Gaza : Les étudiant.e.s en médecine, en lutte pour l’obtention de leurs diplômes

Aseel est l’une des 73 étudiant.e.s en médecine (sur une classe de 123) qui travaillent sur le côté depuis 2015 pour devenir médecins mais qui ne pourront avoir leur diplôme tant qu’ils ou elles n’auront pas payé le solde de leurs frais de scolarité.

Les étudiants de l’actuelle dernière année de médecine. Sur l’un des écriteaux, on peut lire : « C’est l’amour, qui motive la médecine. » (Photo : WANN)

Israa Mohammed Jamal, 17 juillet 2021

Pourquoi avez-vous inscrit votre fille dans une branche qui coûte si cher ? Si elle était ma fille, je ne la ferais pas entrer à l’école de médecine… Tel était l’un des commentaires typiques entendus par la mère d’Aseel Abu Nada après que sa fille avait décidé d’obtenir un diplôme de médecine. Et Aseel comprend pourquoi.

« Ma famille a connu bien des problèmes, pour payer mes frais de scolarité au cours de ces six années et même cela n’a pas suffi »,

explique Aseel.

« Je dois toujours 2 470 dollars à mon université et je vais devoir les payer avant d’obtenir le diplôme pour lequel j’ai tellement travaillé. »

Aseel. (Photo : WANN)

Aseel est l’une des 73 étudiant.e.s en médecine (sur une classe de 123) qui travaillent sur le côté depuis 2015 pour devenir médecins mais qui ne pourront avoir leur diplôme tant qu’ils ou elles n’auront pas payé le solde de leurs frais de scolarité. Pour les aider, l’Union des étudiants en médecine de l’Université islamique de Gaza (UIG) a lancé une campagne de récolte de fonds dans le but de réunir 30 000 dollars.

« Soixante-treize, ce n’est pas qu’un chiffre », dit l’union sur sa page de campagne.

« Chaque étudiant.e a derrière lui ou elle toute une histoire de souffrance, avec les familles qui sont là, impuissantes, incapables de couvrir les frais de scolarité de leurs enfants en raison de leur situation  économique pénible. »

Aseel vit dans une famille de huit personnes, dont deux frères qui étudient également la médecine. Malgré ce fardeau, la mère a constamment soutenu financièrement la poursuite de leurs études. En tant que fille aînée, Aseel éprouve un sentiment particulier de responsabilité – non seulement en raison des vicissitudes financières de sa famille, mais également en vue de pouvoir utiliser ses compétences (dès qu’elle pourra pratiquer) afin d’aider à trouver un traitement contre le kératocône de sa mère (un état de l’œil qui complique grandement sa concentration pendant qu’elle assure de longues heures de travail comme infirmière dans une clinique gouvernementale. (Une fois qu’Aseel aura payé son diplôme intermédiaire, elle devra encore accomplir une année en tant qu’interne et, ensuite, cinq années d’études spécialisées en ophtalmologie.)

« Je me souviens encore de mon premier jour, quand je suis allée au Département des affaires estudiantines pour m’enquérir des spécialités proposées par l’université »,

rappelle Aseel.

« Mais l’université n’avait plus d’argent pour cela. Une année seulement s’était écoulée depuis la guerre la plus intense d’Israël contre Gaza. »

Aujourd’hui, Gaza vient juste de surmonter une autre guerre israélienne, et le secteur de la santé est au bord du gouffre. La ministre palestinienne de la Santé, Mai Al-Kila, rapporte que 89 centres de traitement et ambulances ont été touchés et que de nombreux membres du personnel soignant et médecins ont été blessés (deux médecins ont d’ailleurs été tués). Aseel et ses condisciples sont douloureusement attendus.

J’ai interviewé Omar Riad al-Najjar, un étudiant de quatrième année de la Faculté de Médecine de l’UIG qui coordonne l’initiative en vue de contribuer à couvrir les frais de scolarité d’Aseel et de ses condisciples.

Combien cela coûte-t-il d’étudier la médecine à l’UIG ?

Décrocher un diplôme en médecine générale requiert six années académiques, réparties en 17 semestres. Il y a en tout 247 heures académiques. Le coût d’une heure d’enseignement est de 70 dinars jordaniens, soit 99 dollars américains – ce qui se traduit par 4 000 dollars par an et 24 453 dollars pour la totalité des six années d’études. Puis, naturellement, il y a d’autres frais pour les manuels, les syllabus, l’équipement médical, les déplacements entre la maison et l’université, etc.

Quelle est la raison du manque critique de ressources humaines parmi les étudiants en médecine de Gaza ?

Selon le Bureau central des statistiques, le taux de chômage à Gaza est de 49 pour 100, actuellement. De très nombreux parents n’ont pas le moindre revenu. Même ceux qui travaillent ne gagnent que très, très peu. L’ONU rapporte que le revenu moyen à Gaza est de l’ordre de 2 000 dollars par an, ce qui représente précisément la moitié des frais de scolarité ! Le ministère des Affaires sociales rapporte que le taux de pauvreté a atteint 75 pour 100, avec 34 pour 100 en dessous du seuil extrême de pauvreté. C’est le plus élevé au monde.

Quels sont les besoins dans la classe d’Aseel ?

D’après le doyen des affaires estudiantines à l’UIG, les 73 étudiants en quête de diplôme qui ne peuvent payer complètement leurs frais doivent en moyenne 3 500 dollars chacun. Pour payer tout ce qu’ils doivent, nous devrions disposer de 258 000 dollars. Ils ne peuvent s’engager dans le système palestinien des soins de santé ni se mettre à pratiquer tant que ces frais n’auront pas été payés. Ils étaient censés se voir décerner leurs diplômes le 5 juillet. 

Comment s’arrangera-t-on pour que les étudiant.e.s soient prioritaires, pour cette aide ?

Nous organisons notre campagne de collecte de fonds là où il y a des stages dans le but d’aider les plus nécessiteux d’abord. Nous nous sommes mis d’accord avec le doyen des affaires estudiantines pour que les étudiants deviennent prioritaires et ce, en fonction de ce qu’ils doivent et des difficultés économiques rencontrées par leur famille, et cela a été déterminé grâce à une étude sur le terrain réalisée par l’université.

Quelques profils d’étudiant.e.s dans le besoin

Iyad Haider al-Basous

Iyad vient d’une famille de sept ; il a une sœur qui compte obtenir un diplôme dans une école médicale, elle aussi, pour autant que la famille puisse réunir l’argent nécessaire. Iyad a commencé ses études de médecine en 2013 au Yémen, mais il est retourné à Gaza après un an et demi en raison de la guerre civile qui sévissait au Yémen même.

Iyad. (Photo : WANN)

Par bonheur, l’UIG a admis Iyad et, au début, il a été en mesure de payer les frais. Mais, comme l’économie de Gaza n’a cessé d’empirer, les choses ont changé.

« Après ma quatrième année, j’ai dû me mettre à emprunter de l’argent à des proches et des amis. Même de la sorte, je dois 4 000 dinars jordaniens (5 641 dollars). C’est un montant énorme pour ma famille »,

explique Iyad, dont le père travaille pour l’Autorité palestinienne et, par conséquent – en raison de la dispute entre l’AP et le gouvernement de Gaza –, ne perçoit que 70 pour 100 de son salaire.

Reham Imad al-Zumt

Reham, qui est sur le point d’avoir son premier enfant, a terminé sept années d’études.

« À l’université, j’ai commencé à étudier les sciences de la santé mais, quand mes bons résultats m’ont permis d’être la deuxième de ma classe, je suis passée à la Faculté de Médecine »,

explique Reham.

« Lors de mes première et deuxième années, j’ai bénéficié d’une bourse mais, à mesure que les examens devenaient de plus en plus difficiles, je n’ai plus pu obtenir de bourse. Pour pouvoir continuer, je n’ai plus payé qu’une fraction de mes frais de scolarité mais, cette fois, je dois tout payer, soit 4 000 dinars, pour obtenir mon diplôme. Mon mari ne dispose pas d’un emploi permanent, et ce montant à payer est très exorbitant, pour nous. »

Alaa al-Akkad

Alaa vient d’une famille de dix. Comme Iyad, son père travaille pour l’Autorité palestinienne et ne reçoit donc pas la totalité de son salaire.

« Après avoir terminé mes études secondaires en 2015, j’ai commencé à envisager ce dont je rêvais, c’est-à-dire devenir médecin »,

rappelle-t-il.

« J’espérais me rendre à l’étranger, mais il y a pénurie de bourses et, même si vous en décrochez une, les sorties de Gaza sont souvent fermées. Ma seule solution était d’étudier à l’Université islamique, ici. »

À l’université, Alaa s’est distingué, en devenant le rédacteur en chef des journaux médicaux de Gaza.  

« Toutefois, maintenant, je suis aux portes des examens de l’année terminale et j’ai été empêché de m’y présenter en raison des nombreux frais qui se sont accumulés »,

dit-il, et d’ajouter que deux de ses frères ont décroché de l’université du fait qu’ils ne pouvaient plus payer leurs frais de scolarité.

« Tous, nous avons suivi notre rêve de pratiquer la médecine et de prendre soin de notre peuple à l’issue de six années de fatigue et de lutte et, aujourd’hui, tout cela peut déboucher sur rien du tout. Mais nous ne perdrons pas l’espoir. »


Publié le 17 juillet 2021 sur We are not Numbers
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

Israa Mohammed Jamal est diplômée en littérature anglaise et mère de cinq enfants de 2 à 11 ans, Israa vit à Rafah, une ville du sud de la bande de Gaza, et elle adore s’exprimer par le biais du langage. Elle écrit ceci : “Notre existence est remplie de nombreux problèmes étouffants, du fait que nos esprits et nos coeurs sont occupés. J’essaie par l’écriture de remplacer l’obscurité et les pensées pessimistes par la lumière et l’optimisme. We Are Not Numbers me donne la possibilité de m’envoler dans le ciel de mon ambition, bien que je sois palestinienne et que je vive en Palestine occupée.”

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