Il n’y a rien de volontaire dans le fait de fuir Gaza et les bombes américaines

Dimanche, Bezalel Smotrich, le ministre israélien des finances, a encouragé le nettoyage ethnique des Palestiniens de la bande de Gaza lors d’une interview accordée à la radio de l’armée.

Les Palestiniens de Gaza fuient vers le sud de Rafah et craignent d’être forcés de se rendre en Égypte par les forces d’occupation israéliennes. (Photo : Ismael Mohamad / UPI)

Les Palestiniens de Gaza fuient vers le sud de Rafah et craignent d’être forcés de se rendre en Égypte par les forces d’occupation israéliennes. (Photo : Ismael Mohamad / UPI)

 

Michael F. Brown, 1er janvier 2024

« Il nous faut encourager l’immigration à partir de là. S’il y avait 100 000 ou 200 000 Arabes dans la bande et non 2 millions, toute la discussion autour du jour d’après [la guerre] serait entièrement différente »,

a-t-il affirmé.

« Ils veulent s’en aller. Cela fait 75 ans qu’ils vivent dans un ghetto et ils en ont besoin. »

Samedi soir, Smotrich avait déclaré aux infos de Channel 12 :

« Je suis partisan de modifier complètement la réalité à Gaza, après avoir eu une conversation sur les colonies dans la bande de Gaza (…) Il va nous falloir gouverner là pendant longtemps (…) Si nous voulons y être présents militairement, nous devons aussi y être de façon civile. »

Il a en outre prétendu que

« les Gazaouis ne sont pas innocents »

et a encouragé ce qu’il a trompeusement qualifié d’« émigration volontaire ».

Itamar Ben-Gvir, le ministre israélien de la sécurité nationale, s’est rapidement mis au même diapason.

Il considère l’offensive contre les Palestiniens de Gaza comme une

« opportunité de se concentrer sur l’encouragement de la migration des résidents de Gaza ».

Et d’ajouter :

« Nous ne pouvons nous retirer d’aucun territoire dans lequel nous nous trouvons dans la bande de Gaza. Non seulement je n’exclus pas de colonie juive là-bas, mais je crois que c’est également une chose importante. »

 

 

Tally Gotliv, une femme membre de la Knesset, le parlement israélien, a tweeté en gros la même chose le 28 décembre. Israël, a-t-elle affirmé,

« devrait déclarer sans crainte l’occupation et le contrôle du nord de la bande de Gaza » et y établir en même temps des bases militaires et des colonies.


Smotrich, Ben-Gvir et Gotliv
– cette dernière est membre du parti de Benjamin Netanyahou, le Likoud – ne sont pas les seuls de la gent politique israélienne à faire preuve de cette détermination à coloniser à nouveau Gaza.

On constate une inquiétude croissante chez les Palestiniens de voir Israël combiner une reprise des activités illégales de peuplement à Gaza avec le nettoyage ethnique des Palestiniens.

Mouin Rabbani, corédacteur en chef de Jadaliyya, faisait remarquer récemment que

« les sonnettes d’alarme auraient dû se mettre à retentir au début novembre quand le secrétaire d’État américain Antony Blinken et d’autres hommes politiques occidentaux ont commencé à insister pour qu’il n’y ait ‘pas de déplacement forcé de Palestiniens hors de Gaza’ ».

Il ajoutait :

« Plutôt que de rejeter tout déplacement massif de Palestiniens, Blinken et ses collègues n’avaient d’objection que contre les expulsions à la pointe du fusil, optiquement contestables. L’option du ‘déplacement volontaire’ en ne laissant aux résidents de Gaza aucun autre choix en dehors du départ était ostensiblement laissée vacante. »

 

Rabbani fait sans doute allusion à une déclaration de Blinken à Tokyo disant que le département d’État s’était référé à The Electronic Intifada quand on l’avait interrogé sur les craintes des Palestiniens d’être forcés d’aller en Égypte par centaines de milliers et de ne jamais pouvoir revenir.

Là, à Tokyo, Blinken avait parlé des « conditions pour une paix et une sécurité durables ». Il avait affirmé :

« Les États-Unis croient que, parmi les éléments clés, ne devraient pas figurer le déplacement forcé de Palestiniens de Gaza – ni maintenant, ni après la guerre ».

Lors de cet entretien, Blinken avait également affirmé :

« Pas de réoccupation de Gaza après la fin du conflit. Pas de tentative de blocus ou de siège de Gaza. Pas de réduction du territoire de Gaza. »

Toutes ces choses – la réoccupation, le siège et la réduction territoriale – se jouent pour l’instant à grande échelle.

Le département d’État n’a pas répondu à une question posée fin décembre par The Electronic Intifada sur le nombre de Palestiniens qui ont quitté Gaza depuis le 7 octobre. Un porte-parole a toutefois fait remarquer que,

« depuis le 1er novembre, des groupes de ressortissants étrangers, y compris des citoyens américains, avaient volontairement quitté Gaza en empruntant le passage de Rafah ».

Le porte-parole avait ajouté :

« Nous avons aidé plus de 1 300 citoyens américains, résidents permanents des EU en toute légalité et membres de leurs familles à quitter Gaza. »

La notion de « départ volontaire de Gaza » est inquiétante, précisément comme dans la mise en garde de Rabbani.

Il n’y a rien de volontaire dans le fait de quitter Gaza sous les bombardements massifs d’Israël avec des bombes de fabrication américaine quand 1 pour 100 des habitants de Gaza ont été tués, plus de 2 pour 100 blessés et 85 pour 100 déplacés, fuyant sans arrêt du nord vers le sud, mais sans jamais trouver d’endroit sûr.

 

Le blanchiment par CNN

Ron Dermer, le ministre israélien des affaires stratégiques et membre du cabinet de guerre du pays, a été chargé par Netanyahou d’élaborer un plan en vue de « réduire » la population de Gaza, et il se trouvait à Washington la semaine dernière. Aucun aspect de ce plan – ne serait-ce que la confirmation de son existence – n’a été abordé par CNN lors de la visite de Dermer.

Danny Danon, un membre de la Knesset, a tenté de désarmer les dirigeants occidentaux via une formule allégée de nettoyage ethnique – un exil « volontaire » prétendument plus doux, plus gentil – en écrivant dans un article d’opinion publié par The Wall Street Journal :

« Une idée serait que les pays du monde entier acceptent un nombre limité de famille gazaouies qui ont exprimé le désir de se recaser ».

C’est le même Danon qui, en 2011, parlait de « détruire » des quartiers de Gaza pour « chaque missile qui tombe » dans le sud d’Israël.

Il y a quelques jours à peine, il affirmait :

« Je parle de migration volontaire de la part des Palestiniens qui veulent s’en aller. » Chaque bombe, chaque obus d’Israël qui entre dans une maison palestinienne fait mentir l’idée que le moindre de ces départs puisse être « volontaire ».

Rien de tout ceci n’a été évoqué avec Danon sur CNN, alors que des quartiers sont « effacés » en compagnie des personnes, des rêves et de la beauté qu’il y a en eux. Au lieu de cela, on lui a donné le feu vert pour qu’il parle de « dénazification » de Gaza, même si c’est bel et bien Israël qui poursuit une politique génocidaire.

Ce refus d’affronter les responsables israéliens quant à leur culpabilité suit exactement la même ligne que la mauvaise volonté de CNN de soulever ne serait-ce que l’appel au nettoyage ethnique et au génocide des Palestiniens par Michele Bachmann, ancienne candidate républicaine à la présidente et actuellement doyenne de la Regent University de l’État de Virginie.

Le silence vient du même réseau qui a suivi sans relâche, comme un seul homme, les présidents d’université de Harvard, de Penn et du MIT ainsi que la notion trompeuse disant que les appels des campus en faveur de l’intifada et celui disant « du fleuve à la mer, la Palestine sera libre », sont génocidaires.

« Il est temps », dit Bachmann, « que ce soit la fin de Gaza. »

Et d’ajouter :

« Les deux millions de personnes qui y vivent son des assassins malins. Ils doivent être éloignés de cette terre. Cette terre doit être transformée en un parc national. »

 

 

Dans une déclaration diffusée par un porte-parole de l’université, Bachmann a affirmé :

« Je n’ai demandé ni la mort ni la relocalisation forcée d’aucun Gazaoui. »

 

Des armes américaines

Blinken et les hauts responsables israéliens se sentiraient parfaitement chez eux avec cet euphémisme : pas de « relocalisation forcée ».

Il s’agit juste d’une fuite volontaire sous la terreur des bombes anti-bunker américaines explosant au travers des quartiers – dont le camp de réfugiés de Jabaliya – à Gaza.

Et ce ne sont pas les seules armes.

Pour la deuxième fois en décembre, l’administration Biden a contourné le Congrès avec son aide militaire urgence à Israël. Cette fois, il s’agissait de 147,5 millions de USD en accessoires d’obus de 155 mm (fusées, amorces et charges).

 

La Defense Security Cooperation Agency (Agence de coopération sécuritaire de la défense) faisait remarquer le 29 décembre :

« La vente proposée de cet équipement et ses supports n’altéreront pas l’équilibre militaire fondamental dans la région. Il incombe à tous les pays d’employer des munitions qui respectent les lois humanitaires internationales. »

N’empêche qu’Oxfam a écrit en octobre que

« l’emploi par Israël de ce genre de munition dans des conflits antérieurs prouve que son usage serait virtuellement assuré de manquer de discernement, serait illégal et dévastateur pour les civils de Gaza ».

Un porte-parole du département d’État américain a dit samedi à The Electronic Intifada que

« la politique américaine de transfert d’armes conventionnelles reconnaît que les considérations de droits humains et de protection des civils sont essentielles pour les décisions portant sur les transferts d’armes et pour la sécurité nationale des EU – c’est vrai pour chaque pays, y compris Israël ».

La porte-parole d’ajouter :

« Nous continuons d’insister fortement auprès du gouvernement d’Israël pour qu’il doive non seulement respecter les lois humanitaires internationales (LHI), mais également entreprendre toutes les démarches envisageables pour empêcher de faire du tort aux civils. »

Pourtant, en décembre, le président Biden lui-même avait affirmé qu’Israël était engagé dans

« des bombardements sans le moindre discernement ».

Cela signifie des crimes de guerre.

Josh Paul, un expert en armes qui a démissionné de ses fonctions au département d’État en octobre, a dit de la vente :

« C’est honteux, c’est lâche et, franchement, cela devrait retourner l’estomac de tout être humain décent. »

Une fois de plus, avec ces obus, jugés comme frappant sans discernement par Oxfam, Biden implique directement son administration dans les crimes d’Israël contre le peuple palestinien.

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Publié le 1er janvier 2023 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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