Israël pourrait appliquer des plans d’expulsion massive de Palestiniens

L’actuel gouvernement est dangereux pour beaucoup de juifs, et même pour ceux qui ont voté pour les partis faisant partie de la coalition gouvernementale. Mais, avant tout, il est dangereux pour tous les Palestiniens, des deux côtés de la Ligne verte. Il pourrait appliquer divers plans d’expulsion, que ses principaux ministres – Bezalel Smotrich et Itamar Ben-Gvir – ont fait progresser ouvertement.

 

Destruction d'une maison dans le village de Khirbet al-Halawah, le 3 février 2016 (Oren Ziv/Activestills)

Destruction d’une maison dans le village de Khirbet al-Halawah, le 3 février 2016 (Oren Ziv/Activestills)

 

Amira Hass, 6 février 2023

Ils ne se contentent pas des types « modestes » et indirects d’interdiction appliqués par les précédents gouvernements travaillistes ou Likoud – comme les interdictions de bâtir pour les Palestiniens et le fait d’entasser ces derniers en Zone A, de les envoyer dans la colonie pénitentiaire de Gaza et d’annuler leur statut de résidence. Mais pour en arriver à la grande expulsion, en dehors des frontières de la “Grande Terre d’Israël”, il convient de créer un chaos politico-militaire. En d’autres termes, la guerre. Au cours d’une guerre, il sera plus facile de ressortir la Nakba de 1948.

Si l’expulsion de masse semble de la fiction, rappelons-nous qu’il y a peu encore, parler de guerre éclair législative antidémocratique avait quelque chose de délirant. Après tout, bien avant que les ministres de la justice n’agissent en vue d’affaiblir la justice même – qui n’a jamais fait cesser la dépossession et la discrimination – expulser les Palestiniens de leur patrie était profondément gravé dans l’idéologie et la praxis israéliennes en tant qu’option réaliste. Même avant la fondation de l’État, on percevait la population autochtone comme un surplus non nécessaire qui, dans le meilleur des cas, devait être ignoré et dont, dans le pire des cas, il fallait se débarrasser.

Le danger de l’expulsion est concret parce que la plupart des gens qui protestent contre le gouvernement sont convaincus que, jusqu’à présent, Israël était une démocratie. Ils ont toujours fait et font toujours preuve d’une bienveillance envers le fait que leur démocratie pour les juifs a été une junte militaire pour les Palestiniens. La dictature contre laquelle ils mettent en garde opère depuis six décennies déjà. Il n’y a pas que les juifs et les druzes d’Israël qui la maintiennent en place, mais les juifs de la diaspora eux aussi la soutiennent émotionnellement et financièrement, ainsi que l’Occident – on ne peut plus éclairé, à ses propres yeux – qui la traitent avec une tolérance infinie.

Le régime militaire d’Israël appliqué aux Palestiniens est un parlement, un gouvernement, des tribunaux, un geôlier et un bourreau mis ensemble. Il n’y a pas plus d’absence de séparation des pouvoirs qu’ici. Nous contrôlons une population conquise, spoliée de ses droits civiques et, même avant l’invention des fake news, nous avons prétendu que tout était légal et propre. Des générations entières d’Israéliens, dont la plupart des protestataires d’aujourd’hui, ont été dressés pour percevoir comme une condition naturelle tous les types « modestes » d’expulsion que l’on avait développés et mis à exécution. Les résidents de Masafer Yatta et leur expulsion – avec l’approbation de la Haute Cour de justice – ne les intéressent pas.

La communauté LGBT va rendre malaisée l’adoption des initiatives législative contre ses membres. L’exclusion des femmes va susciter une plus grande opposition que celle assumée par le parti Noam. Le préjudice planifié aux personnes âgées, aux malades, aux travailleurs salariés et aux étudiants va également semer des graines de discorde au sein du Shas (parti politique israélien traditionnellement séfarade et religieux ultra-orthodoxe créé en 1984, présenté comme centre gauche ; actuellement, 11 députés le représentent à la Knesset – NdT, d’après Wikipédia), et du Likoud.

Mais l’aggravation des préjudices prévus contre les Palestiniens bénéficie d’une majorité à la Knesset plus grande que la taille de la coalition. Les députés travaillistes Naama Lazimi et Gilad Kariv, qui étaient considérés comme l’espoir social progressiste, ont déjà prouvé que la discrimination envers les Palestiniens faisait partie du consensus. Ils faisaient partie des membres de l’opposition qui ont voté – quelle honte ! – avec ce gouvernement destructeur et on ne peut plus toxique afin d’autoriser la révocation de la citoyenneté des citoyens palestiniens d’Israël. Aujourd’hui, ils se cramponnent à une excuse spécifique, demain, ils en saisiront une autre pour soutenir une mesure prévoyant des expulsions plus importantes encore. Eux, leurs électeurs et les partisans de la droite « modérée » de Benny Gantz, de Gideon Sa’ar et d’Avigdor Lieberman ne se coucheront pas sous les roues des camions afin d’empêcher le cauchemar qu’est en train de concocter la droite [extrême] que sont les colons.

Ceci n’a rien d’une prophétie. Il est interdit de prophétiser sur un désastre fait de main d’homme comme s’il s’agissait d’un endroit existant dans l’espace, et ce n’est qu’une question de temps avant que nous y arrivions. Ceci est un avertissement, une alarme, un appel au secours.

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Publié le 6 février 2023 sur Haaretz
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

 

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