Désinvestir du racisme non marchand, de New York à la Palestine

Une coalition lancée récemment, Defund Racism (Désinvestir du racisme), fait la lumière sur certaines organisations qui, chaque année, acheminent des millions de dollars déductibles des impôts et ce, au détriment des contribuables américains, afin de sponsoriser des Juifs américains désireux de s’emparer d’habitations appartenant à des Palestiniens. 

18 mai 2021. Dans le centre de Manhattan, à New York, des manifestants brandissent des drapeaux palestiniens et des écriteaux tout en scandant des slogans en guise de soutien à la Palestine. (Photo : AFP)

Nada Elia, 1er septembre 2021

Une nouvelle organisation défie les lois américaines portant sur le statut des organismes de bienfaisance, qui voient des millions de dollars des contribuables affluer du côté des organisations de colons israéliens et leur volonté d’expulser des familles palestiniennes.

La vidéo sur YouTube, qui montre le colon israélien Yaakov Fauci expliquant à la jeune Palestinienne Muna el-Kurd que s’il ne lui vole pas sa maison, quelqu’un d’autre s’en chargera, a fait le tour du monde et a donné à de nombreux Américains une vive compréhension de la façon dont se déroule le nettoyage ethnique : il s’agit d’un vol, reconnu sans vergogne comme tel.

Et cela émane de la position de quelqu’un qui croit absolument en son droit, qui ne tient absolument aucun compte des conséquences de ses actes. « J’aime ce qui vous appartient, pourquoi ne serais-je pas celui qui vous le vole ? »

Le fait que Fauci, originaire de Long Island, à New York, est financé par une organisation américaine de colons, a également constitué une surprise pour bien des gens, qui se sont également rendu compte que cette organisation n’était pas la seule du genre à collecter de l’argent aux États-Unis afin de sponsoriser des Juifs américains désireux de s’emparer d’habitations appartenant à des Palestiniens. 

Aujourd’hui, une coalition lancée récemment, Defund Racism (Désinvestir du racisme), fait la lumière sur certaines de ces organisations qui, chaque année, acheminent des millions de dollars déductibles des impôts et ce, au détriment des contribuables américains.

Comme l’explique Mohammed el-Kurd, le frère jumeau de Muna :

« Nous parlons souvent de colonialisme de peuplement et nous le disons en ces termes mêmes, qui sont souvent utilisés dans le langage universitaire et que nous utilisons pour décrire ce qui se passe. Mais quand vous venez sur place et que vous observez comment ces choses se manifestent – comment ce colonialisme de peuplement se cristallise dans la vie réelle –, vous découvrez que ce sont ces organisations de colons qui s’emploient activement pour expulser les Palestiniens ou pour isoler les communautés palestiniennes les unes des autres dans le Néguev, dans les territoires occupés de 48 ou en Cisjordanie. »

 

Un but réalisable

Defund Racism demande à l’attorney générale de l’État de New York, Letitia James, d’interdire à ces institutions installées aux États-Unis de prétendre qu’elles sont des « institutions caritatives » et de cesser, par conséquent, de les exempter de payer des taxes. Spécifiquement, Defund Racism espère que James annulera le statut 501 (c) (3) de sponsor fiscal de chaque organisation de colons installée aux États-Unis.

Les organisateurs de Defund Racism ont expliqué à Middle East Eye qu’ils croyaient que ce but était réalisable, parce que James, qui a entrepris de défier la National Rifle Organisation (la principale activité de la NRA vise à protéger le droit de détenir de porter des armes à feu et elle est l’une des organisations de lobbying les plus influentes des États-Unis), a un bilan très probant.

En outre, en demandant à James d’enquêter sur l’abus du « statut des organismes de bienfaisance » plutôt que d’essayer de faire passer un projet de loi à la Chambre des Représentants, puis au Sénat et, ensuite, d’obtenir que le président des États-Unis le signe, la campagne demande à une responsable officielle élue d’appliquer des lois qui se trouvent déjà dans les codes.  

Pour les lecteurs non familiarisés avec le statut 501 (c) (3), cette désignation de taxe est accordée aux organisations non marchandes qui ont bénéficié de l’approbation de l’Internal Revenue Service (Service interne sur les revenus) en tant qu’organisations caritatives exemptes du paiement d’impôts. Le terme « caritatif », à son tour, signifie établi dans des buts religieux, éducatifs, caritatifs proprement dits, scientifiques, littéraires, ou dans l’intention d’améliorer la sécurité publique, de favoriser les sports non professionnels ou encore de prévenir la cruauté envers les animaux et les enfants.

Avoir un statut d’« organisation de bienfaisance ou caritative » signifie que lorsque les citoyens ou résidents américains font un don à ces organisations, ils peuvent revendiquer la déductibilité de leur don de leurs impôts. Ceci, du fait que les organisations caritatives sont censées proposer des services que le gouvernement fédéral ou les autorités de l’État devraient fournir eux-mêmes, autrement, ou que les résidents pourraient devoir assurer eux-mêmes, à leurs propres dépens.

Defund Racism espère que James conclura que ces organisations violent les principes de leur statut caritatif, puisqu’elles ne fournissent pas d’avantage public aux communautés des États-Unis. Par contre, comme le dit la déclaration d’intention de Defund Racism, sa campagne

« vise à révéler les actes répréhensibles financés par ces organisations via l’usage de leur statut caritatif, à faire cesser l’exploitation des lois caritatives américaines pour financer l’extrémisme et la violence des colons et, partant, la soumission et l’expulsion des communautés palestiniennes ».

Et Defund Racism espère que les organisations de solidarité avec la Palestine installées aux États-Unis vont intensifier leurs appels.

 

Dénoncer la malhonnêteté

Le site internet de Defund Racism a une haute valeur informative et il renseigne les activités de nombreuses organisations défendant les « droits des colons » et qui financent l’expulsion de Palestiniens de leurs habitations à Sheikh Jarrah, Hébron, Silwan, dans le Néguev et dans bien d’autres lieux.

« Les sommes qu’une simple poignée d’organisations ‘caritatives’ enregistrées à New-York injectent dans le mouvement israélien de peuplement sont sidérantes »,

lit-on sur le site. 

« De 2014 à 2019, une poignée de ces organisations a récolté 319 921 483 USD en recettes brutes. »

Plus de 200 organisations, surtout installées en Palestine, et un grand nombre d’activistes ont soutenu la campagne.

L’activiste palestinien Mohammed el-Kurd dans le district annexé de Sheikh Jarrah, à Jérusalem-Est. L’affiche en arabe dit : « Le droit à un logement est un droit sacré ». (Photo : AFP)

Bana Abou Zoulouf, qui est membre de l’organisation de masse installée en Palestine, Good Shepherd Collective (Collectif du bon berger), a expliqué à MEE :

« Il ne suffit pas de dire que les colonies sont illégales. Certes, il nous faut protester, mais les protestations ne peuvent consister uniquement à râler, elles doivent également être connectées à un changement structurel tactique. Il existe des organisations qui développent et financent ces colonies et ces organisations portent des noms ! »

Defund Racism a instauré un partenariat avec al-Awda New York, la coalition pour le droit au retour en Palestine, et ils ont l’intention de dénoncer la malhonnêteté qui sous-tend le fait de prétendre que financer des colonies illégales est un acte « de bienfaisance ». En juillet, devant l’habitation new-yorkaise de Yaakov Fauci, l’avocate des droits humains Lamis Deek a expliqué que l’immunité totale garantie à Fauci et à ses semblables par l’Europe et par les États-Unis normalisait le nettoyage ethnique des Palestiniens.

« C’est une violation de la loi fédérale des États-Unis interdisant aux Américains de s’engager dans des crimes de guerre et des actes de génocide »,

a déclaré Lamis Deek.

« Il est choquant qu’il y ait impunité pour des actes de violence aussi flagrants et c’est une indignité que l’État de New York abrite activement, encourage et glorifie une telle violence. »

 

Des changements structurels

Finalement, toutefois, cette campagne, à l’instar d’une bonne partie de l’activisme développé en faveur de la justice en Palestine au fil des années, ne concerne pas que les droits palestiniens. Outre le fait qu’elle lève un coin du voile sur les abus dont sont victimes les Palestiniens, cette campagne concerne également le démantèlement des façons dont les structures américaines 501 (c) (3) financent aussi le suprémacisme blanc et autres organisations de haine. Par conséquent, dans son rapport de 2020, le Southern Poverty Law Center (Centre juridique sur la pauvreté dans le Sud), par exemple, disait ceci :

« Ces dernières années, de nombreuses institutions de bienfaisance ont été utilisées par des donateurs pour soutenir indirectement des organisations qui se servent de leur statut fiscal du non-marchand pour rechercher activement des fonds destinés à promouvoir le racisme et l’intolérance. En 2013 et 2014, par exemple, le National Policy Institute (Institut sur la politique nationale), une organisation lancée par le dirigeant nationaliste blanc Richard Spencer, a reçu deux dons anonymes de type Donor-Advised Fund (DAF – Fonds orienté par les donateurs) émanant de la Fondation communautaire pour la Région centrale du fleuve Savannah. Spencer a utilisé le National Policy Institute afin de prôner un « ethno-État » qui constituerait un « espace sécurisé » pour les blancs. »

Un an plus tôt, en, mai 2019, la branche californienne du Conseil des relations islamiques américaines avait publié « Hijacked by Hate : American Philanthropy and the Islamophobia Network (Piratée par la haine : la philanthropie américaine et le réseau de l’islamophobie), un rapport répertoriant les flux du financement émanant des fondations exemptes d’impôt à destination des organisations s’intéressant particulièrement à l’anti-islamisme.

Comme le dit Defund Racism dans son toolkit :

« Cette campagne visant à décoloniser le système non marchand américain est une façon pour nous de pouvoir connecter les mouvements de résistance. C’est une façon de pouvoir combattre simultanément l’antisémitisme et le colonialisme, selon des méthodes intelligentes qui peuvent déboucher sur des changements structurels. Nous lançons un appel afin que soit mis fin à ce financement du racisme – de tous les racismes. Vous nous rejoignez ? »


Publié sur Middle East Eye le 1er septembre 2021

Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

Nada Elia

Nada Elia

Nada Elia est une intellectuelle activiste palestinienne, auteure et organisatrice de mouvements citoyens. Elle termine actuellement un ouvrage sur l’activisme de la Diaspora palestinienne.
Nada Elia est également membre du collectif de pilotage de la Campagne américaine pour le boycott universitaire et culturel d’Israël.

Print Friendly, PDF & Email

Vous aimerez aussi...