Israël massacre les civils afin de maximaliser la pression sur le Hamas

C’est vraisemblablement la frustration à propos de son échec militaire contre la résistance palestinienne qui pousse Israël à intensifier ses massacres de civils dans l’espoir qu’il pourra concrétiser par le biais d’un génocide ce qu’il n’a pu obtenir sur le champ de bataille : la reddition palestinienne.

 

Massacre des civils palestiniens. Photo : 13 juillet 2024. Les corps des Palestiniens tués lors d'une attaque israélienne contre une maison appartenant à la famille al-Rai sont transférés à l'hôpital des Martyrs d'Al-Aqsa, à Deir al-Balah, dans la partie centrale de Gaza.

13 juillet 2024. Les corps des Palestiniens tués lors d’une attaque israélienne contre une maison appartenant à la famille al-Rai sont transférés à l’hôpital des Martyrs d’Al-Aqsa, à Deir al-Balah, dans la partie centrale de Gaza. (Photo : Omar Ashtawy / APA images)

 

Maureen Clare Murphy, 17 juillet 2024

« La semaine dernière a été l’une des plus meurtrières à Gaza depuis le début de la guerre »,

a expliqué lundi Tamara Alrifai, une porte-parole de l’UNRWA, l’agence de l’ONU pour les réfugiés de Palestine.

Israël a attaqué cinq écoles de Gaza en huit jours, massacrant ainsi des dizaines de Palestiniens.

Samedi, lors d’une des attaques les plus meurtrières du génocide, qui en est actuellement dans son dixième mois, Israël a tué au moins 90 Palestiniens civils à al-Mawasi.

Pourtant, Israël avait unilatéralement déclaré al-Mawasi « zone humanitaire », en dépit d’un manque d’infrastructures pour soutenir les gens auxquels il avait ordonné d’évacuer d’autres secteurs de Gaza.

Dans ces frappes sur al-Mawasi, Israël a prétendu avoir ciblé Muhammad Deif, chef militaire du Hamas et commandant d’un bataillon de l’organisation de résistance.

Environ la moitié des personnes tuées dans l’attaque contre al-Mawasi étaient des femmes et des enfants, a déclaré le ministère palestinien de la santé à Gaza, en expliquant que la plupart des victimes étaient des civils. Au moins 300 autres personnes ont été blessées,

« dont un grand nombre de femmes et d’enfants qui ont perdu des membres et/ou ont été paralysés lors de l’attaque »,

fait savoir Euro-Med Human Rights Monitor (Euro-Med).

Dimanche, 17 personnes ont été tuées et des dizaines d’autres blessées lors d’une attaque contre une école de l’ONU utilisée comme refuge dans le camp de réfugiés de Nuseirat.

Au moins 539 personnes réfugiées dans des installations de l’UNRWA ont été tuées depuis octobre, a déclaré mardi l’agence de l’ONU.

 

Massacres de civils Palestiniens

 

Au moins 141 Palestiniens avaient été tués à Gaza au cours des dernières 24 heures, avait rapporté le ministère palestinien de la santé dimanche. Et, lundi, les rapports faisaient état de 80 tués.

Mardi, Israël a continué de verser le sang palestinien comme si c’était de l’eau, tuant au moins 57 personnes.

Parmi celles-ci figuraient 17 personnes tuées dans une zone hébergeant des Palestiniens déplacés, al-Mawasi, alors qu’Israël avaient prétendu cibler un important combattant du Djihad islamique.

Au moins 23 personnes ont été tuées lors d’une frappe aérienne israélienne sur une école de l’ONU utilisée comme abri dans le camp de réfugiés de Nuseirat. Le journaliste Muhammad Mishmish faisait partie des victimes, ce qui porte à 160 le nombre de journalistes tués à Gaza depuis octobre, a déclaré le bureau des médias gouvernementaux du territoire.

 

Massacre des civils palestiniens : Le journaliste Muhammad Mishmish

 

Dans ce cas également, Israël a prétendu avoir attaqué des « terroristes » qui, selon lui, opéraient dans l’école.

 

« Un mode de comportement »

Suite au massacre de samedi à al-Mawasi, trois éminentes organisations des droits humains – Al Mezan, Al-Haq et le Centre palestinien pour les droits humains (CPDH) – ont déclaré que les attaques

« s’inscrivaient dans un mode de comportement affiché par Israël pour détruire la vie palestinienne à Gaza ».

Les attaques contre les refuges hébergeant des personnes déplacées sont caractéristiques de la pression maximale exercée sur les civils de Gaza tactique clé de l’offensive militaire israélienne depuis le 7 octobre.

L’immense majorité de la population (2,3 millions d’habitants) a été déplacée de ses foyers, dans bien des cas à de multiples reprises, ce qui sape tout sentiment de sécurité ainsi que la capacité des organisations d’aide à subvenir de façon soutenue aux besoins de la population.

Un siège quasi total contre Gaza et la destruction de sa capacité de production alimentaire ont provoqué la propagation de la famine et de la soif. Les bombardements des installations de soins de santé et d’assainissement ont fait le jeu de la prolifération des maladies évitables alors que le ciblage systématique des installations de santé de Gaza signifie que les traitements sont rarement disponibles.

Israël a tenté de justifier ses attaques sans avertissement contre des sites hébergeant des personnes déplacées en prétendant – au mépris total de la distinction, de la proportionnalité et de la précaution, c’est-à-dire les principes fondamentaux des lois de la guerre – que des membres des organisations de la résistance palestinienne y étaient présents.

Israël a maintes et maintes fois accusé le Hamas et les autres organisations de résistance de s’intégrer parmi les civils et d’utiliser de ce fait ces derniers comme des boucliers humains.

Les trois organisations palestiniennes des droits humains ont déclaré que

« la perpétration par Israël de ces crimes tout en prétendant cibler des dirigeants militaires [du Hamas] n’est autre qu’une tentative de justification d’une tuerie massive de Palestiniens, selon un modèle qui n’a cessé de se reproduire au cours des dix derniers mois ».

L’utilisation d’armes

« à la puissance destructrice énorme dans une zone aussi densément peuplée et active, montre bien l’intention manifeste d’Israël de causer le plus de dommages possible aux Palestiniens »,

ont ajouté les organisations des droits humains.

Euro-Med s’est fait l’écho du cabinet du responsable des droits humains de l’ONU en déclarant que, indépendamment de l’adhésion d’une partie d’un conflit, tel le Hamas, aux lois internationales humanitaires,

« l’autre partie est toujours tenue juridiquement de respecter et d’honorer les dispositions de la loi ».

L’organisation installée à Genève a ajouté que l’utilisation d’armes d’origine américaine dans les attaques israéliennes qui violent les lois de la guerre

« fait des EU – et tout autre pays qui fournit des armes à Israël – un complice des tueries qui se produisent à un niveau sans précédent dans l’histoire de la guerre moderne ».

 

L’impunité prolonge le génocide

Les organisations des droits humains en Palestine et ailleurs, ainsi que les experts indépendants des droits humains de l’ONU, ont réclamé l’arrêt des transferts d’armes vers Israël et d’autres formes de sanctions, de même que des procès pénaux devant les cours internationales.

Au lieu de cela, les puissants amis d’Israël maintiennent le flux d’armes et travaillent à saper la demande du procureur principal de la Cour pénale internationale en vue d’obtenir des mandats d’arrêt contre de hauts responsables israéliens, prolongeant de la sorte le génocide à Gaza.

Middle East Eye a rapporté la semaine dernière que les EU, qui ne sont pas État partie du traité fondateur de la cour mais ont soutenu ses enquêtes sur les dirigeants russes accusés de crimes de guerre en Ukraine,

« envisagent une proposition juridique »

en vue de contester l’autorité de la CPI quand elle entend sortir des mandats d’arrêt contre les dirigeants israéliens.

La publication a ajouté que les délibérations à Washington

« viennent au beau milieu d’une campagne de lobbying aux niveaux supérieurs de l’administration Biden afin d’empêcher le Royaume-Uni de laisser tomber son appel juridique contre la CPI ».

La situation d’impunité internationale, sauvegardée principalement par les EU, a permis à Israël d’attaquer des civils palestiniens en guise de tactique de négociation dans ses pourparlers indirects avec le Hamas. Mardi, à l’issue d’une nouvelle journée de massacres, le Hamas a blâmé l’administration Biden pour

« le massacre systématique de notre peuple ».

 

La pression

L’analyse qui prévaut en Israël est que les assassinats des dirigeants du Hamas comme Muhammad Deif – bien que l’organisation de résistance nie qu’il ait été tué samedi et qu’Israël soit incapable de confirmer son statut –

« influenceront le comportement du Hamas dans les négociations autour d’un accord sur les prisonniers »,

estime Amos Harel, un journaliste du quotidien israélien Haaretz.

« Le point de vue le plus largement défendu en Israël est que les homicides ciblés, conjointement à l’offensive de Rafah et les raids ailleurs à Gaza, ont ajouté un certain degré de pression militaire sur le Hamas et pourraient rendre Yahya Sinwar, le dirigeant de l’organisation à Gaza, un peu plus flexible »,

a ajouté Amos Harel.

Cette opinion était reprise par une source restée anonyme du gouvernement israélien qui a expliqué à Haaretz que la « non-réponse » du Hamas suite à l’attaque de samedi sur al-Mawasi

« renforce notre point de vue selon lequel notre action militaire (…) a vraiment un impact. Accroître la pression militaire maintenant va nous mettre en mesure de ramener davantage d’otages vivants ».

La CIA, a-t-il été rapporté sur CNN, y est allée d’une évaluation similaire, selon des commentaires émis au cours d’une réunion à huis clos par son directeur Bill Burns, la personne de référence de l’administration Biden dans les pourparlers indirects entre le Hamas et Israël.

Mais cette perspective a été contestée par Yossi Melman, un autre analyste de Haaretz, qui a écrit que les

« opérations militaires israéliennes au Liban et à Gaza semblent montrer que les assassinats mêmes sont devenus une fin en soi ».

Tout le monde, depuis les hommes politiques et les hauts gradés de l’armée jusqu’à la classe des médias et le public,

« prétend que les tueries ciblées résoudront les problèmes de guerre d’Israël »,

d’après Melman, qui met toutefois en garde en disant :

« Les gens se trompent quand ils placent leurs espoirs dans de telles tactiques. »

Sans accord pour mettre un terme à la guerre,

« il n’y aura pas d’arrangement à propos des otages »,

a déclaré Melman.

La guerre qui n’en finit pas à Gaza, a-t-il ajouté, prouve qu’Israël, dirigé par un Premier ministre qui n’est motivé que par sa survie politique,

« est devenu indifférent envers la vie humaine. Et il l’est tout autant envers les vies de ses propres citoyens, dont celles des otages. »

 

L’échec d’une stratégie

L’histoire montre que la tactique consistant à assassiner des dirigeants et massacrer des civils est extrêmement futile, voire contre-productive, selon la perspective d’Israël.
En 1997, l’agence d’espionnage d’Israël, le Mossad, se livrait à Amman à une tentative d’assassinat manquée sur la personne du dirigeant du Hamas Khaled Meshaal, ce qui allait déboucher sur une brève crise diplomatique avec la Jordanie.

Tel-Aviv est parvenu à assassiner d’innombrables dirigeants de tous calibres du Hamas, au fil des décennies, y compris, en 2004, son fondateur Sheikh Ahmed Yassin et son dirigeant à Gaza Abdel Aziz al-Rantisi. Jamila al-Shanti – fondatrice de l’organisation féminine du Hamas, ancienne représentante au Conseil législatif palestinien et veuve d’al-Rantisi – devint la première membre du bureau politique de la faction à être tuée par Israël, au cours d’une frappe aérienne, en octobre 2023.

Malgré ces meurtres, l’organisation n’a fait que gagner en force, développant des capacités militaires de plus en plus sophistiquées que, depuis près de 10 mois, Israël n’est guère parvenu à endommager sérieusement, malgré des niveaux sans précédent de mort et de destruction à Gaza.

La même chose se répète au Liban.

En 1992, Israël a assassiné Sheikh Abbas al-Musawi, le secrétaire général du Hezbollah. Lui a succédé son actuel dirigeant, Hasan Nasrallah, qui a transformé l’organisation en une puissante force militaire capable de dissuader Israël d’organiser une attaque à grande échelle contre le Liban.

En effet, c’est Israël qui apparaît avoir souffert le plus, sur le plan militaire. Cette semaine, son armée a admis une sévère pénurie de chars et de munitions en raison de la guerre à Gaza. Et, confrontée à un manque de soldats, elle envisage de plus en plus d’étendre le service obligatoire aux réservistes.

 

Le désir de briser la résistance alimente le génocide

C’est vraisemblablement la frustration à propos de son échec militaire contre la résistance palestinienne qui pousse Israël à intensifier ses massacres de civils dans l’espoir qu’il pourra concrétiser par le biais d’un génocide ce qu’il n’a pu obtenir sur le champ de bataille : la reddition palestinienne.

Depuis sa création dans la violence, Israël a recouru à des massacres de civils, y compris (sinon spécialement) à Gaza, comme principale stratégie contre ceux qui lui résistent.

La chose a été codifiée dans ce qu’on appelle la « doctrine Dahiya », du nom d’un quartier de Beyrouth-SudIsraël a systématiquement ciblé des infrastructures civiles lors de sa guerre de 2006 contre le Liban.

Cela n’a pas sauvé Israël de la défaite dans cette même guerre et cela n’a fait qu’accroître la résolution du Hezbollah à continuer d’améliorer ses capacités de riposte militaire à Israël.

Dans le contexte de Gaza, cette stratégie a été officieusement baptisée « tondre l’herbe » par les dirigeants israéliens – l’idée horrible, ici, est que des massacres périodiques vont assurer à Israël une période de calme jusqu’à ce que le prochain massacre devienne nécessaire afin de maintenir un État juif en Palestine.

À chaque épisode, Israël a augmenté le nombre de gens qu’il veut tuer, au point que, maintenant, il en est arrivé à commettre un génocide et qu’il s’avère qu’il n’y a plus de limite, dans ce qu’il veut atteindre.

 

La position du Hamas, l’obstruction de Netanyahou

De leur côté, les Palestiniens comprennent que, sans garanties d’une fin permanente de la guerre génocidaire et de la fin de leur asservissement par Israël, tout cessez-le-feu ne sera qu’un prélude au massacre suivant.

C’est pourquoi les négociateurs du Hamas, tout en étant très désireux de mettre un terme au bain de sang à Gaza, restent fermement campés sur leurs revendications fondamentales.

Un haut responsable palestinien resté anonyme et dont on dit qu’il était très proche des négociations, a expliqué à Reuters que

« le Hamas veut la fin de la guerre, mais pas à n’importe quel prix. Il dit qu’il a fait preuve de la flexibilité nécessaire et il incite les médiateurs à obtenir d’Israël qu’il fasse de même ».

Le haut responsable palestinien a déclaré que le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou s’opposait bec et ongles à ce qu’un accord soit atteint en

« ajoutant plus de conditions encore qui restreignent le retour des personnes déplacées vers le nord de Gaza et qui feront en sorte qu’Israël gardera le contrôle du passage frontalier de Rafah vers l’Égypte »,

a rapporté Reuters mardi.

Les tactiques de l’impasse utilisées par Netanyahou semblent apparemment stimulées par le fait que l’attention internationale s’est détournée de la souffrance des civils de Gaza et que les protestations des publics indignés ne sont pas parvenues à décider leurs gouvernements à cesser de soutenir l’extermination par Israël du peuple palestinien.

Du fait que les EU et le Royaume-Uni sont engagés en faveur d’un changement de régime à Gaza, la campagne génocidaire d’Israël va continuer de détruire tous les aspects de la vie dans le territoire. Et chaque jour qui passe sans que cette guerre prenne fin accroît la probabilité de voir son bain de sang s’étendre de plus en plus au niveau régional.

Dans un discours prononcé la semaine dernière, le dirigeant du Hezbollah Hasan Nasrallah a répété que l’organisation de résistance libanaise ne cesserait de tirer en direction d’Israël que si un accord était dégagé en vue de mettre un terme à la guerre à Gaza, tout en rejetant implicitement

« la sortie diplomatique proposée par les EU »,

d’après l’analyste Amal Saad.

En mettant l’accent sur le fait que le Hezbollah suit la direction du Hamas, Nasrallah a déclaré :

« Nous serons avec vous jusqu’à l’extrême fin. »

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Ali Abunimah a contribué à cet article avec des informations de contexte et une analyse de la politique d’assassinat d’Israël.

Ali Abunimah, cofondateur et directeur exécutif de The Electronic Intifada, est l’auteur de The Battle for Justice in Palestine, paru chez Haymarket Books.

Il a aussi écrit : One Country : A Bold Proposal to end the Israeli-Palestinian Impasse

 

 

Maureen Clare Murphy est rédactrice en chef de The Electronic Intifada.

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Publié le 17 juillet 2024 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

 

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