Mohammed al-Sabbagh, un Palestinien confronté aux expulsions à Sheikh Jarrah

Rencontrez Mohammed al-Sabbagh, un alerte plombier palestinien de 72 ans qui vit à Sheikh Jarrah depuis 1956. Aujourd’hui, il est devenu un porte-parole non officiel de l’un des points litigieux les plus disputés en Palestine.

Mohammed al-Sabbagh à Sheikh Jarrah, en 2020. (Photo : WCC-EAPPI)

Tom Rogers, 12 juillet 2021

Selon Mohammed al-Sabbagh, un alerte plombier palestinien de 72 ans devenu un porte-parole non officiel d’un des quartiers les plus controversés de Jérusalem-Est, le coin où il habite était l’une des rues les plus calmes de la ville. Ce n’est plus tellement le cas aujourd’hui.

Sheikh Jarrah, où Mohammed al-Sabbagh est installé depuis 1956, est aujourd’hui un haut-lieu des protestations soulevées par l’expulsion des Palestiniens par les colons israéliens. Le dernier appel de quatre familles passera devant la cour suprême israélienne en août. Alors que les tensions sont bien présentes depuis une décennie, au printemps dernier, une série de décisions de justice en vue d’expulser des familles ont relancé ces frustrations qui remontent aux années de la création d’Israël.

En février, j’ai rallié les manifestations et Mohammed et moi sommes devenus amis. On peut dire que le courant est passé tout de suite. Je vis également à Jérusalem et je m’occupe de soins aux personnes âgées, ce qui nous permet d’entretenir des liens spéciaux. Le fait qu’il a besoin d’aide pour sauver son habitation a provoqué un écho très fort chez moi.

Depuis quelques années, le quartier est soumis à d’envahissantes patrouilles de la police israélienne. La puanteur du « skunk » (un liquide à l’odeur putride aspergé par des autopompes de la police lors des manifestations) est partout. Les résidents doivent respirer toute cette puanteur qui rappelle le crottin de cheval et les vieilles chaussettes. Ces deux derniers mois, le quartier est devenu une prison, avec les check-points qui empêchent les visiteurs d’entrer dans la zone. Les barrières ont été dégagées fin juin et, moins d’une semaine plus tard, remises en place à l’intérieur même du quartier, ce qui a encore considérablement restreint l’espace dans lequel les Palestiniens peuvent évoluer.

J’ai vu la police recourir à la violence contre les résidents, au cours des manifestations. Alors que j’étais au volant, j’ai assisté à des scènes de harcèlement sur les trottoirs. Je suis très inquiet au sujet de mon ami Mohammed. Lors d’une de nos dernières conversations, il m’avait parlé avec tant de détermination. J’ai vu cette expression si souvent sur les visages d’un si grand nombre de résidents plus âgés qui savent qu’ils sont arrivés à la fin de cette route. Parfois, j’ai l’impression d’être témoin de la fin d’une vie et de la fin d’un quartier.

Le tribut des événements sur le corps de Mohammed est manifeste. Depuis le début de l’année, il a perdu du poids. En effet, de nombreux habitants du quartier sont des personnes plus âgées. La plupart des résidents menacés d’expulsion se sont installés ici durant les années 1950. 

L’histoire de la façon dont ils se sont retrouvés ici débute sur la côte de la Méditerranée en 1948. Mohammed parlait avec passion de l’ancienne propriété de la famille dans la ville côtière de Jaffa. Comme de nombreux Palestiniens de la région, la famille était très aisée, jusqu’au moment où elle a perdu ses orangeraies. Il avait ri lorsque j’avais fait remarquer un jour qu’à mon réfectoire de l’armée américaine en Allemagne, on servait des oranges Jaffa.

La dépossession de sa famille a eu lieu quand ils se sont enfuis à Jérusalem au cours de la guerre de 1948 à l’époque de l’indépendance d’Israël, une époque que les Palestiniens ont appelée la Nakba. À la fin des hostilités, ils se sont retrouvés du côté jordanien de la ligne de cessez-le-feu, en tant que réfugiés, à qui il était interdit de retourner dans l’État d’Israël nouvellement constitué. Leurs maisons, leurs plantations, tout avait été confisqué par le jeune État.

Mohammed m’a dit qu’il allait chaque année visiter l’ancienne propriété à Jaffa. Mais cela avait dû cesser quand, en avril 2020, on avait dressé une clôture militaire à proximité de la propriété. Aujourd’hui, tout ce qu’il peut encore faire, c’est d’approcher à quelque 15 mètres de la porte d’entrée de la vieille demeure familiale. 

En 1956, la famille al-Sabbagh et 27 autres, toutes sans foyer, ont obtenu à Jérusalem-Est un accord de logement avec le gouvernement jordanien et les Nations unies. Mohammed m’a dit que le marché stipulait que les Palestiniens renoncent à leur statut de réfugiés et qu’en échange, l’ONU fournirait des fonds afin de construire des logements sur des terres qui étaient la propriété du gouvernement jordanien. Plus tard, quand des extensions vinrent s’ajouter aux maisons, des frais de permis allèrent à la Jordanie. Le gouvernement jordanien était censé délivrer des actes relatifs aux maisons aux familles palestiniennes en 1959, mais cela ne s’est jamais fait.   

Puis les frontières ont changé une fois de plus, pour la famille al-Sabbagh.  

En 1967, Israël prenait possession de Jérusalem-Est, de la Cisjordanie et de Gaza. Quelques années plus tard, en 1970, Israël faisait passer une loi disant que les Israéliens détenteurs d’actes pour des terres dont le gouvernement jordanien avait repris la propriété entre 1948 et 1967, pouvaient introduire une requête en vue de recouvrer ces terres. Les Palestiniens, comme la famille al-Sabbagh, qui avait des terres à Jaffa, ne se virent pas accorder les mêmes privilèges et la propriété de la propriété familiale fut officiellement perdue pour de bon.

Selon Mohammed, l’actuelle question des expulsions a débuté en 1972, quand le Comité séfarade, puis l’Association des colonies de peuplement (un secteur des associations des propriétés juives dans le quartier avant 1948), représentée aujourd’hui par Ateret Cohanim, visèrent le terrain sur lequel sa maison avait été construite. Ils dirent qu’elle avait été achetée par des propriétaires juifs en 1885, à l’époque de l’Empire ottoman.

Ateret Cohanim, la partie civile dans l’affaire juridique entamée par Mohammed pour pouvoir rester dans sa maison, est une organisation qui cherche à transformer démographiquement Jérusalem-Est, actuellement zone palestinienne, en une zone juive. Au départ financée par des donateurs américains, elle a une vision messianique cherchant à acquérir la propriété de terres et de maisons dans les régions palestiniennes. Elle a entamé ce processus à la fin des années 1970 dans le quartier musulman de la Vieille Ville. Au foin des décennies, elle a été impliquée dans des allégations de documents frauduleux en vue de hâter l’expulsion des Palestiniens.

Compliquant les problèmes quand les al-Sabbagh et les autres familles de Sheikh Jarrah ont demandé au gouvernement jordanien de restituer les actes, les Jordaniens déclarèrent qu’ils avaient cédé les documents originaux à l’Autorité palestinienne. Pourtant, l’AP prétend qu’elle ne possède pas ces originaux. Qui plus est, en 2010, un cartographe palestinien a découvert que le gouvernement israélien avait décidé en 1968 qu’il devrait respecter l’accord entre la Jordanie et les Nations unies. Pourtant, les tribunaux israéliens n’ont pas respecté cette décision ou alors ils ont cherché des rapports de litiges concernant les actes originaux de l’époque ottomane.

Mohammed fut amené pour la première fois à comparaître au tribunal en 1982. Des colons avaient intenté un procès contre 24 familles du quartier, dont 17 s’étaient vu assigner une représentation en la personne d’un avocat de la défense appelé Tosia Cohen. En 1991, ce Cohen avant signé un accord avec le groupe de colons, accord qui faisait des familles palestiniennes les locataires et des colons les propriétaires. Il avait également négocié le paiement d’un loyer. Mohammed et les autres familles disent que Cohen avait signé l’arrangement dans les consulter et qu’il avait agi en dehors de leurs intérêts. Ils n’auraient jamais été d’accord pour être les locataires des maisons qu’ils avaient eux-mêmes construites.   

Mohammed contesta le contrat en justice et perdit le procès. Sa première ordonnance d’expulsion fut notifiée le 3 janvier 2019. Puis, le 3 novembre 2020, un juge israélien gela l’ordonnance d’expulsion. En tout, la famille de Mohammed a déjà payé 100 000 NIS en frais de justice.

Mohammed et ses voisins me disent qu’ils ont baptisé cette procédure de « Nakba en cours ».

Mohammed m’a expliqué il y a quelques semaines qu’il vivait sur un temps emprunté. Il craint qu’une autre date d’expulsion ne l’attende. Son affaire n’a pas été portée à la cour suprême israélienne, comme cela a été le cas pour d’autres familles du quartier. Cela veut dire qu’il dispose d’un peu plus de temps avant qu’une autre ordonnance d’expulsion ne le frappe. Je lui ai demandé ce qu’il ferait s’il y avait une autre ordonnance en vue de les expulser, lui et sa famille. Il m’a répondu qu’ils n’iraient nulle part. Ils vivraient dans la rue en face de leur maison. Voilà vraiment un fruit amer à avaler !


Publié le 12 juillet 2021 sur Mondoweiss
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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