Israël en état d’implosion à propos de Ben & Jerry’s

Le fabricant de friandises glacées Ben & Jerry’s a décidé de cesser de vendre sa crème glacée dans les colonies israéliennes de Cisjordanie occupée. Le mouvement BDS – boycott, désinvestissement et sanctions – palestinien a célébré une victoire venue après des années de campagne citoyenne.

« Nous accueillons chaleureusement cette décision mais demandons à Ben & Jerry’s de mettre un terme à toutes ses opérations dans l’État d’apartheid qu’est Israël », a ajouté le Comité national BDS.

 

Caricature de Carlos Latuff

Caricature de Carlos Latuff

Ali Abunimah, 21 juillet 2021

Le ministre israélien des Affaires étrangères Yair Lapid considère la démarche de Ben & Jerry’s comme

« une infâme capitulation devant l’antisémitisme, devant BDS et devant tout ce qu’il y a de mal dans le discours anti-israélien et antijuif ».

Israël n’a pas un seul bon argument pour défendre sa colonisation illégale de la terre palestinienne occupée. Ainsi, il noircit pratiquement tous ceux – en les traitant de fanatiques antijuifs – qui se montrent critiques ou entreprennent des actions en vue de dénoncer ou de contrer ses crimes et abus.

Lapid a également exprimé l’intention d’insister auprès de plus de vingt-cinq États américains qui ont adopté des lois visant le mouvement « afin qu’ils appliquent ces lois contre Ben & Jerry’s ». Et d’ajouter :

« Ils ne traiteront pas comme cela l’État d’Israël sans se voir opposer une riposte. »

« Une crème glacée anti-israélienne »

Le Premier ministre israélien Naftali Bennett s’est adressé à Alan Jope, CEO d’Unilever, la multinationale propriétaire de Ben & Jerry’s, pour le mettre en garde contre des « conséquences sévères ».

« Il y a de nombreuses marques de crème glacée, mais un seul État juif »,

a ajouté Bennett.

« Ben & Jerry’s a décidé de se faire passer pour la crème glacée anti-israélienne par excellence. »

Mardi, Gilad Erdan, l’ambassadeur d’Israël aux États-Unis, a publié une lettre qu’il avait adressée aux gouverneurs de 35 États américains, dénonçant l’action de Ben and Jerry’s comme « antisémite ». Erdan a invité instamment les responsables à « envisager de se prononcer » et à adopter des mesures punitives,

« y compris en relations avec les lois de votre État et les tractations commerciales entre Ben & Jerry’s et votre État ».  

Les lois anti-BDS sont largement perçues comme des tentatives anticonstitutionnelles de d’imposer des opinions politiques pro-israéliennes aux citoyens et entités américains. Les tribunaux fédéraux du Kansas, de l’Arkansas, du Texas, de l’Arizona et de la Géorgie ont déjà annulé leurs principales dispositions anti-BDS qui violent les protections du Premier Amendement concernant la liberté d’expression et d’opinion politique. Israël s’était précédemment attribué le mérite d’avoir contribué à faire passer en premier lieu un grand nombre de ces lois inconstitutionnelles.  

Ben & Jerry’s avait déjà mis en colère Israël et ses groupes de lobbying à la fin des années 1990 quand, sous pression de militants, il avait cessé d’utiliser de l’eau de source pillée dans les hauteurs du Golan, appartenant à la Syrie et occupées par Israël.

Une terre brûlée

Certains des activistes pro-israéliens invitent également les corps religieux juifs dans le monde entier à retirer le label casher octroyé aux produits de Ben & Jerry’s. En Australie, une organisation rabbinique l’a fait, rapporte-t-on. Semblable à la certification halal pour les musulmans, la certification casher attribuée par une institution rabbinique qualifiée atteste qu’un aliment a été conçu et fabriqué selon les normes religieuses juives.

Politiser de telles certifications au service d’Israël constitue une autre tentative répréhensible en vue d’assimiler des actions appropriées visant à contrer les violations des lois internationales par Israël à du fanatisme antijuif.

Cette tactique de la terre brûlée utilisée par les activistes pro-israéliens est particulièrement irréfléchie, étant donné que les fanatiques antijuifs et antimusulmans de plusieurs pays diffusent déjà des mensonges et des théories complotistes sur les certifications casher et halal dans le but de faire progresser des agendas racistes d’extrême droite.

« Tromperie »

Lancée dans une station-service du Vermont en 1978 par Ben Cohen et Jerry Greenfield, la firme Ben & Jerry’s s’est forgé une réputation de société socialement consciente. En 2000, elle a été entièrement rachetée par Unilever en 2000, mais a gardé un conseil de direction indépendant dont le fabricant de glaces prétend qu’il « a le pouvoir de protéger et défendre l’équité et l’intégrité de la marque Ben & Jerry’s ».

La décision de mettre un terme aux ventes dans les colonies israéliennes a déclenché une bataille publique entre Unilever et la direction de Ben & Jerry’s, d’une part, et le conseil de direction indépendant, d’autre part.

Lundi, Ben & Jerry’s a sorti une déclaration annonçant :

« Nous croyons qu’il est contraire à nos valeurs que la crème glacée de Ben & Jerry’s soit vendue dans les territoires palestiniens occupés. (…) Nous avons un long partenariat avec notre filiale, qui fabrique de la crème glacée Ben & Jerry’s en Israël et qui la distribue dans la région »,

a ajouté la société.

« Nous avons œuvré en vue de changer cela et c’est ainsi que nous avons informé notre filiale que nous ne renouvellerions pas le contrat de sous-traitance quand il viendrait à expiration à la fin de l’année prochaine. »

La dernière phrase de la déclaration affirme que, si les produits Ben & Jerry’s ne seront plus vendus en Palestine occupée, « nous resterons en Israël par le biais d’un arrangement différent » – dont les détails seront annoncés plus tard.

Unilever a sorti une déclaration séparée affirmant : « Nous restons pleinement engagés à assurer notre présence en Israël. » En ce qui concerne sa succursale, Unilever a ajouté qu’il « reconnaissait le droit de la marque et de son conseil de direction indépendant à prendre des décisions relatives à sa mission sociale ».

« Nous accueillons favorablement aussi le fait que Ben & Jerry’s resteront en Israël », a affirmé Unilever. Le conseil de direction indépendant a rejeté cette dernière phrase. La déclaration faite par la direction de Ben & Jerry’s « ne reflète pas la position du conseil de direction indépendant, pas plus qu’elle n’a été approuvée par ce même conseil indépendant », a-t-on appris dans une déclaration séparée émanant du conseil.

Le conseil déclare que la déclaration qu’il a approuvée diffère de celle qui a en fait été faite par Ben & Jerry’s. Elle n’inclut pas le moindre engagement à « rester en Israël ».

Unilever et le CEO de Ben & Jerry’s ont adopté une position et publié une déclaration sur une question concernant directement « la mission sociale et l’intégrité de la marque » sans l’approbation du conseil directorial indépendant, a déclaré ce dernier. Cela place les sociétés dans une position de « violation de l’esprit et de la lettre » de l’accord dégagé quand Unilever a acquis Ben & Jerry’s, a ajouté le conseil.

La présidente du conseil Anuradha Mittal n’a pas répondu aux questions que lui a posées The Electronic Intifada, mais elle a déclaré sur NBC News :

« Je suis attristée par cette tromperie. (…) Je ne puis m’empêcher de penser que c’est ce qui arrive quand vous avez un conseil avec toutes des femmes et des personnes de couleur qui ont insisté pour qu’on fasse ce qu’il était bon de faire »,

a ajouté Mittal.

Un effet boule de neige

En dépit de ces divergences, Israël considère le retrait de Ben & Jerry’s, même de ses colonies en Cisjordanie comme un coup majeur et un précédent dangereux. L’affaire tombe au beau milieu d’un consensus international qui gagne du terrain et qui dit que les entreprises sont dans l’obligation de ne pas profiter ou, par ailleurs, d’être complices de la colonisation israélienne et autres abus commis aux dépens des droits palestiniens.  

Récemment, l’un des plus gros fonds de pension norvégiens a désinvesti de 16 firmes israéliennes et internationales qui tirent profit des colonies. Ceci aussi vient au milieu d’une reconnaissance croissante de ce que la politique israélienne à l’égard des Palestiniens, où qu’ils vivent, constitue un crime d’apartheid. Il ne fait pas de doute qu’Israël craint que le fabricant de crème glacée du Vermont n’ait déclenché un effet boule de neige qui aille encourager d’autres sociétés à geler également leurs activités.  

Ali Abunimah pris la parole au cours de l’émission Money Talks (La parole à l’argent) de TRT World, afin de commenter la décision de Ben & Jerry’s de cesser de vendre sa crème glacée dans les colonies israéliennes de Cisjordanie occupée. Israël fulmine de rage et menace de châtier le fabricant de friandises glacées – une réaction absolument frénétique, a-t-il dit sur TRT World. Voir vidéo ci-dessous.


Publié le 21 juillet 2021 sur The Electronic Intifada

Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

Ali Abunimah

Ali Abunimah

 

Ali Abunimah, cofondateur de The Electronic Intifada, est l’auteur de The Battle for Justice in Palestine, paru chez Haymarket Books.

Il a aussi écrit : One Country: A Bold Proposal to end the Israeli-Palestinian Impass

Lisez également :  Lettre de Khalida Jarrar à sa fille Suha Jarrar, tragiquement disparue

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