« Nous avons fait sauter des maisons israéliennes le 7 octobre », déclare un colonel israélien
Un colonel israélien des forces aériennes a dit que les frappes aériennes d’Israël pouvaient avoir tué intentionnellement des captifs israéliens plutôt que de permettre qu’ils soient emmenés à Gaza.
Asa Winstanley, 5 décembre 2023
S’exprimant en hébreu sur les frappes aériennes, le colonel Nof Erez a déclaré lors d’un podcast de Haaretz en novembre que « la directive Hannibal avait manifestement été appliquée » et que le 7 octobre « avait été une [action] Hannibal massive ».
Le mois dernier, après avoir prétendu pendant des semaines que 1 400 « civils » avaient été tués ce jour-là, Israël a revu son nombre de morts à la baisse, le ramenant à quelque 900 civils et environ 300 militaires et policiers. Samedi, il est même apparu que la publication sur X (anciennement Twitter) d’un comptage officiel israélien ramenait encore le nombre de morts à « un peu plus de 1 000 ».
L’interview d’Erez a d’abord été publiée en anglais par The Cradle.
The Electronic Intifada avait effectué sa propre traduction indépendante et peut donc vérifier les dires de The Cradle. Vous pouvez visionner une partie de l’interview d’Erez interview sous-titrée en anglais dans la vidéo ou en lire une transcription en français à la fin du présent article.
La nommant d’après Hannibal – un ancien général carthaginois qui s’empoisonna plutôt que de tomber vivant aux mains des Romains –, Israël a instauré cette doctrine militaire secrète il y a une trentaine d’années.
Vidéo EI : « Nous avons tué des Israéliens le 7 octobre », dit le colonel de l’aviation israélienne.
Son but était d’empêcher les combattants de la résistance de capturer des Israéliens qui, par la suite, auraient pu servir à négocier des échanges de prisonniers. En 2011, Israël avait libéré 1 027 prisonniers palestiniens en échange d’un seul soldat capturé qui avait été détenu à Gaza pendant cinq ans.
L’interview du colonel Erez par Haaretz a dépeint l’image d’une riposte israélienne chaotique, sans le moindre discernement, à l’attaque militaire palestinienne du 7 octobre.
Erez a expliqué au cours du podcast qu’il y avait eu « des tonnes d’ouvertures dans la clôture » avec Gaza et que « des milliers d’hommes, dans tous types de véhicules, certains avec des otages et d’autres sans » faisaient la navette entre Gaza et les colonies israéliennes et que « c’était une mission impossible » pour les équipages des forces aériennes de faire la distinction entre les combattants palestiniens et les prisonniers israéliens.
Interrogé par l’interviewer de Haaretz, Lior Kodner, à propos des « rumeurs disant que l’armée avait fait sauter toutes sortes de maisons à l’intérieur des colonies » et à propos de la directive Hannibal, Erez a confirmé que les forces aériennes avaient en effet « fait sauter des maisons », mais a insisté en ajoutant qu’elles ne l’avaient jamais fait « sans autorisation ».
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Mais l’attaque militaire palestiniennes avait si bien fonctionné ce matin-là qu’il aurait pu être impossible d’obtenir cette permission des officiers supérieurs.
Le 7 octobre, des douzaines de bases et postes avancés de l’armée israélienne avaient été complètement débordés par le Hamas et d’autres factions armées, qui avaient délibérément ciblé les infrastructures des communications de l’armée israélienne dans toute la région.
Le commandement et le contrôle militaires régionaux israéliens avaient été rapidement éliminés.
« Il ne restait pas de commandement divisionnaire », à ce stade, a confirmé Erez. Il avait été détruit presque immédiatement par l’offensive de la résistance palestinienne qui avait débuté à 6 h 30 du matin. Il ne restait ni commandement ni contrôle dans la région et cela avait duré jusqu’à plus tard dans la journée, a-t-il ajouté.
Vidéo EI : « Ce que nous apprenons aujourd’hui des événements du 7 octobre. »
Erez a expliqué que les pilotes des hélicoptères en avaient été réduits à utiliser des téléphones mobiles pour appeler les équipes d’urgence des colonies – en fait, des milices locales israéliennes stationnées dans la région – qui tentaient d’endiguer l’offensive palestinienne.
Apparemment, ces milices dirigeaient les pilotes, leur disant quelles maisons faire sauter. Il semble qu’ils l’aient fait à maintes reprises, et ce, au détriment de la vie des Israéliens faits prisonniers.
Après quelques tergiversations d’Erez concernant la très controversée directive Hannibal, l’animateur de Haaretz a demandé à brûle-pourpoint au colonel : « Cela a-t-il eu lieu à ce moment ? »
Tout d’abord, Erez n’a admis que tacitement que les captifs israéliens aient pu avoir été
« touchés au moment où les hélicoptères et les drones avaient commencé à tirer en direction de la clôture, quand ils avaient vu les masses de monde qui entraient et sortaient. »
Mais, instamment invité à en dire plus, Erez a déclaré plus clairement :
« La directive Hannibal a manifestement été appliquée à un certain moment. »
Et d’expliquer qu’il avait été entraîné « durant la totalité de ces vingt dernières années » à mettre en pratique la doctrine Hannibal dans ce type de scénario, précisément, où un véhicule palestinien fuit les lieux avec à bord un captif israélien.
Ce qui était neuf, ce 7 octobre, a-t-il poursuivi, c’est que
« c’était cette fois une action Hannibal massive. Il y avait des tonnes et des tonnes d’ouvertures dans la clôture, et des milliers de gens dans tous les types de véhicules, certains avec des otages, certains sans ».
« Tirez sur tout »
Le récit d’Erez appuie le témoignage d’un commandant d’hélicoptère israélien – resté anonyme – publié par le site d’information Ynet en octobre. Le pilote était de la 190e escadrille, qui utilise des Apache.
The Electronic Intifada a traduit cet article en anglais le mois dernier (et, de là, il a été retraduit en français par nos soins, NdT) : « Tirez sur tout ! » ou comment les pilotes israéliens ont tué leurs propres civils
« Le lieutenant-colonel A. » avait déclaré le 7 octobre que les forces aériennes avaient envoyé plus de deux douzaines d’hélicoptères – ainsi que des drones Elbit – afin de tirer sur tout ce qui se présentait le long de la clôture de Gaza à l’aide de missiles Hellfire et de mitrailleuses.
Ynet avait rapporté que les forces aériennes avaient reconnu « qu’il était très malaisé de faire la distinction entre les terroristes et les soldats ou civils [israéliens] », mais que le commandant avait enjoint à ses pilotes, quoi qu’il en soit, de « tirer sur tout ce qu’ils voyaient dans la zone de la clôture » avec Gaza.
« La fréquence de tir contre les milliers de terroristes avait été énorme au départ et ce n’est qu’à un certain point que les pilotes s’étaient mis à ralentir leurs attaques et à choisir soigneusement leurs cibles »,
avait rapporté le journal en citant une enquête des Forces de l’air israéliennes.
Selon ces mêmes forces de l’air, au cours des quatre premières heures, les pilotes « avaient attaqué quelque 300 cibles, la plupart en territoire israélien ».
Depuis le 7 octobre, un ensemble croissant de preuves ont été mentionnées en hébreu, indiquant qu’un nombre significatif, encore qu’indéterminé d’Israéliens ont été tués par les forces aériennes et terrestres d’Israël même au cours de l’offensive palestinienne.
Dans une autre découverte récente de The Cradle, ces récits ont été étayés par une interview de membres d’une escadrille de drones réalisée par le magazine israélien Mishpacha, une publication qui s’adresse à des juifs pratiquants.
Selon le magazine, l’escadrille 161 est la seule unité israélienne opérant avec le drone d’assaut Hermes 450, d’Elbit, également surnommé « Zik ».
Le 7 octobre, les drones ont été les premiers engins volants à répondre à l’offensive militaire palestinienne, affirme le magazine. Ils ont effectué des frappes aériennes
« en territoire israélien, à l’intérieur des bases et des kibboutzim, ce pour ils n’avaient jamais été prévus ».
Un pilote anonyme a décrit pour le magazine des scènes chaotiques qui avaient eu lieu ce jour-là. « Généralement, nous avons à l’avance un briefing ordonné de renseignements », a-t-il expliqué. Mais, puisque les combattants palestiniens avaient si bien mis hors service le système israélien des communications militaires, un tel briefing avait été impossible.
« Dans ce cas, notre source de renseignements était les civils sur le terrain », a dit le pilote de drone resté anonyme, confirmant ainsi le récit d’Erez.
« Nous sommes entrés dans nos salles de contrôle avec nos téléphones, ce qui est d’ordinaire contraire au protocole. »
De la même façon que les hommes d’Erez,
« nous avons appelé les civils dans les kibboutzim et les yishuvin [Note de la rédaction : deux types de colonies israéliennes] en temps réel et ils nous ont transmis les emplacements des terroristes ».
L’article de Mishpacha ne mentionne pas explicitement la directive Hannibal.
Mais il explique que, lors de chaque assaut, les drones « tuaient des douzaines de terroristes », les empêchant de « regagner la bande [de Gaza] avec des captifs ».
Il est difficile d’imaginer une seule façon dont un drone de guerre téléguidé, tel le Hermes 450, pourrait empêcher des combattants palestiniens de regagner Gaza avec leurs prisonniers israéliens autrement qu’en tuant tout le monde.
Pourquoi le colonel israélien s’est-il mis à table ?
Erez a passé 20 années dans l’armée et 24 autres années en tant que réserviste.
Un peu plus tôt cette année, il était l’un des plusieurs pilotes réservistes à avoir dit qu’ils cesser aient d’assister aux formations afin de protester contre les plans du Premier ministre Benjamin Netanyahou en vue de bouleverser la justice israélienne.
Mais son refus temporaire de servir dans l’armée suite à des divergences politiques n’avait pas duré longtemps. Dans son interview par Haaretz, il avait dit qu’il
« voyait sur une image d’ordinateur de nombreux drones au-dessus de chaque colonie [à la frontière de Gaza] »
alors qu’il se trouvait, le 7 octobre, dans un centre de commandement militaire israélien.
Fin octobre, Ynet a rapporté qu’il avait été « en service actif », mais qu’il avait été relevé de son commandement peu après, suite à des promesses qu’il avait faites de « démanteler » le gouvernement de Netanyahou une fois la présente guerre terminée.
L’animosité personnelle d’Erez à l’égard de Netanyahou pourrait en partie expliquer son empressement à parler explicitement de la directive Hannibal à la presse.
Transcription de l’interview
Source : Podcast de Haaretz (« The Week ») (la semaine). Date : 9 novembre 2023
Lior Kodner (animateur). Ces derniers jours, après le 7 octobre, la machine à venin de Netanyahou a dit que les forces aériennes n’avaient pas rejoint les combats assez vite et qu’elles n’étaient pas prêtes. Vous étiez là. Étaient-elles prêtes ?
Colonel (réserviste) Nof Erez. À l’instar de toutes les FDI [l’armée israélienne], elles n’étaient pas prêtes techniquement pour un événement se produisant soudainement, sans le moindre avertissement. Mais les calomnies qui émanent et émergent [de la part de Netanyahou] sont des mensonges absolus. Les escadrilles d’hélicoptères d’attaque, toutes deux, se sont retrouvées ensemble très vite. Quoi qu’il en soit, il faut du temps pour aller de Tel-Aviv à Ramon [base des forces aériennes] un samedi matin. Mais (…) en deux ou trois heures, ils ont fait décoller un nombre non négligeable d’hélicoptères : il était 10 heures du matin, je crois. Les premiers décollaient même à 7 h 15. Mais il a fallu du temps pour que les autres équipes atteignent la base. Il y a une chose très simple que vous devez comprendre et qui n’a été clarifiée pour personne : J’ai été chargé de l’enseigner à toutes les FDI ces deux dernières années, j’ai passé quarante jours de mon devoir de réserviste à instruire les FDI. La façon dont fonctionne une escadrille d’hélicoptères est celle-ci : Elle arrive dans la zone d’activité et tente de s’adresser au commandement de division. Il n’y avait pas de commandement de division à ce stade. Même à 6 h 30 [du matin], il n’y avait pas de commandement de division. Si cela ne marche pas, on s’adresse au commandement de brigade. Lui non plus ne répondait pas (…) à ce moment. Et le commandement de bataillon, du bataillon 13 sue se trouvait là dans la zone, lui non plus, malheureusement, n’était pas (…) facilement joignable. De toute façon, je connais certains récits des pilotes d’hélicoptères de combat qui, via des téléphones cellulaires, ont communiqué avec les équipes d’urgence des colonies et qui se sont coordonnées avec elles par téléphone cellulaire afin de tirer vers l’intérieur des colonies.
Lior Kodner. Apparemment, c’est également la source des rumeurs disant que l’armée a faut sauter toutes sortes de maisons à l’intérieur des colonies, la directive Hannibal, et toutes sortes de théories du complot qui ont circulé un peu partout au cours des quelques premiers jours.
Nof Erez. Ils n’ont pas fait sauter les maisons sans autorisation. Quoi qu’il en soit, j’ai vu sur une image d’ordinateur de nombreux drones au-dessus de chaque colonie [à la frontière de Gaza], une chose que nous pouvons voir dans tout commandement des FDI. Il y a un grave problème, avec l’utilisation de drones sur notre territoire quand nous ne savons pas qui est l’ennemi et qui est l’équipe d’urgence, et qui sont nos soldats – à 10 heures du matin, certains étaient déjà sur place. Et les identifier à partir d’en haut sans le système FLIR [l’imagerie thermique] des hélicoptères d’attaque ou des drones est un chose absolument impossible. S’il n’y a personne à qui vous pouvez parler et personne qui soit à même de vous dire : « Ma position est tout près, ou dans cette maison, ou ceci et cela, et tous ceux qui sont de l’autre côté sont des ennemis », il est très difficile de frapper et de tirer. La directive Hannibal dont on parle également, c’est un commandement disant de cesser la capture d’un seul véhicule et conçu sur base d’enlèvements qui ont eu lieu au Liban il y a une trentaine d’années. Là non plus, il n’y a pas de décision sans équivoque que l’hélicoptère de combat ou le drone qui identifie le véhicule doive lui tirer dessus afin d’empêcher l’enlèvement à tout prix, et manifestement aussi au risque de blesser l’otage. Il n’y a pas de directive sans équivoque, pour cela.
Lior Kodner. Et c’est ce qui s’est passé, cette fois ?
Nof Erez. Nous ne savons pas si les otages ont été touchés, au moment où les hélicoptères et les drones se sont mis à tirer en direction de la clôture, quand ils sont découvert les masses qui entraient et sortaient.
Lior Kodner. Mais le directive Hannibal a été fait exprès. Si on y recourait, on le faisait intentionnellement. Si les otages étaient touchés, dans ce cas, c’est tout autre chose.
Nof Erez. Apparemment, la directive Hannibal a été appliquée à un certain stade, parce que, au moment où ils ont compris, qu’il s’agissait d’un enlèvement, ils ont dit sur-le-champ : « Les gars, ici, c’est Hannibal ! » Mais le genre de Hannibal auquel nous avons été entraînés pendant toutes ces vingt dernières années, c’est pour un véhicule dont nous savons à quel endroit de la clôture il va entrer, de quel côté il roule et peut-être même sur quelle route il roule. Ici, il s’agissait d’un Hannibal de masse. Il y avait des tonnes et des tonnes d’ouvertures dans la clôture, et des milliers de gens dans toutes sortes de véhicules, certains avec des otages, certains sans. C’était une mission impossible que d’identifier et de faire ce qu’ils ont fait. Je sais que tous ceux qui avaient des armes à portée de main, les hélicoptères d’attaque et les drones, ont fait tout ce qu’ils ont pu – sans contrôle, sans coordination avec les forces terrestres, parce qu’il n’y en avait pas, au premier stade. Plus tard, quand les forces armées étaient déjà arrivées, il y a eu un peu plus de gens à qui parler. Quoi qu’il en soit, les unités spéciales sont arrivées assez vite, mais elles n’ont pas opéré entant qu’unités, elles ont opéré en tant qu’individus et c’est également pourquoi nous avons vu tous ces nombres de blesses parmi les commandos MATKAL et SHALDAG. Ils n’ont pas travaillé en connexion, on pourrait dire qu’ils ont couru avec un couteau entre les dents, qu’ils se sont introduits dans les maisons, qu’ils ont tenté de libérer [les otages], et qu’ils y sont arrivés dans un très grand nombre de cas. Mais ils n’avaient pas de capacité de communication pour coordonner les hélicoptères d’attaque ou pour recevoir la moindre aide. Et c’est une des choses qui les a également amenés à faire de leur mieux, mais sans soutien aérien permanent.
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Asa Winstanley est un journaliste freelance installé à Londres et qui a vécu en Palestine occupée, où il a réalisé des reportages. Son premier ouvrage : Corporate Complicity in Israel’s Occupation (La complicité des sociétés dans l’occupation israélienn e) a été publié chez Pluto Press. Sa rubrique Palestine is Still the Issue (La Palestine constitue toujours la question) est publiée chaque mois. Son site Internet est le suivant : www.winstanleys.org
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Publié le 5 décembre 2023 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine
La traduction en français de l’interview provient de la traduction effectuée de l’hébreu en anglais par David Sheen.
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