père de Netanyahou avait été le secrétaire particulier de Jabotinsky en personne.

A la doctrine de Jabotinsky, on a donné le nom de « mur de fer ».

Le « mur de fer » face à la « villa dans la jungle »

Michael J. Koplow de l’Israel Policy Forum (Forum sur la politique d’Israël) a récemment écrit ceci, à propos du concept du « mur de fer » en relation avec le récent accord entre les EAU et Israël :

« Quand il écrivait sur les défis du Yishuv [la politique juive sioniste en Palestine] face aux Palestiniens vivant en Palestine sous mandat, Jabotinsky prétendait que les sionistes devaient construire un mur de fer figuratif, pour prouver ainsi aux Palestiniens qu’il ne pouvait être percé et que les sionistes ne seraient ni vaincus ni chassés. Ce n’est que lorsque les Arabes en Palestine et dans les pays voisins comprendraient que les Juifs étaient là pour rester et que la situation ne pourrait changer via les combats et la violence que, selon la théorie de Jabotinsky, ils allaient modérer leurs points de vue et leurs revendications et négocier des accords de paix avec les dirigeants sionistes. Le concept fondamental qui opère ici, c’est la paix par le biais de manifestations de force qui, avec le temps, forcent l’autre camp à l’acceptation et à la modération ; c’est la théorie qui est adoptée de tout cœur par le Premier ministre Netanyahou depuis des décennies. » 

L’article de Koplow, intitulé « Le mur de fer face à la villa dans la jungle », oppose cette doctrine à l’idée de l’ancien Premier ministre israélien Ehud Barak d’une « villa dans la jungle ». Koplow écrit :

« Ehud Barak a utilisé une métaphore différente au fil des années quand il discutait de la sécurité d’Israël, décrivant Israël comme une villa dans la jungle. Ceci présuppose qu’Israël est une île de sécurité et de stabilité au milieu d’une région où normes et règles ne sont pas de mise – la loi de la jungle, en d’autres termes – et que, partant, Israël devra toujours monter la garde avec vigilance afin d’empêcher d’être débordé par le chaos qui règne au-delà de ses frontières. »

Koplow a du mal de décrire la différence entre les deux métaphores :

« Quant au mur de fer de Jabotinsky, Israël le construit en projetant sa force et en faisant en sorte qu’il n’y ait pas de scénario dans lequel il ne pourrait se défendre contre les menaces qui l’entourent. Mais, au contraire de la théorie du mur de fer, où la projection de force est un moyen menant à un but d’acceptation et d’arrangements finalement négociés avec les ennemis d’Israël, la villa dans la jungle est un instantané dans le temps qui ne durera pas nécessairement. Barak n’a jamais exclu la possibilité que les Etats arabes envisagent la force d’Israël, modifient leurs attitudes et négocient des accords de paix avec Israël, mais la métaphore de la villa dans la jungle n’envisage pas la chose comme prochaine étape possible de la même façon que Jabotinsky l’expliquait avec son mur de fer. Cela peut arriver et cela peut ne pas arriver, mais Israël a besoin de présumer que la jungle ne sera jamais nettoyée afin de faire de la place pour y installer des maisons urbaines et des supermarchés d’alimentation. »

Ce qui est ironique ici, ce n’est pas simplement que Koplow ne voit pas qu’il s’agit de la même jungle colonialiste, orientaliste – quel que soit le jargon sioniste dans lequel elle est exprimée – non, l’ironie, c’est que c’est en fait le point de vue de Barak qui tend à être davantage enclin au rejet que le point de vue de Jabotinsky, puisqu’il continue à considérer avec suspicion tout accord conclu avec la « jungle ».

Il vaut la peine de rappeler que la solution d’Ehud Barak consistait aussi en un mur – non seulement de fer, mais aussi de béton et de miradors, de 8 mètres de haut et traversant les Territoires palestiniens occupés, dans le but de protéger cette « majorité juive ».

Koplow utilise cette différence supposée cruciale pour aborder une pomme de discorde concernant l’accord entre les EAU et Israël – la vente des très sophistiqués avions F-35 à l’EAU, dont Israël s’inquiète qu’elle pourrait finir par compromettre son avancée militaire qualitative (en anglais : qualitative military edge, ou QME, un principe des relations particulières entre Israël et les Etats-Unis). Koplow suggère que c’est une considération directement reliée à la dualité « mur/villa » :

« La façon de percevoir la réponse à cette question est éclairée par deux des plus célèbres métaphores utilisées en Israël à propos de ses défis sécuritaires et de sa position dans le Moyen-Orient, métaphores qui semblent similaires à première vue mais qui, en fait, sont philosophiquement différentes. »

Voici bien de la véritable vanité intellectuelle. La méfiance de Netanyahou, clairement partagée par son partenaire centriste au gouvernement, Benny Gantz, est précisément une crainte de la « jungle ». Le « mur de fer » de Netanyahou ne signifie pas que la méfiance vis-à-vis de la « jungle » soit réduite, ni que l’épée soit mise de côté. En 2015, Netanyahou avait d’ailleurs dit : « Nous vivrons à jamais par l’épée. »

Netanyahou espère fortifier ce mur de fer par le biais d’arrangements internationaux qu’il appelle le « cercle de la paix ». De telles actions affaiblissent la force diplomatique en faveur des Palestiniens, comme cela a clairement été le cas dans l’accord avec l’EAU – il a officiellement rompu le consensus arabe concernant la proposition de normalisation après les retraits israéliens jusqu’aux frontières de 1967 et on en est au point d’une « solution juste » à la question des réfugiés palestiniens. Netanyahou a longtemps prétendu que cette « paix » pouvait être atteinte sans la présence de ces conditions préalables.

La « jungle » et le « mur » constituent deux aspects de la pensée sioniste qui ont modelé cette dernière depuis sa naissance : un « avant-poste de la civilisation contre la barbarie », comme l’écrivait le père du sionisme, Theodor Herzl dans son livre Der Judenstaadt (« L’Etat juif »).

Le « mur » est une protection de la « villa » sioniste contre la « jungle ». Le « mur » et la « jungle » sont deux faces de la même médaille colonialiste et raciste. Ce n’est pas plus compliqué que cela…


Publié le 7 septembre 2020 sur Mondoweiss
Traduction : Jean-Marie Flémal

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