Oregon (EU) : Comment les syndicats soutiennent BDS
Les principaux syndicats et fédérations travaillistes d’Oregon ont récemment adopté des résolutions sans précédent appelant à désinvestir d’une entreprise israélienne en raison de ses abus sur le plan des droits humains.
Olivia Katbi, 25 mai 2022
En mars, tant la Fédération américaine du travail et le Congrès des organisations industrielles (AFL-CIO), que la Fédération américaine des employés à l’État, au comté et à la municipalité (AFSCME), représentant collectivement plus de 300 000 travailleurs de l’État, ont adopté une résolution appelant l’État d’Oregon à désinvestir du fonds qui détient la firme israélienne de logiciels espions NSO.
La résolution invite également l’État à réaliser un audit des droits humains pour tous ses investissements futurs.
Et, voici quelques semaines à peine, l’Oregon Education Association, qui représente plus de 40 000 enseignants, a adopté une résolution similaire lors de sa convention.
L’adoption de ces résolutions vient après que de multiples enquêtes ont révélé un palmarès passablement choquant sur les violations des droits humains commises par les gouvernements qui, un peu partout dans le monde, utilisent le logiciel espion très controversé Pegasus, de la firme NSO.
Suite à ces enquêtes, NSO Group a été repris sur une liste noire établie par le département du commerce de l’administration Biden.
Le fonds public de pension de l’État d’Oregon est l’un des principaux investisseurs dans Novalpina Capital, la firme de placements privés qui a acquis NSO en 2019 – une démarche dont The Guardian a révélé récemment qu’elle avait été approuvée tacitement par les autorités de l’État d’Oregon.
Ce n’est pas la première fois que le fonds de pension de l’État d’Oregon, estimé à quelque 100 milliards de USD un peu plus tôt cette année, se retrouve sous pression. Des activistes locaux ont également insisté pour qu’il désinvestisse des carburants fossiles et des prisons privées.
Mais les responsables des finances de l’État ont prétendu à de multiples reprises qu’ils étaient incapables de désinvestir parce que cela allait « faire passer avant tout les buts politiques ou sociaux ».
Toutefois, ces affirmations semblent optionnelles et appuyées sur des « ennemis » perçus des EU.
En mars, le trésorier de l’État, Tobias Read, a déclaré qu’il envisagerait de désinvestir de holdings russes parce que « nous soutenons le peuple d’Ukraine ».
Cela implique que des entreprises comme NSO, qui a récemment été estimée comme « sans valeur » aux yeux des partisans des placements privés, constituent par ailleurs des investissements financièrement sains pour l’État.
Une solidarité croissante
Mais alors que les représentants politiques de l’État tentent d’entraver les actions de désinvestissement en faveur des droits humains et du climat, le monde du travail, lui, pousse les choses vers l’avant.
Et ses résolutions de désinvestissement reflètent la solidarité croissante des travailleurs avec les Palestiniens.
En 2021, pour la première fois aux EU, des syndicats d’enseignants à San Francisco, Seattle et Portland ont passé des résolutions de soutien à la campagne de boycott, désinvestissement et sanctions (BDS).
La résolution de désinvestissement de NSO adoptée par l’Oregon Education Association a été rédigée par un enseignant de la Parkrose Faculty Association – le syndicat de Portland qui a soutenu BDS à l’unanimité l’an dernier.
Les enseignants de Parkrose ont organisé des sessions éducatives autour de BDS pour les étudiants et le personnel lors des attaques israéliennes contre Gaza en mai 2021 et ils ont lancé le vote sur BDS quelques semaines plus tard.
En tant que coach d’athlétisme à Parkrose, j’ai pris la parole lors d’une session éducative et j’ai contribué à rédiger le texte de la résolution, dont une bonne partie a été adoptée en s’appuyant sur la résolution menée à bon port par les enseignants de San Francisco.
L’adoption de la résolution NSO par l’Oregon Education Association a été la prochaine étape logique pour les enseignants de Parkrose en vue de passer à l’action avec leur solidarité.
Et les principaux syndicats de travailleurs ont emboîté le pas.
Le texte de la résolution de l’AFL-CIO/AFSCME invite les syndicats à insister auprès du trésorier de l’État et du conseil d’investissement de l’Oregon pour qu’ils désinvestissent de « tous les fonds gérés ou anciennement gérés par Novalpina Capital », y compris le fonds NSO géré par la propriétaire de Novalpina, la firme de consultance Berkeley Research Group.
Pendant ce temps, les appels des syndicats en faveur de la réalisation d’un audit de tous les investissements de l’État – et de leur transparence annuelle – sont significatifs pour les futures campagnes BDS.
Même si NSO peut perdre certains contrats, d’autres sociétés de surveillance israéliennes et mondiales prennent déjà sa place.
La firme israélienne de logiciels, Cognyte, et sa société apparentée, Verint, ont fourni de la technologie de surveillance à des gouvernements répressifs.
Et la firme israélienne Cellebrite, par exemple, s’est vantée de l’utilisation de ses logiciels de guerre cybernétique par certains gouvernements, institutions d’application des lois et services de renseignement militaire dans plus de 60 pays.
Développer BDS dans tout le monde du travail
La résolution de l’Oregon a posé les bases d’une campagne bien plus vaste et audacieuse au sein même du mouvement ouvrier.
Une coalition centrée sur Portland, Demilitarize Portland to Palestine, s’est constituée en 2020 et a fait campagne pour désinvestir de NSO depuis l’annonce que la firme figurait sur une liste noire.
La coalition – qui regroupe Jewish Voice for Peace, Hurriyah Collective, Portland Democratic Socialists of America, Hindus for Human Rights, Critical Resistance Portland et d’autres – travaille au niveau local à Portland sur toute une série de questions, parmi lesquelles la solidarité avec la Palestine, et de nombreux syndicalistes font partie de ces organisations et ont contribué à forger ces connexions.
Les membres de la coalition ont travaillé avec des militants syndicaux pour partager des informations concernant NSO et rédiger les textes des résolutions appelant à désinvestir.
Après son adoption, la résolution de l’Oregon a été envoyée à l’organe de la direction nationale d’AFL-CIO.
Le syndicat national gère actuellement 3,6 milliards de USD sous formes d’investissements des membres.
Ce genre de partenariat peut constituer un modèle pour le travail dans lequel les activistes des droits humains devraient s’engager en compagnie des syndicats de travailleurs de tout le pays.
Utiliser des textes s’appuyant largement sur les droits humains pour auditer des investissements devrait permettre aux membres des syndicats de s’assurer que leurs fonds ne seront investis dans aucune société se livrant à des abus des droits humains au détriment des Palestiniens.
Les activistes du monde du travail pourraient auditer une large gamme de complicité des sociétés dans les crimes d’Israël contre les Palestiniens, en puisant dans les 112 sociétés répertoriées dans la banque de données du Conseil des droits de l’homme des Nations unies.
Le travail d’organisation syndicale aux EU réalise des gains inédits depuis des décennies, et ç’a été le cas très récemment avec les travailleurs de Starbucks et Amazon qui ont remporté des victoires historiques.
Les campagnes de ce type sont dirigées et soutenues par de jeunes travailleurs et activistes, y compris à Portland.
Notre section locale des Socialistes démocratiques d’Amérique (DSA) a contribué à diriger et soutenir les premiers sièges de Starbucks à être syndiqués, ceux de Portland.
Les DSA de Portland présentent également un solide palmarès dans la campagne BDS.
Ce n’est pas une coïncidence si le mouvement travailliste et le mouvement pour la Palestine s’allient – depuis très longtemps, ces deux causes sont liées.
Cette résolution de désinvestissement pose les bases d’une nouvelle génération de travailleurs de tous genres qui continueront à rassembler du soutien pour la Palestine et à transformer ce soutien en action concrète.
Après tout, la solidarité avec la Palestine tient dans un mot de trois lettres : BDS !
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Olivia Katbi est la coordinatrice du Mouvement BDS pour l’Amérique du Nord. Elle est également affiliée aux Socialistes démocratiques d’Amérique – section de Portland, Oregon, où elle vit et travaille.
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Publié le 25 mai 2022 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine