LMADO s’entretient avec Leila Khaled, icône palestinienne et responsable du Département des réfugiés et du droit au retour au sein du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP).
Frank Barat, pour LMADO : Comment allez-vous, Leila ? Que faites-vous actuellement à Amman ?
Leila Khaled : Je vais bien tant que je fais partie de la lutte pour la liberté, pour notre droit au retour et pour un État indépendant avec Jérusalem comme capitale. Je sais que cela ne se fera pas dans un futur proche, mais je me bats quand même. Ici, à Amman, je suis la responsable du Département des réfugiés et du droit au retour au sein du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP).
LMADO : Vous êtes une réfugiée palestinienne, l’une parmi six millions. Pensez-vous toujours que vous retournerez un jour ? Et que faites-vous des conditions des réfugiés palestiniens au Liban, à qui on refuse leurs droits les plus élémentaires et qu’on critique pourtant parce qu’ils essaient d’améliorer leur existence au Liban, du fait que cela pourrait affecter leur droit au retour en Palestine ?
Leila Khaled : Les Palestiniens ont été répartis dans différents pays. Chaque pays a eu un impact sur les gens qui y vivent. Ceux du Liban, dans les années 1970 et 1980, jusqu’en 1982, étaient ceux qui contribuaient le plus à la lutte armée, qui contribuaient à défendre la révolution. Israël attaquait et envahissait sans cesse, et a également occupé certaines parties du pays. Après 1982, la principale mission des Palestiniens a été d’obtenir leurs droits, leurs droits civiques et sociaux, dont ils sont privés, au Liban. Cela les mettra en mesure d’être impliqués dans la lutte pour le droit au retour. Les Palestiniens en général considèrent le droit au retour comme un concept et une culture. Chaque Palestinien vous dira qu’il se bat pour ses droits sociaux et ses droits civiques, mais cela veut dire qu’il se prépare à son propre retour. Les deux sont inséparables.
Leila Khaled : Cette dernière décennie, la question des réfugiés, dans les négociations, est devenue de plus en plus démodée, c’est quelque chose qui n’est plus un droit inaliénable, mais qui reste toutefois négociable. La même chose vaut pour la dernière fournée, les « négociations Kerry ». Que faites-vous de cela ? Et que pensez-vous qu’il va se produire après le 29 avril, quand les négociations seront censées prendre fin ?
Leila Khaled: Le FPLP et moi-même, personnellement, sommes opposés aux négociations depuis 1991. Le problème, c’est que les deux parties sont cramponnées à leurs fusils. Les Israéliens pensent que la Palestine est le pays des Juifs du monde entier. Les Palestiniens sont sûrs que le pays leur appartient et qu’ils ont été forcés de le quitter en 1947/1948.
Quand ce conflit passe d’un stade au suivant, les deux camps sont considérés tout autant dans leur droit mais le fait c’est que nous, nous ne sommes pas considérés de la sorte (ce n’est qu’une illusion). La direction a choisi d’aller pour les accords d’Oslo, pensant que ce serait un pas en avant pour réaliser les principaux droits des Palestiniens. Certaines personnes l’ont cru mais elles ont découvert, après vingt ans, que c’était une absurdité. Cela a amené une catastrophe sur nous.
Il y a plus de colonies que jamais, deux fois plus qu’avant Oslo, le nombre de colons a doublé, ils ont confisqué plus de terres encore et, bien sûr, ils ont construit le Mur. Le mur de l’apartheid. Israël est un État d’apartheid. Ces négociations, ici, sont censées aider Israël et non les Palestiniens. Nous avons déjà vu de près ce qu’Israël entend par négocier, Israël ne respecte jamais ses promesses, ses obligations, et poursuit tout simplement son projet, qui est de faire un enfer des vies palestiniennes.
Mon parti et moi-même sommes opposés à cette dernière fournée de négociations aussi, naturellement. Et particulièrement celles-ci. Les Américains soutiennent un projet israélien qui ne fera qu’aider Israël. Il y avait un accord, sponsorisés par les Américains, qui disait que vous deviez cesser les implantations en Cisjordanie et que 104 prisonniers devaient être libérés à trois dates différentes.
Cette fois, les Israéliens ont dit « non, nous ne respecterons pas cet accord et nous ne libérerons pas le derniers contingent de prisonniers. » Quoi qu’il en soit, ces gens qui ont été libérés sont souvent remis en prison peu de temps après, de toute façon. C’est à cela que les Israéliens font allusion quand ils parlent de la politique des portes tournantes. Les politiciens disent que les prisonniers devraient être libérés, mais, par la suite, on les arrête de nouveau. Nombre d’entre eux sont déjà de retour en prison. On déduit très clairement de cela que les Israéliens ne sont pas disposés à faire la paix avec les Palestiniens.
Ils tirent aussi avantage du fait que les Arabes sont occupés par bien d’autres problèmes et qu’ils ne soutiennent pas les Palestiniens. Par conséquent, personne ne va condamner Israël quand il fait fi des accords qu’il signe. En plus, qu’est-ce qu’il veut, Kerry ? Quel est son plan ? Personne ne le sait. Ce ne sont que des mots. Il n’y a rien d’écrit. La direction devrait refuser ce que Kerry propose.
Quoi qu’il en soit, Kerry n’est pas retourné à Ramallah avec une autre proposition. Ce qui signifie que l’Autorité palestinienne va recourir à sa seconde option et retourner aux Nations unies. Et alors, aujourd’hui, aux infos, les États-Unis ont dit une fois de plus qu’ils s’opposeraient à une telle démarche. Qu’est-ce tout cela signifie ? Je pense réellement qu’il nous faut d’abord considérer la nature de l’État d’Israël. Secundo, nous devons en comprendre davantage à propos de leurs projets et plans.
Tertio, nous savons que les Israéliens sont bien plus puissants que nous à certains égards. Mais nous aussi nous sommes puissants. Tout cela dépend de notre peuple. Nous avons la volonté de faire face aux défis auxquels les Israéliens nous confrontent. Il y a un proverbe anglais qui dit ceci : « Là où il y a une volonté, il y a un chemin. » Nous croyons toujours que c’est notre droit et nous devons nous battre pour ce droit. Nous avons lutté, nous luttons toujours et nous lutterons encore. D’une génération à l’autre. La liberté a besoin de gens forts qui continuent à se battre pour leurs rêves. C’est pourquoi je ne pense pas qu’il y aura un accord cette fois. Les Américains veulent toujours prolonger les négociations. Cela ne servira à rien.
LMADO : Si les négociations n’apportent pas la paix aux Palestiniens, qu’est-ce qui le fera ? Qu’est-ce que la direction devrait faire ?
Leila Khaled : Résister ! C’est comme cela qu’on réalise ses droits en tant que peuple. L’histoire nous l’a prouvé. Aucun peuple n’a gagné sa liberté sans se battre. Là où il y a occupation, il y a résistance. Ce n’est pas une invention palestinienne. En fait, nous allons lancer un appel en faveur d’une conférence qui se tiendra sous les auspices de l’ONU, précisément pour appliquer les résolutions décidées par cette organisation à propos de la question palestinienne.
La Résolution 194 demande à Israël d’accepter le retour des réfugiés. Bien ! Mettons donc l’ONU sous les feux de la rampe. Organisons une conférence qui rappellera la chose aux gens. Le problème, c’est que les références à toutes les négociations qui ont eu lieu ont été élaborées par les Américains dont nous savons qu’ils sont partiaux, et ce, en faveur d’Israël.
LMADO : L’OLP signifie Organisation de libération de la Palestine. Pensez-vous qu’elle a perdu son sens réel ? En 2008, Bassam Shaka m’a dit qu’avant tout, ce sont l’OLP avait besoin, c’était de retourner à ses racines en tant que mouvement de libération…
Leila Khaled : Aucune libération ne peut être menée à bien sans résistance. Mon parti n’a pas changé. Il est resté collé à son programme d’origine. Nous appelons à l’escalade, dans la résistance. Les gens parlent de résistance populaire. Cela ne signifie pas que des manifestations. Se servir d’armes est également populaire. Nous avons des gens qui sont prêts à se battre.
LMADO : Que signifie la résistance pacifique et non violente pour quelqu’un comme vous, qui a choisi la résistance armée comme moyen de libération ?
Leila Khaled : La résistance revêt plus d’un aspect. Il peut y avoir tous les genres de résistance. La non violente et la violente. Je n’ai pas de problème avec les gens qui choisissent la non-violence. Nous ne libérerons pas notre pays par la seule lutte armée. D’autres genres de résistance sont nécessaires. La résistance politique, la diplomatique, la non violente. Nous devons utiliser tout ce que nous avons. Depuis plus de dix ans, maintenant, les gens manifestent à Bil’in, à Nabi Saleh…
Ils protestent contre le mur et contre l’annexion des terres. Comment Israël traite-t-il cette affaire ? Par la violence, les gaz lacrymogènes, les bombes… Pensez-vous qu’il soit acceptable d’utiliser une armée, avec un arsenal impressionnant, contre des gens qui brandissent des banderoles ? Je suis pour le fait de recourir à toutes les sortes de résistance. Nous ne pouvons pas dire que la résistance non violente à elle seule réalisera nos droits. Nous sommes face à un État d’apartheid, au sionisme en tant que mouvement, aux Américains et, en général, à l’Occident, qui soutient Israël. Quand l’équilibre des forces changera, alors nous pourrons envisager de penser à négocier.
LMADO : Il est toujours plus facile de plaider la cause de la résistance armée quand le grand public sait qui est l’oppresseur et qui est l’opprimé. Vos actions en 1969 et 1970 tournaient autour de cette question, non ? Faire connaître la Palestine. Pensez-vous que le processus éducationnel consistant à montrer un autre visage de la Palestine, à montrer que les Palestiniens ont une légitimité et ont raison, a été suffisamment utilisé depuis les années 1970 ?
Leila Khaled : Prenons l’exemple du Vietnam. Ou de l’Algérie et de l’Afrique du Sud. Il a fallu du temps aux gens pour convaincre le monde entier de la légitimité de leur combat. Cela a pris du temps. À la fin, le monde a compris que ceux qui sont opprimés ont le droit de résister de la façon qu’ils veulent. Personne ne peut nous imposer une forme de résistance. Nous n’avons pas réalisé nos buts.
Puis l’Intifada a éclaté et le monde entier nous a pris au sérieux. Nous avons obtenu le soutien de gens dans le monde entier. Pourtant, nous n’avons pas atteints nos objectifs, parce que la direction n’était pas assez courageuse à l’époque pour imprimer une escalade à l’Intifada, pour la porter à un niveau supérieur. Israël était prêt à accepter de se retirer de la Cisjordanie et de la bande de Gaza. Mais notre direction nous a fait faux bond.
L’Intifada était le choix du peuple. Si vous remontez au début de la résistance et de la prise des armes. C’était une nécessité pour les Palestiniens, après 1967. Nous dépendions des pays arabes pour réinstaurer notre patrie. Mais ils nous ont fait faux bond aussi. Israël a occupé une plus grande partie encore de la Palestine. Nous avons donc décidé de prendre notre sort en main nous-mêmes, en nous lançant dans la lutte armée. Aujourd’hui, les gens attendent mais ils comprennent que ces négociations ne nous mèneront nulle part. Nos expériences passées avec Israël nous ont montré qu’on ne pouvait leur faire confiance. Ils ne respectent pas leur parole. Ils ne cessent de nous menacer.
Abou Mazen n’est pas un partenaire pour la paix ? Qui l’est ? Sharon ? Netanyahu ? Ce gouvernement de droite ? Ce n’est pas un gouvernement, c’est un gang, essentiellement, qui représente les colons, les fascistes, les racistes. Le mensonge a commencé au siècle dernier.
En prétendant que c’était la terre des Juifs. La Bible la leur avait donnée. Est-ce démocratique ? Le monde, en 1948, a accepté ce mensonge. Dieu nous a promis la terre ! Comme si Dieu était un agent Il s’agit d’un projet colonial. Voilà le principal problème de ce conflit.
LMADO : La lutte vise à mettre un terme au projet colonial d’implantations israéliennes, puis de mettre un terme à l’apartheid. Que se passera-t-il, à votre avis, le lendemain ? Le lendemain de la victoire ? Une solution à l’algérienne, ou une solution à la sud-africaine ?
Leila Khaled : Nous avons toujours proposé la solution la plus humaine. Un endroit où chacun vit sur une base égalitaire. Juifs, musulmans, je ne me préoccupe pas de la religion de la personne. Je crois en l’être humain lui-même. Les êtres humains peuvent s’asseoir ensemble et peuvent décider ensemble de l’avenir de ce pays. Mais je ne puis accepter de ne pas avoir le droit, là, maintenant, de retourner dans ma ville. Comme six millions de Palestiniens. On ne nous permet pas d’aller là.
Nous proposons une solution humaine et démocratique. Personne ne peut me dire que nous ne pouvons décider du sort de notre pays parce que nous sommes des réfugiés. Ce qui nous est arrivé est un précédent, dans l’histoire, pour autant que je sache. On chasse des gens de leurs maisons et un autre peuple, venu de très, très loin, prend leur place.
Les Israéliens étaient des citoyens d’autres pays. Grâce à diverses organisations, Israël, avant 1948, a mis sur pied une armée. OK, mais il n’y avait pas de société. Ils ont amené des gens de l’extérieur. Même aujourd’hui, il y a d’énormes contradictions dans ce pays et dans cette société. Les gens proviennent de diverses cultures, certains ne parlent même pas hébreu. Nous ne voulons pas plus de sang, mais nous sommes obligés de résister. Nous avons le droit de vivre dans notre patrie.
Quand les Israéliens comprendront que tant qu’ils ne changeront pas, ce conflit sera interminable, ils accepteront notre solution. Certains Israéliens l’ont déjà compris, qu’il n’était pas possible de continuer à se battre éternellement. En vue de quoi ?
LMADO : Pouvez-vous nous parler du rôle des femmes dans la résistance ? Et pensez-vous que vos actions, les détournements en 1969 et 1970, ont fait davantage pour la Palestine, ou pour les femmes dans le monde, ou pour les deux ?
Leila Khaled : Les détournements n’étaient qu’une tactique. Nous voulions libérer nos prisonniers et nous étions obligés d’adopter une position très forte. Nous devions également tirer une sonnette, à l’adresse du monde entier, pour dire que nous, les Palestiniens, ne sont pas que des réfugiés. Nous sommes un peuple avec un but politique et humain. Le monde nous a donné des tentes, des vêtements de seconde main et de la nourriture. Ils ont construit des camps pour nous.
Mais nous étions bien plus que cela. Aujourd’hui, il y a des plans pour mettre un terme aux camps, parce qu’ils sont des témoins de 1948. Les femmes, en tant que partie constituante de notre peuple, ressentent les mêmes injustices. Et ainsi donc elles s’impliquent. Les femmes donnent la vie. Et ainsi donc elles sentent le danger, et même davantage que les hommes. Quand elles sont concernées, elles sont plus fidèles à la révolution parce qu’elles défendent les vies de leurs enfants aussi.
Quand j’ai donné naissance à deux enfants, j’ai été de plus en plus convaincue que je devais faire de mon mieux pour les défendre et leur bâtir un meilleur avenir. Je ressenti ce qu’éprouvaient les femmes qui avaient perdu leurs enfants. Ainsi donc, je pense que mes actions ont eu un impact sur les deux, pour répondre à votre question. Le slogan du front populaire était celui-ci : « Hommes et femmes ensemble dans la lutte pour la libération de notre patrie. »
Le FPLP a appliqué la chose en donnant une place aux femmes dans l’armée. En même temps, les femmes ont également joué un rôle important dans la défense du front intérieur, les familles. Des milliers de femmes palestiniennes sont aujourd’hui responsables de leur famille. Après toutes les guerres, les massacres, les arrestations, les assassinats par Israël, ces femmes ont protégé leurs familles en les empêchant d’être dispersées. Et aussi, aujourd’hui, les femmes reçoivent une éducation, elles travaillent, elles voyagent, elles vont à l’université, etc. Avant la révolution, ce n’était pas le cas.
Maintenant, ce l’est. Et c’est un must. Vous pouvez vous rendre compte que les femmes sont impliquées dans de nombreux aspects de la lutte et de la société. Que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur de la Palestine.
LMADO : Lina Makboul, qui a réalisé le film « Leila Khaled : Hijacker » laisse entendre dans sa dernière question dans le film que vos actions ont fait plus de tort que tout autre chose au peuple palestinien. Le film se termine juste après la question. Qu’aviez-vous répondu ?
Leila Khaled : Elle m’a dit qu’elle l’avait fait dans des buts cinématographiques. Mais je n’ai pas aimé cela. Le fait que les gens ne pouvaient entendre ma réponse. Ma réponse était non, bien sûr ! Mes actions étaient ma contribution à mon peuple, à la lutte. Nous n’avions blessé personne. Nous avions déclaré au monde entier que nous étions un peuple, que nous subissions une injustice, et que le monde devait nous aider à atteindre notre but.
Je suis restée assise avec Lina pendant des heures et des heures, vous savez, à lui raconter toute l’histoire. Elle m’a dit par la suite que la TV suédoise ne voulait uniquement que cette question.
LMADO : Réfléchissez-vous parfois au passé ? Qu’est-ce qui a été fait, qu’est-ce qu’on aurait pu faire, qu’est-ce qu’on aurait pu faire différemment, quand vous voyez l’état actuel des choses Qu’est-ce qui a mal tourné ?
Leila Khaled : Récemment, mon parti a tenu sa septième conférence et a revu ses positions. Nous avons alors élaboré un programme pour élargir nos relations avec les forces progressistes du monde entier, et tout particulièrement au niveau arabe. Nous avons également décidé de renforcer notre structure intérieure.
J’ai aussi appris que je devais revoir mes propres positions, ma propre pensée. Chaque année, vers décembre, je regarde en arrière vers le passé et je décide alors de faire quelque chose l’année prochaine. Cette année, j’ai décidé d’arrêter de fumer, et c’est ce que j’ai fait.
LMADO : Mabruck!
Leila Khaled: J’ai pris cette décision et il m’a été facile de l’appliquer.
LMADO : Pourquoi, à votre avis, la Palestine est-elle devenue un tel symbole du mouvement de solidarité ?
Leila Khaled : La Palestine, pour moi, c’est le paradis. Les religions parlent de paradis. Pour moi, la Palestine est le paradis. Elle mérite nos sacrifices.