BDS a besoin d’une vision politique de l’État palestinien
Haidar Eid
Jusqu’à présent, la campagne BDS a évité cette question mais, à un moment ou l’autre, il va lui falloir faire un choix.
Voilà près de quinze ans que le mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) a été lancé par la Campagne palestinienne pour le boycott académique et culturel d’Israël (PACBI).
Le but de la campagne est de contraindre Israël et ses partisans à reconnaître que le statu quo dans les territoires palestiniens et en Israël n’est pas tenable à long terme et qu’il ne peut y avoir de solution sans respect des lois internationales, de la citoyenneté et de la démocratie.
Cela signifie mettre un terme à l’occupation illégale de la Cisjordanie et au siège de Gaza, garantir l’égalité des droits en Israël pour ses citoyens palestiniens et concrétiser le droit des Palestiniens déportés dans la diaspora à regagner leurs foyers.
Aujourd’hui, la campagne BDS bénéficie du soutien de la grande majorité de la société civile palestinienne.
La marée change en Occident aussi, où le système d’oppression israélien à plusieurs niveaux, à savoir l’occupation, la colonisation et l’apartheid est de plus en plus condamné.
La société civile internationale semble en être arrivée à la conclusion que, à l’instar de l’Afrique du Sud, il ne pourra être mis fin au système israélien d’oppression sans mettre un terme également à la complicité internationale et sans intensifier la solidarité mondiale, particulièrement sous la forme de BDS.
Par conséquent, la campagne approche rapidement son intensité sud-africaine de maturité et d’impact.
Personnellement, je suis engagé dans BDS depuis son lancement et je le soutiens de tout cœur.
Toutefois, je suis également quelqu’un de préoccupé par le fait que l’attention publique se limite aux revendications immédiates de la campagne et ce, au détriment de l’élaboration d’un plan cohérent concernant l’avenir politique de la Palestine.
Autrement dit, puisque la campagne se limite à garantir que les droits des Palestiniens soient respectés, il lui manque une vision de la réalité politique dans laquelle ces droits pourront être appliqués.
La campagne BDS a été intentionnellement ambiguë quant à l’aspect que devrait revêtir l’État palestinien et il y a des raisons tactiques à cela – surtout éviter les dissensions au sein même du mouvement.
Cependant, je suis d’avis qu’opter pour le silence à propos de questions politiques importantes sur l’avenir de la Palestine constitue une mauvaise tactique.
Se concentrer sur la fin de l’occupation, sur les droits des Palestiniens en Israël et sur le droit au retour doit être placé dans un programme politique qui soutiendra la solution à un État unique.
C’est pourquoi, en compagnie d’un groupe d’universitaire et d’activistes, j’ai cofondé le Groupe pour un État démocratique unique (One Democratic State Group).
Le groupe, qui fait partie de la Campagne pour un État unique (One State Campaign), a mis en exergue un programme qui, non seulement réaffirme le droit au retour, les droits des citoyens palestiniens d’Israël et la fin de l’occupation, mais propose aussi une vision d’un État, d’un développement économique, de la justice sociale et d’une politique internationale responsable.
La prémisse centrale, c’est que la solution à deux États est morte et devrait être proclamée telle, en dépit de l’attachement que de nombreux groupes, et particulièrement de gauche, ont pour elle.
Il est temps que tous ceux qui continuent à imposer la solution à deux États au discours public en Palestine et ailleurs comprennent que la stratégie israélienne de colonisation de la Cisjordanie et d’expulsion progressive des résidents palestiniens, qui opère en direction d’une future annexion, a rendu impossible une solution à deux États.
Dans la situation actuelle, se cramponner à la vision de deux États – une solution impossible – signifie tout simplement la poursuite de l’occupation, de la colonisation et de l’apartheid.
Même si je comprends parfaitement la position adoptée par les défenseurs de l’approche reposant sur les droits, je pense quand même qu’il existe un urgent besoin de vision politique qui contribuerait à éclairer la fin du tunnel pour ces millions de personnes vivant entre le Jourdain et la Méditerranée et pour ces plus de cinq millions de réfugiés palestiniens disséminés à travers la monde.
À mon avis, le droit à l’autodétermination ne devrait pas résulter en une solution raciste dans laquelle il y aurait deux États, dont l’un qui violerait les droits de deux tiers des Palestiniens.
Autrement dit, un État israélien continuerait à traiter ses citoyens palestiniens comme des citoyens de second rang et il continuerait à refuser le droit au retour aux réfugiés palestiniens.
Il ne serait pas différent de l’Afrique du Sud gouvernée par les blancs – un État qui a donné des droits exclusifs à une race tout en excluant toutes les autres.
S’il nous faut tirer une leçon du mouvement anti-apartheid sud-africain, nous devrions dans ce cas tenir compte de sa vision politique : la démocratie, l’égalité raciale et la fin de la ségrégation.
Cette stratégie a abouti à la création d’un État démocratique laïque sur le territoire de l’Afrique du Sud, un État qui appartient à tous les Sud-Africains – exactement comme l’envisageait la Charte de la liberté de l’Alliance du Congrès sud-africain.
Ce qui sidère, c’est la façon dont certaines personnes qui ont soutenu la fin de l’apartheid ne perçoivent pas la contraction inhérente à leur soutien à un État palestinien ethnique qui concrétiserait le droit à l’autodétermination uniquement pour ces Palestiniens qui résident en Cisjordanie et à Gaza, et qui priverait en même temps la diaspora et les citoyens palestiniens d’Israël de ce droit.
Cela équivaut à soutenir le « droit » des quatre infâmes bantoustans – le Transkei, le Bophuthatswana, le Venda et le Ciskei – à l’« indépendance ».
La solution à deux États ne garantira pas la démocratie, la fin de la ségrégation et les pleins droits politiques pour tous les Palestiniens.
Elle ne procurera pas l’autodétermination à tous les Palestiniens. En fait, elle exclura les millions de Palestiniens vivant en Israël et dans la diaspora d’un État palestinien et de la reconnaissance de leurs droits.
Nous devons aller au-delà du débat « solution à un État contre solution à deux États » et tenter de poursuivre l’approche la plus adéquate – le combat basé sur les droits associé à une vision politique claire et précise qui puisse être concrétisée dans le cadre d’un État unitaire avec l’égalité garantie pour tous ses citoyens quelle que soit leur religion, leur ethnicité ou leur genre.
En ce moment même, la campagne BDS peut reporter quelque peu l’adoption d’une position mais il viendra immanquablement un moment où elle devra en adopter une.
Publié le 24 janvier 2020 sur Al Jazeera
Traduction : Jean-Marie Flémal
Haidar Eid est professeur associé à l’Université Al-Aqsa de Gaza.