Est-ce à cela que ressemble la solidarité ?
Le 15 juillet, des milliers d’Israéliens ont défilé dans les rues de Jérusalem-Est occupée afin de témoigner leur soutien à un « État » palestinien en Cisjordanie occupée et dans la bande de Gaza.
Dans cette manifestation, décrite par ses organisateurs comme une marche commune de Palestiniens et d’Israéliens et accompagnée de slogans clamant la « lutte partagée » et la « solidarité », la participation palestinienne était toutefois très réduite et très peu de Palestiniens étaient donc présents.
L’événement a eu lieu quelques semaines après une marche similaire à Tel-Aviv et, si la manifestation de Jérusalem a bénéficié de plus de publicité en raison de l’endroit où elle se déroulait, les deux événements montrent bien les manquements de la prétendue solidarité de la « gauche » sioniste israélienne avec les Palestiniens.
Le terme « solidarité » – à l’instar du terme « coexistence » – a été tellement utilisé dans le discours sioniste libéral qu’il a perdu tout son sens. Ce concept erroné de solidarité soulève la question que voici :
Que signifie le mot solidarité et, plus spécifiquement, quand peut-on considérer comme un acte de solidarité réelle quelque acte posé par les Israéliens au nom du soutien aux Palestiniens ?
Chaque descente des Israéliens dans la rue en chantant « Arrêtez l’occupation ! » peut-elle être allègrement considérée comme une marque de solidarité ?
Peut-on béatement célébrer chaque occasion où des Israéliens agitent des drapeaux palestiniens comme un coup de pouce important à la cause palestinienne ?
Les Palestiniens devraient-ils simplement être reconnaissants pour le fait qu’en pleine recrudescence de l’installation de colonies en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est, et en pleine escalade du racisme dans la société israélienne, on entend toujours certaines voix israéliennes désireuses de « reconnaître » un État palestinien ?
Quand des personnes occupant une position privilégiée formulent et conçoivent une solution qu’elles imposent ensuite à un peuple colonisé et occupé comme seule solution viable et « seule démarche constructive restante », comme l’a défini l’appel à l’action du 15 juillet, on ne peut parler de solidarité mais, plutôt, d’une autre forme d’occupation.
La solidarité ne signifie pas dire aux gens comment vous voyez leur problème et encore moins comment vous pensez qu’il conviendrait de le résoudre.
La solidarité ne signifie pas qu’il faille être d’accord sur tout ni même à propos d’une solution fixée, mais elle signifie combattre pour une cause commune sans tenir compte des différences.
Les Palestiniens ne se sont pas battus ces 63 dernières années pour un semblant d’État bâti sur 22% du territoire de la Palestine historique et présenter la chose de cette façon prive les Palestiniens de leurs voix et de leur droit de décider de leur propre sort.
Bien des gens affirment pourtant que lutter épaule contre épaule en compagnie de la gauche sioniste élargit la base du soutien à la Palestine et procure aux Palestiniens une occasion de discuter et de convaincre l’autre camp.
Ce serait vrai si les sionistes voyaient dans les Palestiniens des partenaires égaux, mais ce n’est pas le cas. Toute l’idée de deux États pour deux peuples en tant que seule solution à l’impasse palestino-israélienne – extrêmement populaire parmi les sionistes libéraux – a été proposée à partir de l’isolationnisme, de l’exceptionnalisme et du sentiment sioniste de vertu morale et de supériorité sur les Palestiniens qui leur confère la légitimité de déterminer le problème, sa solution et les moyens d’arriver à cette solution.
Une marche « unissant » Palestiniens et sionistes ne crée par la possibilité de s’engager dans un dialogue productif ; elle donne plutôt aux sionistes une chance supplémentaire de marginaliser les voix des Palestiniens et de leur montrer de façon pédante comment ils devraient résister et ce qu’ils devraient accepter.
Par conséquent, ces manifestations réclamant ostensiblement l’égalité maintiennent en réalité le statut privilégié des Juifs israéliens. Et bien que ce genre de manifestation soit en mesure d’attirer des milliers d’Israéliens à un moment ou l’autre, elles n’élargissent pas vraiment la base israélienne de soutien aux Palestiniens.
En lieu et place, elles sont le reflet du soutien à une « solution » qui ignore le problème des réfugiés – l’élément central de la lutte palestinienne – et qui fragmente la nation palestinienne et condamne à jamais les citoyens palestiniens à une situation d’infériorité et de discrimination.
La solidarité ne se mesure pas en chiffres, elle n’est nullement une question de nombre de personnes participant à une manifestation pro-palestinienne. Elle tourne autour de la motivation de ces personnes. Combattre en compagnie de cinquante Israéliens qui sont réellement engagés dans la cause palestinienne est de ce fait bien plus important et précieux que de défiler dans l’ombre de milliers d’Israéliens qui pensent que la Palestine se résume uniquement à la Cisjordanie et à la bande de Gaza.
Sur sa page Facebook, la marche de Jérusalem du 15 juillet était intitulée en hébreu « Marche pour l’indépendance de la Palestine », alors que la version arabe se traduisait par « Ensemble vers la libération de la Palestine ». Il y a une énorme différence entre « libération » et « État indépendant ».
La liberté pour les Palestiniens signifie bien plus qu’établir un bantoustan en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.
L’incohérence entre l’intitulé arabe et l’intitulé hébreu est révélatrice, mais il n’est ni inédit ni rare, de la part des organisations israéliennes « de gauche » de s’adresser au public palestinien dans une langue et un ton différents de ceux utilisés lorsqu’elles s’adressent à un public israélien.
Parmi la centaine de Palestiniens environ présents à la marche, beaucoup peuvent l’avoir ralliée pour avoir compris à tort que le but de cette marche était de réclamer la liberté plutôt qu’une « indépendance » bidon. En outre, des membres des comités populaires palestiniens de Sheikh Jarrah et de Silwan, dont les quartiers sont confrontés à des démolitions de maisons ainsi qu’à un processus silencieux et sournois de nettoyage ethnique, disent qu’ils ont ressenti qu’ils n’avaient d’autre choix que de rallier la marche afin d’attirer l’attention sur leur lutte.
Mais leur cause a été exploitée par les organisateurs afin de présenter avantageusement la marche sous des dehors de « lutte commune », de marquer des points politiquement et de servir leurs objectifs de relations publiques.
Les contributions du Mouvement de solidarité Sheikh Jarrah, les principaux organisateurs de la marche du 15 juillet, ne devraient pas être minimisées. Les manifestations hebdomadaires que le mouvement a organisées à Sheikh Jarrah et à al-Lydd ont mis en lumière la lutte des résidents palestiniens contre la politique systématique israélienne de démolition de maisons et d’expulsion. Les membres dirigeants du Mouvement de solidarité Sheikh Jarrah et d’autres organisations pacifistes israéliennes de gauche subissent des attaques très violentes de l’extrême droite israélienne, y compris des menaces de mort et des accusations de trahison.
Toutefois, cela ne doit pas les mettre à l’abri de toute critique. Dans toutes leurs actions militantes, ils ne sont jamais parvenus à séduire le public palestinien ni à stimuler son engagement. Leurs manifestations sont dominées par des sionistes libéraux, blancs et laïcs et la voix palestinienne, qu’ils prétendent vouloir faire entendre, est inaudible parmi tout un chœur de chants en hébreu sur la paix et la coexistence.
Même les slogans et les pancartes brandis au cours des manifestations avaient été décidés à l’avance par les organisateurs israéliens, transformant ainsi les protestations en une routine tiède, douloureusement prévisible et élitiste.
Bref, la « solidarité » israélienne est une arme à double tranchant. Elle a le potentiel de faire progresser la cause palestinienne, d’influencer l’opinion publique israélienne et d’amener la lutte palestinienne dans les médias traditionnels. Toutefois, il existe un risque très important de voir, sous le prétexte de la solidarité et de la coexistence, des groupes détourner ou noyauter le mouvement autochtone croissant de la résistance populaire palestinienne.
Le fait qu’il y a une vague radicale d’extrémisme pur et dur parmi l’élite dirigeante israélienne et la société israélienne, dans le sens large du terme, ne signifie pas que les Palestiniens devraient applaudir à de vagues « compromis » sionistes. La solidarité n’est ni un acte de charité ni un festival de discours grandiloquents ou de rhétorique creuse. C’est une obligation morale qui devrait être accomplie dans un engagement total, inébranlable et inconditionnel.
Les gens qui cherchent les compliments et la gratitude feraient mieux de rester dans leurs fauteuils douillets à Tel-Aviv. Les tentatives d’exploiter la cause palestinienne à des fins politiques et à transformer sa lutte pour les droits de l’homme, la justice et l’égalité en un défilé d’indépendance bidon et de clichés devraient être dénoncées et combattues.
Budour Youssef Hassan, originaire de Nazareth, est un militant socialiste palestinien et il est actuellement étudiant en troisième année de droit à l’Université hébraïque de Jérusalem. Vous pouvez la suivre sur Twitter : twitter.com/Budouroddick.
The Electronic Intifada – 28 juillet 2011
Traduction : JM Flémal
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