Burqin, Cisjordanie occupée – Une tente, décorée des drapeaux des factions politiques palestiniennes et d’affiches à l’effigie de Hana, 29 ans, occupe le devant de la maison familiale des Shalabi.
Depuis le matin de la veille de la fête des Mères, la tente a reçu un afflux constant de visiteurs. Des enseignants et des étudiants des écoles secondaires de Burqin, des membres des organisations de femmes et de fermiers de la localité et des mères de martyrs palestiniens ont apporté à la famille des roses et des fleurs à longues tiges, largement de quoi faire un énorme bouquet.
Badia, la mère déjà âgée de Hana, passe le plus clair de son temps assise à l’intérieur de la tente. Elle ne supporte pas de rester dans la maison – cela lui rappelle trop la présence de Hana.
Ces quarante derniers jours, Hana Shalabi a été en grève de la faim, ne consommant que de l’eau. Gardée en ce qu’on appelle « détention administrative », une mesure d’un autre âge fréquemment utilisée par Israël pour arrêter et incarcérer des Palestiniens durant un laps de temps indéterminé et sous le prétexte de menaces à la sécurité reposant sur des « preuves secrètes ».
Officiellement, Hana n’a été accusée d’aucun délit. Sa santé se détériore rapidement et, selon les derniers examens effectués la semaine dernière par Physicians for Human Rights-Israel (Médecins pour les droits de l’homme – Israël), elle risque une « mort imminente ».
Zahra Shalabi nous conduit à l’intérieur de la petite maison immaculée. Zahra se met à parler d’un air grave de sa sœur Hana qui, bien qu’elle soit de neuf ans sa cadette, est la plus proche d’elle.
« Tout ce que Hana faisait dans cette maison est désormais comme un rêve », déclare Zahra, ajoutant :
« Elle s’éveillait le matin et, aussitôt, préparait le thé ou le café pour nous deux. Parfois, je ne puis croire qu’elle n’est plus ici. »
Hana est l’une des cinq Palestiniennes qui ont été arrêtées de nouveau par Israël après avoir été relâchées lors de la libération de prisonniers, en octobre, conclue entre le Hamas et Israël.
Cette nouvelle arrestation constitue donc une violation de l’arrangement. Avant sa libération en octobre, Hana avait passé 25 mois en prison, en détention administrative, une mesure renouvelable tous les six mois.
Lors de la dernière visite de sa famille, Hana a informé sa mère de ce qu’elle allait entamer une grève de la faim si sa détention devait être reconduite pour la sixième fois. Quand la nouvelle de l’arrangement à propos des prisonniers fut révélée, ce fut une surprise bienvenue et des plus agréables.
« Nous étions toutes comblées d’un indicible bonheur », raconte Zahra.
« Hana ne pouvait croire qu’elle était hors de la prison. Nous sommes restées debout longtemps après minuit, le jour où elle a été libérée, tout à bavarder et à rire sans retenue. Elle m’a raconté des histoires de sa vie en prison, les conditions sanitaires des cellules, le tout avec l’air de plaisanter. »
Les quatre mois entre octobre et février ont été des journées sans problème, débordant de rêves et d’ambitions. Hana aimait le contact avec d’autres personnes. Elle était en train de faire les démarches pour pouvoir s’inscrire à l’université, à l’Université américaine de Jénine. Elle voulait obtenir son permis de conduire et, plus tard, acheter une voiture. Elle courait les magasins, achetant de nouveaux tapis et des tentures pour sa chambre à coucher, de même que de nouveaux vêtements du fait qu’elle ne pouvait plus supporter ceux qu’elle avait avant son séjour en prison. Elle rêvait aussi de se marier et de trouver l’homme parfait avec qui passer le reste de sa vie.
Le 16 février, à 2 h 30 du matin, Zahra s’est réveillée : il y avait des bruits inhabituels à l’extérieur de la maison. Elle a d’abord pensé qu’il s’agissait de quelques chiens errants mais, alors, il y a eu le bruit reconnaissable entre tous d’une jeep de l’armée israélienne. Hana s’est réveillée en panique, criant « Les Israéliens ! Les Israéliens ! » Elle a pensé par erreur que les soldats de l’occupation venaient pour son frère Ammar, qui avait passé quinze jours en prison après que l’Autorité palestinienne l’avait arrêté, en 2009, sur l’accusation non fondée de détention d’armes. La pensée d’être arrêtée de nouveau ne lui a même pas effleuré l’esprit jusqu’à ce que le chef des Israéliens l’appelle par son nom.
« Elle s’est mise à sauter en tous sens comme un oiseau en cage », déclare Zahra. « Elle paniquait et ne cessait de répéter qu’elle n’irait pas avec les soldats parce qu’elle n’avait rien fait. »
Les soldats ont fait irruption dans la maison, obligeant tout le monde à s’asseoir par terre. Un soldat a attrapé Hana, qui a essayé de le repousser. Il s’est mis à la frapper. Une autre unité est montée à l’étage, à l’appartement de son frère Ammar, et a effrayé les enfants en s’y précipitant avec des chiens policiers.
Vêtue seulement d’un pyjama léger et empêchée de s’habiller de façon plus normale, Hana a été emmenée à l’extérieur, dans le froid, par l’« officier Shalom », qui l’a interrogée durant cinq minutes. Peu après, elle s’est fait embarquer et a entamé presque aussitôt sa grève de la faim, après avoir subi d’autres coups encore et avoir été forcée de subir une fouille corporelle complète en présence d’un militaire de sexe masculin.
Des affiches à l’effigie de Hana ont été placardées à l’intérieur de la maison. Sur un mur se trouve un large portrait encadré de son frère martyr Samer, abattu par des soldats israéliens en septembre 2005. Le cadre portrait une étiquette indiquant l’appartenance de Samer à l’aile militaire armée du Fatah, les Brigades Al-Quds.
Quand on lui pose la question de l’affiliation de Hana au Djihad islamique, Zahra y va d’un petit sourire :
« Elle n’est sûrement pas du Djihad islamique. Elle n’appartient à aucune faction. Quand Israël vous met en prison, ses services de sécurité demandent de quelle faction vous faites partie. Hana a choisi le Djihad islamique sur un coup de tête. »
Le 3 mars, après 17 jours de grève de la faim, Israël a proposé une réduction de peine à quatre mois à Hana, mais elle est restée intransigeante : elle ne romprait sa grève de la faim que si elle était libérée immédiatement. Faisons remarquer une nouvelle fois que personne ne sait pourquoi elle est détenue ni quelles sont les preuves contre elle.
« Hana est-elle Israël ? Est-elle les États-Unis ? », demande Zahra en colère.
« Détient-elle des missiles ou des roquettes ? Où est la menace contre Israël ? Pourquoi ne pouvons-nous lui rendre visite ? Je connais Hana, nous avons grandi ensemble. Elle n’a rien fait. Ce serait la pire des injustices, si Hana devait mourir en prison, parce qu’elle est innocente. Je suis sûre que ma sœur ne passera pas une nouvelle semaine. Ma sœur est en train de mourir »,
dit Zahra en se mettant à pleurer.
Elle continue en disant :
« Je ne placerais jamais mon ennemi dans la situation de ma sœur. Nous demeurons fermes en dépit de la douleur qui explose en nous. Je ne souhaiterais cela à personne. »
Le 3 mars, après 17 jours de grève de la faim, Israël a proposé une réduction de peine à quatre mois à Hana, mais elle est restée intransigeante : elle ne romprait sa grève de la faim que si elle était libérée immédiatement.
Les Shalabi apprécient le soutien moral venu non seulement de la Palestine, mais du monde entier. Toutefois, elles voudraient que ce soutien se mue en action, afin d’assurer la libération immédiate de Hana, en train de dépérir à l’hôpital israélien Me’ir de Kfar Saba, où elle a été transférée le 20 mars. Chaque fois qu’il y a une session du tribunal pour auditionner les appels de Hana, les nerfs de toute la famille sont soumis à une tension psychologique intérieure, ne serait-ce que parce que leurs espoirs sont balayés après chaque report du procès.
Lundi 19 mars, les parents de Hana ont rencontré le président de l’Autorité palestinienne (AP), Mahmoud Abbas, au siège de l’AP, al-Muqataa, à Ramallah. Ils lui ont demandé d’assurer la libération de leur fille. Abbas a répondu qu’il ferait de son mieux, mais Zahra réfute ce qu’il dit.
« Pourquoi se dit-il président alors qu’il ne peut utiliser son pouvoir diplomatique pour faire libérer ma sœur ? Je ne crois même pas qu’il ait essayé. Quand Hana a été arrêtée la première fois en 2009, le « capitaine Faisal », l’officier israélien, a agité certains papiers dans notre direction quand nous lui avons demandé pour quel motif ma sœur était arrêtée. Il nous a dit que l’AP lui avait remis le dossier secret qu’elle avait sur Hana. »
Zahra est une femme mince qui a vieilli avant l’âge. Ses yeux sont des puits de tristesse et fréquemment, des accès subits de larmes émaillent son long récit posé et ininterrompu. Elle a des troubles du sommeil la nuit, rêvant souvent que sa sœur vient à elle les mains menottées et l’implorant de les lui retirer. Elle s’éveille très souvent, irrégulièrement, et dit qu’elle ressent la douleur de sa sœur.
« Ses battements de cœur qui faiblissent, ce sont les miens qui faiblissent. Ses élancements à l’estomac sont les miens. Si elle meurt, j’espère qu’elle hantera les rêves de tous ceux qui sont responsables de sa vie, tout ceux qui auraient pu faire quelque chose pour obtenir sa libération mais qui ne l’ont pas fait. La réalité, c’est que le monde a laissé tomber Hana. Que pouvons-nous faire d’autre que de placer notre foi et notre confiance en Dieu ? »
Un article de Lina Alsaafin publié le 26 mars 2012 sur Electronic Intifadah.
Traduction : Jean-Marie Flémal
Manifestation pour la libération de Hana Shalabi à Glasgow, Ecosse, le 24 mars 2012.
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