Walid Daqqah poursuit son face-à-face avec la mort à la clinique de la prison de Ramleh
La santé de Walid Daqqah continue de se détériorer dans les chambres mortuaires de la prison de Ramleh. Pourtant, « malgré toute la dureté et les épreuves de la prison, Walid s’obstine à faire savoir qu’il est toujours ‘tendre et aimant’ », dit son frère As’ad Daqqah.
Mariam Barghouti, 4 juin 2023
Juste en dehors de la prison de Ramleh, des membres de la famille et des sympathisants du prisonnier palestinien Walid Daqqah se sont rassemblés pour réclamer sa libération de prison lors d’une audience de libération conditionnelle anticipée, le 31 mai.
Dans un même temps, en Cisjordanie et à Gaza, des Palestiniens sont descendus dans les rues et se sont rassemblés pour réclamer la libération immédiate de Daqqah au vu de sa santé qui se détériore rapidement et du fait qu’il a déjà purgé intégralement sa peine de 37 années de prison. En 2018, toutefois, en guise de punition, Israël avait ajouté deux ans à la sentence de Daqqah en l’accusant d’avoir introduit frauduleusement des GSM en prison. C’est aussi pendant ce temps que le détenu de 61 ans avait été diagnostiqué d’un myélome multiple, un type rare de cancer de la moelle osseuse.
Malgré sa santé qui se détériore et les appels émanant de professionnels des soins de santé, d’organisations indépendantes des droits humains et d’experts juridiques, la commission de remise en liberté sur parole du Service carcéral israélien (IPS) avait rejeté l’appel de Daqqah en faveur de sa libération anticipée. La décision du tribunal de rejeter l’appel de l’écrivain, romancier et intellectuel gravement malade est venue après que les autorités israéliennes avaient reporté l’audience originale de Daqqah du 24 mai, date à laquelle il avait été hospitalisé à cause des complications de son état de santé.
« Je veux le voir », avait déclaré à Mondoweiss As’ad Daqqah, le plus jeune frère de Walid. « Je n’accepterai pas Walid en tant que martyr. Je veux le voir en vainqueur ! »
Selon des déclarations faites par la famille et son équipe juridique, la décision du tribunal équivalait à « une décision d’exécuter Daqqah en retardant à bien plus tard sa libération ». Même l’IPS a reconnu explicitement la détérioration dangereuse de la santé de Daqqah.
Au cours de l’audience, les sympathisants et les membres de la famille qui se trouvaient à l’extérieur de la prison de Ramleh ont été pris à partie par des groupes de colons qui scandaient « Mort à Walid Daqqah », le tout sous la protection d’une escorte de policiers israéliens.
« Nous chantons pour la liberté et la vie, et pour que vivent dans la dignité les générations à venir », a expliqué As’ad à Mondoweiss. « Et eux, pendant ce temps, ils ne cessent de scander leurs slogans de mort ! »
Daqqah est originaire du village palestinien de Baqqa Al-Gharbiyyeh, situé dans la zone du « Triangle », une partie des terres qui sont tombées sous l’occupation de l’État israélien naissant, en 1948. Daqqah est détenu par Israël depuis le 25 mars 1986. Il n’avait que 25 ans, à l’époque. Il avait été accusé d’appartenance à une cellule « terroriste » du Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP), responsable de l’assassinat en 1984 de Moshe Tamam, un soldat israélien en service actif. Daqqah avait été condamné à 37 ans de prison, et sa sentence se terminait en mars cette année.
« Je ne me contenterai pas de la seule libération de Walid », a déclaré As’ad à Mondoweiss.
« Je veux qu’il soit soigné. Et je veux que mon frère soit libéré de façon que nous puissions lui donner ce traitement. Vous comprenez ? »,
a expliqué As’ad.
« Nous voulons que Walid sorte de prison tout en étant encore en état de respirer. »
Cela veut dire que Daqqah a passé la majeure partie de sa vie derrière des murs de prison. Les appels en provenance de spécialistes de la santé, d’experts juridiques et d’associations de défense des droits humains continuent d’être ignorés par les autorités israéliennes et par l’IPS, en dépit de la menace imminente qui pèse sur la vie de Daqqah. Même le comité éditorial de Haaretz réclame la libération de Daqqah, mais en vain.
« Je suis toujours tendre et aimant » : un intellectuel en prison
Daqqah est devenu un intellectuel palestinien, un analyste politique et un romancier éminent au cours de la décennie écoulée. Ses écrits ont contribué à modifier notre compréhension de l’expérience des détenus politiques dans les geôles israéliennes. Il a fourni un cadre intellectuel unique qui se sert de l’étude de la communauté des prisonniers palestiniens comme d’une représentation des tendances politiques et sociétales élargies présentes au sein de la société palestinienne au-delà des murs de prison. Il a aussi livré aux Palestiniens et au monde une vision unique de ce que signifie le fait d’être avalé par le régime carcéral israélien que, dans son essai de 2012 intitulé Dissolving Consciousness: or, Redefining Torture (Dissoudre la conscience, autrement dit redéfinir la torture), il décrit comme :
« (…) faire l’expérience de la souffrance et de l’oppression sans être capable de les décrire ou d’en déterminer la source. C’est le sentiment d’impuissance et de perte de la dignité humaine quand l’incertitude rencontre la répression, et il semble que non seulement le monde vous a abandonné, mais que votre langage vous a trahi, puisque vous êtes incapable de décrire ou de définir votre souffrance (…) en de telles circonstances, vous finissez par simplifier la complexité de votre torture dans le but d’être adapté aux médias, ce qui en fait un genre de torture douce, ne méritant plus l’attention (…) et, en d’autres temps, vous êtes forcé de l’exagérer et de la gonfler, ce qui permet plus facilement à votre geôlier de réfuter vos fausses allégations. »
Ces mots ont constitué l’essentiel de l’analyse par Daqqah non seulement de la vie en prison, mais aussi de la vie des Palestiniens à l’extérieur des murs de prison et de la réalité quotidienne sous domination coloniale. Ce faisant, Daqqah est allé au-delà de sa cellule de prison et il a enseigné aux Palestiniens la façon de se percevoir et de percevoir en même temps le système de pouvoir qui tente de les soumettre. Ses écrits ont laissé leur empreinte dans la sphère culturelle palestinienne, puisque les Palestiniens se sont mis à adapter son œuvre à différents médias et que cette même œuvre a été accueillie par des rejets véhéments de la part des institutions israéliennes.
En 2015, le ministère de la Culture, dirigé par Miri Regev, privait de fonds le théâtre al-Midan, installé à Haïfa, pour avoir organisé la mise en scène d’une pièce basée sur A Parallel Time (Un temps parallèle) de Walid Daqqah.
« Cette pièce a fait beaucoup de bruit du fait qu’elle était présentée à Haïfa, dans un centre culturel financé par le ministère israélien de la Culture »,
a expliqué As’ad Daqqah à Mondoweiss.
« À l’époque, avait dit Regev, comment pouvons-nous financer des ‘Mekhablim’ comme Walid Daqqah [terme hébreu pour ‘vandale’, une insulte israélienne commune pour désigner les Palestiniens qui résistent à la domination coloniale]. Voilà comment ils nous perçoivent : comme des vandales. »
« Comme j’ai suivi de très près les écrits de Walid et que j’en ai discuté avec lui tout au long de ses 37 années de prison, j’ai toujours ressenti qu’il n’avait jamais été emprisonné mentalement »,
a expliqué As’ad à Mondoweiss.
« Seul son corps était emprisonné et, même cette notion, il a tenté de la briser »,
a fait remarquer As’ad.
« Malgré toute la dureté et les épreuves de la prison, Walid s’obstine à faire savoir qu’il est toujours ‘tendre et aimant’ »,
a expliqué As’ad, relayant pour Mondoweiss les propos de son frère.
Les chambres mortuaires de la section médicale de la prison de Ramleh
Le lundi 22 mai, Walid a été transféré à l’unité de soins intensifs de l’hôpital Assaf Harofeh, dans le sud de Tel-Aviv, en raison de nouvelles complications de son état de santé. Toutefois, en dépit du risque dangereux que cela pose pour sa vie même, Daqqah a été ramené à la clinique médicale de la prison de Ramleh, directement après ses opérations chirurgicales.
La clinique de la prison de Ramleh (connue sous le nom de prison de Nitzan, en hébreu) est celle où le gréviste de la faim palestinien, activiste et père de neuf enfants, Khader Adnan, 41 ans, a été découvert sans vie le 2 mai dernier, après 86 jours de grève de la faim pour protester contre son emprisonnement. L’équipe d’avocats d’Adnan et des spécialistes de la santé ont décrit la mort d’Adnan comme « volontaire et délibérée ».
Bien que les spécificités de leurs cas diffèrent, Adnan s’est vu refuser lui aussi toute attention médicale adéquate, en dépit d’appels continus en faveur de sa libération ou de son transfert vers un hôpital convenable. Sachant que le dispensaire médical de Ramleh manquait des équipements médiaux les plus élémentaires et nécessaires, Adnan avait été laissé entravé et sans soins alors que sa santé physique continuait de se détériorer.
Il y a eu d’innombrables autres exemples de négligence médicale systématique ayant abouti à la mort de prisonniers palestiniens. En décembre dernier, le réfugié et détenu politique de 50 ans, Nasser Abu-Humeid est mort dans les prisons israéliennes en raison de négligence médicale intentionnelle. Comme Daqqah, Humeid était lui aussi aux prises avec un cancer. En novembre 2021, Sami Al-Amour, 39 ans, était mort lui aussi dans les prisons israéliennes alors qu’il souffrait d’une affection cardiaque congénitale.
« Vous devez comprendre qui nous avons en face de nous », a expliqué As’ad à Mondoweiss.
« Ceci est une occupation qui est criminelle et qui ne comprend que la mentalité de vengeance. Cette mentalité de vengeance, c’est leur façon d’opérer. Imaginez donc : un État et ses institutions qui traitent ses questions de ce genre avec une mentalité tribale de représailles et de vengeance… »
La famille et les sympathisants de Walid Daqqah ont lancé une campagne réclamant sa libération, en dépit des efforts israéliens pour empêcher cette dernière. Bien que la mobilisation populaire ne se soit pas révélée assez rapide pour sauver la vie de Khader Adnan, les Palestiniens sont bien décidés à ne pas laisser Walid Daqqah subir le même sort, et ils cherchent à établir un nouveau précédent en vue de protéger la vie des Palestiniens et plus spécifiquement celle des détenus palestiniens atteints de maladies mortelles.
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Mariam Barghouti est la principale correspondante de Mondoweiss sur la Palestine.
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Publié le 4 juin 2023 sur Mondoweiss
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine
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Lisez également : Libérez Walid Daqqah et tous les prisonniers palestiniens
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Mobilisation pour la libération immédiate de Walid Daqqah ce samedi 10 juin, de 15 h à 17 h, Place Verte, Charleroi.