L’Autorité palestinienne : une feuille de vigne servant à masquer l’apartheid israélien
À ce point de l’histoire, l’Autorité palestinienne (AP) ne sert qu’à consolider le leurre de la solution à deux États jusqu’au moment où le sionisme aura atteint son objectif particulier, vieux d’un siècle : un État racial s’étendant sur toute la Palestine historique.
Tom Suarez, 28 février 2023
Il y a trente ans, l’Autorité palestinienne, vantée comme un corps intérimaire de cinq ans qui allait préparer la voie vers un gouvernement souverain d’un État palestinien, naissait des accords d’Oslo. (1) Présenté comme une « offre généreuse », Oslo était en fait tout le contraire : Il légitimait implicitement les crimes cumulatifs d’Israël en jetant aux Palestiniens une carotte tenue au bout de ce qui serait à jamais un bras de plus en plus long – l’AP faisant fonction ici de carotte cumulative.
Ce n’était pas une aberration, mais la continuation de la complicité active de l’Occident – remontant à plus d’un siècle – dans l’objectif du sionisme : oblitérer les Palestiniens.
Dans un document étiqueté « secret » du Cabinet britannique et datant de 1921, Winston Churchill, à l’époque secrétaire d’État aux Colonies, déclarait que, « dans les intérêts de la politique sioniste, toutes les institutions électives [en Palestine] ont jusqu’à présent été refusées aux Arabes » — autrement dit, que la Grande-Bretagne avait transformé la Palestine en une « démocratie » pour les colons et en un État d’apartheid pour les Palestiniens autochtones. (2)
Et, de la sorte, l’apartheid et la déportation (les Palestiniens vivant de nos jours n’ont jamais connu que cela) se poursuivent et bénéficient de l’assistance de l’Autorité palestinienne – un « gouvernement » fictif qui sert le bon plaisir d’Israël.
Israël suit le scénario des anciennes puissances colonisatrices, dans lesquelles les membres des territoires colonisés se font séduire par des richesses et des privilèges afin de servir de direction à la clientèle locale, à la fois pour répondre aux besoins de leurs maîtres et pour entraver la résistance autochtone.
En effet, l’AP va un pas plus loin : elle a rendu le public palestinien captif dépendant d’elle financièrement, afin de s’assurer de son obéissance.
En vérité, l’AP était un cheval de Troie, un véritable coup d’État en faveur d’Israël, et ce, des façons suivantes :
1. L’Autorité palestinienne a transmis à Israël la gymnastique rhétorique dont il se sert pour prétendre qu’il n’est pas un État d’apartheid.
Les non-Juifs de Cisjordanie ne peuvent voter dans les élections israéliennes et ils sont soumis à un système de lois séparé – mais Israël prétend que ce n’est pas de l’apartheid et il a un alibi : les non-juifs votent pour leur propre gouvernement, l’Autorité palestinienne. En vérité, Israël contrôle la totalité du territoire du Jourdain à la Méditerranée. L’Autorité palestinienne n’a pas d’autorité, sauf pour contrôler les Palestiniens pour le compte d’Israël – autrement, il ne s’agit de guère plus que de plaques nominatives désignant un département et fixées aux portes d’un ensemble de bâtiments à Ramallah. Déjà, pour ce seul point, l’AP devrait être dissoute et priver ainsi Israël de la feuille de vigne qui masque son apartheid.
2. L’Autorité palestinienne met en mesure les États sponsors d’Israël de continuer de proférer l’expression « solution à deux États » qui permet de gagner du temps.
Déjà en janvier 1949, une correspondante du New York Times déclarait que la solution à deux États était morte en raison de l’agression israélienne. (3) La dame avait raison. Aujourd’hui, la rengaine des deux États est invoquée pour entraver toute reconnaissance tant qu’Israël n’aura pas concrétisé son seul but vieux d’un siècle : un État racial dans toute la Palestine historique. Que l’on dissolve l’AP afin de priver les États sponsors d’Israël de recourir à cette ruse.
3. L’Autorité palestinienne est une aubaine économique pour Israël, au détriment des Palestiniens.
L’aide internationale à l’AP constitue en vérité un supplément de rentrées pour Israël, puisqu’elle paie en fait l’« occupation » (annexion) israélienne du territoire – en plus du vol des taxes du territoire, de ses ressources naturelles, des revenus de ses destinations touristiques et du contrôle de son import-export. Que l’on dissolve l’AP afin de priver Israël de son vol incessant et massif des richesses palestiniennes.
4. L’Autorité palestinienne est le voyou délocalisé censé garder propres les mains d’Israël aux yeux du public.
L’AP réprime avec violence la liberté politique palestinienne en Cisjordanie, et ce, pour le compte d’Israël, épargnant ainsi à ce dernier les ennuis et la mauvaise presse s’il le faisait lui-même. Que l’on dissolve l’AP afin qu’Israël se livre à sa propre répression et à son nom propre.
5. L’Autorité palestinienne épargne à Israël la corvée quotidienne de la gestion civile et du travail policier.
Que l’on dissolve l’AP afin de rendre Israël responsable du territoire qu’il contrôle.
Il n’y a jamais eu d’élections palestiniennes au sens où on l’entend dans nos démocraties occidentales nominales. Les élections tant vantées de 2006 ont été estimées propres par des observateurs internationaux comme Jimmy Carter, mais cela ne concernait que leur procédure.
Pour commencer, le choix proposé aux Palestiniens était en fin de compte contrôlé par Israël. De jeunes gens prometteurs en tant que futurs dirigeants – c’est-à-dire des adolescents résistant aux incursions des FDI – ont été régulièrement emprisonnés ou abattus lors des raids nocturnes israéliens contre les camps de réfugiés. Des candidats n’ayant pas l’heur de plaire à Israël ont été soit capturés et emprisonnés (par exemple, Marwan Barghouti) soit assassinés.
Secundo, l’élection elle-même était une fraude. Quand les Palestiniens n’ont pas élu qui nous voulions (le Fatah), nous avons mené la guerre pour empêcher le vainqueur (le Hamas) d’assumer le pouvoir, le confinant en fin de compte à la bande de Gaza et le privant de sa représentation et de ses propres fonds. Le Fatah non élu reste en Cisjordanie et le président Mahmoud Abbas s’est accroché au pouvoir bien des années au-delà de son mandat, parce qu’il est notre homme à Ramallah (la présidence ne faisait pas partie des élections de 2006).
Les EU ont été choqués par la victoire du Hamas. Mais ils n’auraient pas dû l’être : les Palestiniens en avaient suffisamment assez de la corruption du Fatah et de son incapacité à les défendre contre Israël, au point qu’ils voulaient donner au Hamas une chance, en dépit de son conservatisme social. Dans la foulée, Condoleezza Rice, à l’époque secrétaire d’État des EU, s’était plainte de ce qu’« ils » n’auraient pas dû « accorder » aux Palestiniens l’option du Hamas. (4)
Qu’Israël ait été réellement choqué ou qu’il ait fait sauter les bouchons de champagne, la victoire du Hamas l’a bien servi. Elle a complètement fracturé l’AP et a fourni à Israël un croquemitaine pratique, dont le simple fait de prononcer le nom suffit à réduire au silence les questions hostiles.
Abbas et consorts ont en route quelque chose qui marche et ils le perdraient s’ils cessaient de faire les quatre volontés d’Israël – d’où le théâtre ritualiste désormais familier de l’AP qui dépose des plaintes à la Cour internationale de Justice en prétextant de défendre les Palestiniens, puis qui retire sa plainte suite à la mascarade des « assurances » israéliennes ; ou l’AP qui soumet aux Nations unies une résolution condamnant la construction de colonies israéliennes, puis retire la résolution suite aux ordres des EU. Dans cette chorégraphie politique éculée, les hautes instances de l’AP trahissent les Palestiniens afin de préserver leur petite mise en scène peinarde.
Certes, dans cette AP du Fatah, il y a beaucoup de monde dont les intentions sont sincères et qui estiment simplement que les aspirations palestiniennes pourraient être mieux servies avec l’AP, malgré tous ses défauts, que sans. « Eh bien, au moins, ici, nous sommes en Palestine, maintenant », m’avait dit un vétéran de l’Organisation de libération de la Palestine il y a plusieurs années. « Avant cela, nous étions en Tunisie » — une référence aux années entre 1982 et 1991, quand l’OLP y était exilée du Liban suite à la guerre du Liban, en 1982.
Il est temps de priver Israël et ses meneurs de claque de leur énorme feuille de vigne. Envoyez l’Autorité palestinienne à la retraite afin de ne laisser à l’apartheid israélien le moindre recoin où se dissimuler.
Sources
(1).L’Autorité palestinienne a été constituée en 1994, suite à l’accord de Gaza-Jéricho entre l’OLP et Israël.
(2).Les Archives nationales (britannique, à Kew), CAB 95/14. Citation depuis Suárez, Palestine Hijacked (La Palestine détournée), p. 42.
(3).Anne O’Hare McCormick, « Israel Alters Levant Balance in Molding of a New Nation » (Israël modifie l’équilibre du Levant en modelant une nouvelle nation », NYT, 10 janvier 1949.
(4).« Condoleezza Rice : The Full Transcript » (la transcription complète).
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Thomas Suarez est un violoniste professionnel, formé au Conservatoire National de Musique Palestinien. Il vit aujourd’hui à Londres. Il a publié (en anglais) : « La Palestine, soixante ans plus tard » et « Cartographie de l’Asie du Sud-Est ».
Son livre « Comment le terrorisme a créé Israël » a d’abord été publié en anglais sous le titre « State of Terror » et a été traduit pour Investig’Action par Jean-Marie Flémal, traducteur également pour ce site.
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Publié le 28 février 2023 sur Mondoweiss
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine