Le prisonnier Marwan Barghouti et les élections palestiniennes
Comment le prisonnier Marwan Barghouti est-il soudainement devenu le « faiseur de roi » dans l’arène palestinienne ?
Abdelbari Atwan, le 1er avril 2021
Le président palestinien Mahmoud Abbas pourrait regretter d’avoir convoqué des élections législatives palestiniennes pour le mois prochain. A la clôture des dépôts de listes, les choses ne se présentent pas bien pour son mouvement Fatah. 3 des 36 listes de candidats enregistrées auprès de la commission électorale – dont 13 ont été approuvées à ce jour – sont des listes rivales du Fatah :
–La liste officielle du Fatah, dirigée par le numéro deux d’Abbas, Mohamed Al Aloul, et comprenant cinq autres membres du comité central du Fatah.
-La liste « Liberté » constituée par le leader du Fatah emprisonné Marwan Barghouti et l’ancien diplomate Nasser Al Qidwa, neveu de feu Yaser Arafat.
–La liste « Avenir » parrainée par Mohamed Dahlan, l’ancien chef de la sécurité de Gaza basé aux Émirats arabes unis, qui a ensuite été exclu du Fatah.
Il s’agit d’un clivage sans précédent au sein du mouvement politique palestinien dominant, qui menace non seulement de le priver d’une majorité au sein du corps législatif, mais aussi de son rôle historique de leader et du contrôle de l’Autorité palestinienne (AP), de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et d’autres institutions palestiniennes telles que le Conseil national et le Conseil central.
Et si les divisions du Fatah signifient que son vote sera fragmenté, son principal rival, le Hamas, a présenté une liste unique bénéficiant du soutien solide de sa base électorale en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.
Les derniers sondages d’opinion indiquent que la liste de Barghouti bénéficie du soutien de 28 % des électeurs, les listes pro-Abbas et du Hamas obtenant 22 % chacune. Cela signifie qu’une alliance entre Barghouti, le Hamas et d’autres factions, ce qui est probable, pourrait obtenir une majorité au sein de l’assemblée législative et former le prochain gouvernement. Le leader parlementaire de cette alliance deviendrait également président intérimaire de l’AP si le poste devenait vacant.
Barghouti a résisté aux pressions et aux incitations des autres dirigeants du Fatah – transmises par Hussein Ech Cheikh qui a été envoyé le voir dans sa prison israélienne – et on s’attend maintenant à ce qu’il défie Abbas lors de l’élection présidentielle qui doit suivre le vote législatif.
Il a été dit au sein du Fatah que la raison pour laquelle Abbas a nommé Aloul à la tête de la liste du Fatah était d’éviter d’avoir à nommer un successeur à la présidence de l’AP afin de conserver la loyauté des membres de son cercle intime. Il souhaite apparemment que la succession soit décidée après son départ, en partant du principe que le Fatah contrôle le corps législatif et qu’Aloul en est le président.
Mais c’était avant la bombe de l’alliance de Barghouti avec Qidwa. Défiant les menaces d’expulsion du mouvement, les deux hommes semblent déterminés à évincer Abbas et son entourage et à revigorer et reconstruire le Fatah.
Le conseiller d’Abbas, Nabil Shaath, a reconnu dans une interview qu’il existait des divergences et des divisions au sein du mouvement, mais a prédit que la liste Barghouti-Qidwa se retirerait avant les élections. Cela ressemble à un vœu pieux. Barghouti a refusé d’avoir une deuxième rencontre avec Ech Cheikh, et Aloul a essayé de cajoler sa femme Fadwa dans des discussions qui ont duré jusqu’à 3 heures du matin, mais n’a pas réussi à la persuader de ne pas enregistrer la liste rivale auprès de la commission électorale.
Il est de plus en plus douteux que l’élection se déroule comme prévu. Selon les sceptiques, si Mahmoud Abbas estime que sa liste ne peut obtenir la majorité, il pourrait prendre prétexte du refus d’Israël d’autoriser les habitants de Jérusalem-Est à participer au scrutin pour l’annuler.
Barghouti est devenu le faiseur de roi de la politique palestinienne. Sa popularité dépasse les frontières du Fatah et touche un large éventail de Palestiniens à l’intérieur et à l’extérieur de la Palestine. Il est perçu comme étant au-dessus des partis et des factions, et représente donc le plus grand défi pour Abbas et son entourage et leur monopole du pouvoir.
La préparation des élections et l’engagement de l’opinion publique palestinienne ont eu pour effet de jeter un pavé dans une mare stagnante. Que le scrutin ait lieu ou qu’il soit reporté, la main de fer des dirigeants sur le pouvoir se desserre et du sang neuf est injecté dans le corps politique palestinien. Nous approchons d’une nouvelle étape, avec une nouvelle direction, pour laquelle la priorité revient à la résistance à l’occupation par tous les moyens disponibles. Cela devrait impliquer le retrait de tous les arrangements découlant des accords d’Oslo, en particulier la coopération en matière de sécurité, et peut-être la dissolution de l’AP elle-même.
Publié le 1er avril 2021 sur le site Rai al-Youm
Traduction : Fausto Giudice, Tlaxcala
Abdel Bari Atwan est le rédacteur en chef du site Rai al-Youm (“L’opinion d’aujourd’hui”, un site qui se veut nationaliste arabe, antisaoudien et antisioniste). Il est l’ancien directeur du quotidien Al-Quds Al-Arabi et l’auteur de L’histoire secrète d’al-Qaïda, de ses mémoires, A Country of Words, et d’Al-Qaida : la nouvelle génération. Vous pouvez le suivre sur Twitter : @abdelbariatwan
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