Horreur et humiliation hantent les parages du principal hôpital de Gaza
Karam al-Shawwa a été le témoin d’incidents horribles de l’actuelle guerre génocidaire d’Israël. Sa maison était située près d’al-Shifa, le plus grand hôpital de Gaza.
Sara Nabil Hegy, 16 avril 2024
Les livraisons d’aide, désormais, sont qualifiées de « coupe-gorges ».
Karam al-Shawwa sait bien pourquoi.
Le 29 février, il a assisté au « massacre de la farine ». Ce jour-là, Israël avait ouvert le feu sur les Palestiniens qui attendaient de la nourriture rue al-Rashid, dans le sud-ouest de la ville de Gaza.
Il en était résulté la mort de 118 personnes.
Karam était au milieu de la foule. Lui et son ami Muhammad avaient quitté les lieux au moment où ils avaient entendu l’avertissement d’un soldat israélien leur disant de se disperser.
Dès qu’ils avaient commencé de s’éloigner, ils avaient vu l’armée israélienne attaquer la foule.
L’incident dans toute son horreur avait convaincu Karam que faire la file pour de l’aide était trop dangereux. Pourtant, quelques jours plus tard, il s’était retrouvé en train de courir vers un endroit où, selon des infos circulant de bouche à oreille, des tonnes de farine étaient disponibles.
Comme sa famille n’avait plus rien à manger, Karam avait estimé qu’il était nécessaire de mettre la main sur un peu de farine.
« Malheureusement, certains d’entre nous sont arrivés trop tard »,
dit-il.
« J’ai vu des gens ramasser désespérément des restes de farine qui traînaient au sol. La farine était mélangée avec le sable. Mais ces gens se sont dit qu’il valait mieux la ramasser que de retourner les mains vides auprès de leurs familles. »
Karam a été le témoin des incidents les plus horribles de l’actuelle guerre génocidaire d’Israël. Sa maison était située près d’al-Shifa, le plus grand hôpital de Gaza.
Quand les troupes israéliennes ont assiégé l’hôpital en mars (après l’avoir déjà attaqué précédemment à plusieurs reprises), Karam a su qu’il était en train de vivre un « cauchemar sans fin ».
Il était extrêmement inquiet de ce qui pouvait arriver à sa sœur et à leur mère – d’autant plus que l’armée israélienne avait pris possession d’un immeuble en face de l’endroit où elles vivaient.
D’après ce que la famille al-Shawwa avait pu comprendre, les forces israéliennes s’étaient mises à utiliser le bâtiment dans le but de coordonner les opérations du siège d’al-Shifa et des environs.
Le 20 mars, la famille avait passé une nuit extrêmement pénible.
C’était le Ramadan et, bien qu’ils eussent jeûné toute la journée, ils n’avaient pas le moindre appétit le soir. Ils s’étaient contentés de rompre le jeûne avec un peu d’eau et des dattes.
« Le bruit des détonations de l’occupation israélienne était assourdissant », explique Karam.
« Profondément choqué »
Karam avait appris que les Israéliens avaient fait irruption dans la maison de son oncle, qui vivait juste à côté. Manal – la mère de Karam – avait en toute hâte ramassé l’argent et les bijoux de sa propre famille dans l’intention de les soustraire à la vue des forces israéliennes.
Le lendemain matin, la famille avait essayé de contacter l’oncle de Karam sans toutefois pouvoir l’atteindre. Ils s’étaient alors rendus à sa maison, une fois assurés de ce que les soldats israéliens n’y étaient plus.
« J’ai été profondément choqué par l’état de la maison »,
dit Karam.
« Il n’y avait pas un seul endroit sur les murs où il n’y avait pas un impact de balle. »
Il avait fallu près d’une journée pour que la famille parvienne à avoir des nouvelles de l’oncle de Karam. Quand les Israéliens avaient fait irruption chez lui, ils lui avaient ordonné de s’en aller.
Quelques jours plus tard, les chars israéliens avaient encore fait irruption dans leur rue.
Vu que l’on tirait dans les abords immédiats, les six membres de la famille s’étaient couchés à même le sol de leur appartement. Ils rampaient d’une pièce à l’autre et cherchaient à se tenir éloignés des fenêtres.
Bientôt la famille avait entendu dire que les soldats israéliens avaient forcé les portes d’autres appartements du même immeuble.
La famille avait entendu divers conseils sur la façon de répondre si elle se trouvait nez à nez avec des soldats israéliens. Il était conseillé d’adopter une attitude soumise, sans quoi les conséquences risquaient d’être fatales.
Raed, le père de Karam, connaissait bien l’hébreu. Il avait appris la langue après de fréquentes visites en Israël en vue d’être traité pour un cancer en 2007.
Quand Raed avait appris que les soldats israéliens étaient très près, il s’était placé derrière sa porte et avait parlé d’une voix forte.
« Nous sommes des civils, une famille de six personnes »,
avait-il dit.
« Moi-même, ma femme, trois fils et une fille. Dois-je ouvrir la porte ? »
Après que Raed avait ouvert la porte, les soldats l’avaient emmené hors de l’appartement. Ils lui avaient ordonné de s’asseoir par terre, les mains en l’air.
Les soldats avaient ensuite ordonné aux autres membres de la famille de quitter l’appartement, un par un.
Tout le monde avait obéi, sauf Majed, le fils aîné.
Majed, qui souffrait de paralysie cérébrale, était extrêmement effrayé et refusait de bouger.
Son père Raed avait essayé de dire aux soldats que Majed avait un grave problème médical. Il ne voulait pas avancer parce qu’il avait peur, et non parce qu’il voulait désobéir, avait expliqué Raed.
Forcés de se dévêtir
Les soldats avaient divisé la famille en deux.
Majed, sa sœur Intisar et leur mère avaient été gardés dans la salle de séjour. Kara, son plus jeune frère Amr et leur père avaient été emmenés à la cuisine.
« Ils nous ont dit d’enlever nos vêtements »,
dit Karam.
« Un soldat est venu près de moi et m’a pris par CI. Après nous avoir fouillés de façon humiliante, ils nous ont fait mettre à genoux, les mains en l’air. »
Les soldats étaient allés un peu partout dans l’appartement.
Ils avaient fini par trouver une boîte remplie de balles qui avaient déjà été utilisées. La famille avait ramassé ces balles dans les rues après une précédente invasion terrestre de l’armée israélienne.
« Les soldats ont pointé leurs armes sur la tête de mon père »,
dit Karam.
« Et j’ai été frappé d’un coup de crosse d’une autre arme. »
Les soldats avaient accusé la famille de garder des armes pour le Hamas. Raed, le père de Karam, avait cherché à leur faire comprendre que ces balles avaient déjà été tirées et qu’en fait, elles l’avaient été par des soldats israéliens.
Mais les soldats avaient continué de se montrer agressifs. Ils avaient alors lié les mains des trois hommes dans la cuisine et leur avaient bandé les yeux. Ils les avaient forcés à se tenir debout face au mur pendant une heure environ, au cours de laquelle ils avaient de nouveau fouillé l’appartement.
Après quoi les hommes avaient été emmenés au premier étage de l’immeuble.
Avec d’autres membres de la famille, on leur avait demandé leurs cartes d’identité afin de les contrôler.
Karam n’avait pu s’exécuter, du fait que le même soldat qui avait donné l’ordre lui avait déjà pris sa carte et ne la lui avait pas rendue.
Le soldat avait nié avoir pris la carte « et il m’avait accusé de mentir », dit Karam.
Quand le soldat avait demandé son numéro d’identité à Karam, celui-ci n’avait pu le lui donner, puisqu’il ne l’avait pas mémorisé. Jamais auparavant, il n’avait eu besoin de le faire.
Le soldat lui avait alors demandé son nom. Dix fois de suite.
Et, à dix reprises, Karam avait répété son nom complet et le soldat lui avait alors rendu sa carte.
Avant cela, la famille avait décidé de rester à Gaza. Cette fois, ils n’avaient plus d’autre choix que de s’en aller vers le sud.
On leur dit qu’ils devraient se dévêtir jusqu’à la taille, quand ils évacueraient.
Les soldats avaient prétendu que cette mesure était nécessaire pour assurer leur sécurité. Cela afin de montrer clairement aux troupes israéliennes, tout au long du trajet, qu’ils étaient des civils.
On les avait alors amenés à l’entrée de l’immeuble. Là, ils avaient retrouvé Majed, le frère de Karam, en compagnie des membres féminins de leur famille et d’une famille de voisins. Tous étaient assis par terre.
Les soldats leur avaient donné plusieurs torches, dont l’une avait été placée sur la tête de Karam.
Les soldats les avaient mis en garde en leur disant qu’ils devaient suivre la route balisée. En dévier de cette route leur aurait valu de se faire tirer dessus.
Une petite victoire
Karam avait pu voir que sa mère était embarrassée au sujet de quelque chose de spécial. Il avait découvert que ses efforts en vue de cacher les biens précieux de la famille avaient été vains.
Les soldats l’avaient obligée à leur remettre « son or et les économies de la famille accumulées au fil de longues années de dur labeur », dit Karam. Les soldats avaient même insisté pour que la famille leur cède ses téléphones.
Il y avait de nombreux cadavres le long de la route que la famille avait dû parcourir à pied. Il était difficile de marcher en raison des quantités énormes de débris en tout genre qui encombraient le trajet.
Ils avaient croisé des chars à plusieurs reprises.
Peu avant d’atteindre Wadi Gaza – la réserve naturelle qui divise la bande de Gaza – la sœur de Karam lui avait remonté un peu le moral.
Elle avait remporté une petite victoire sur l’armée israélienne en dissimulant le GSM de Karam. Les soldats israéliens lui avaient ordonné de leur remettre les six téléphones de la famille. Ils ne savaient pas qu’elle était parvenue à en dissimuler un septième.
Raed, leur père, avait alors contacté un de ses amis dans le camp de réfugiés de Nuseirat, dans la partie centrale de Gaza. L’ami avait accueilli la famille à Nuseirat en leur donnant des vestes et des couvertures.
Depuis, la famille était restée à Nuseirat. La maison dans laquelle ils avaient d’abord trouvé refuge avait été attaquée, un peu plus tard.
Ils avaient par conséquent dû s’installer dans un autre quartier de Nuseirat.
Avant qu’Israël n’entame la guerre présente, la famille avait quelques propriétés. Aujourd’hui, toutes ont été détruites.
« Tout ce que nous chérissions est désormais perdu », dit Karam. « Il ne nous reste rien. »
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Sara Nabil Hegy écrit et est originaire de Gaza.
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Publié le 16 avril 2024 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine