L’assassinat d’Ismaïl Haniyeh ne fera que renforcer la résolution de la résistance

L’assassinat du dirigeant du Hamas Ismaïl Haniyeh à Téhéran, mercredi matin, constitue une escalade majeure qui rapproche plus encore la région d’une guerre totale dont Israël prétend qu’il ne veut pas, mais semble faire tout ce qui est en son pouvoir pour la provoquer.

 

Le dirigeant du Hamas, Ismail Haniyeh, lors des protestations de la Grande Marche du Retour le long de la frontière de Gaza avec Israël, en mai 2018.

Le dirigeant du Hamas, Ismail Haniyeh, lors des protestations de la Grande Marche du Retour le long de la frontière de Gaza avec Israël, en mai 2018. (Photo : Mahmoud Khattab / APA images)

 

Ali Abunimah, 31 juillet 2024

Cela s’est produit quelques heures après qu’Israël avait bombardé le Liban mardi soir, tuant trois civils.

Israël a prétendu avoir visé Fuad Shukr, le plus haut responsable militaire du Hezbollah et un proche confident de son dirigeant, Hasan Nasrallah. Le Hezbollah a confirmé la martyre de Shukr plus tard dans la journée de mercredi et a déclaré que Nasrallah

« annoncerait notre position politique à propos de ce crime demain, lors des funérailles du commandant Shukr ».

Conformément à sa pratique habituelle, Israël s’est abstenu de tout commentaire officiel à propos de l’assassinat d’Ismail Haniyeh et de son garde du corps Wasim Abu Shaaban dans la capitale iranienne, où le dirigeant du Hamas était présent pour l’investiture du président Masoud Pezeshkian ce mardi.

Mercredi, dans un bref discours, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a averti le public de ce que « des jours difficiles nous attendent » et il a encore dit que « nous nous tiendrons unis et déterminés contre chaque menace ».

Il n’a pas commenté l’assassinat de Haniyeh et, en lieu et place, a surenchéri sur sa position consistant à ne pas mettre un terme à la guerre contre Gaza en dégageant l’un ou l’autre accord avec le Hamas. Faisant allusion aux pressions internationales et domestiques, Netanyahou a ajouté :

« Je n’ai pas cédé à ces voix à l’époque et je ne leur céderai pas non plus aujourd’hui. »

Mais au moins un haut responsable israélien, le ministre du patrimoine, Amihai Eliyahu, a célébré l’assassinat. Il a posté sur X – anciennement Twitter – que

« c’est la bonne façon de débarrasser le monde de cette saleté ».

« Plus d’accords imaginaires de « paix »/reddition, plus aucune pitié pour ces fils de la mort »,

a-t-il ajouté.

Malgré le silence officiel d’Israël, peu de personnes doutent de sa responsabilité, et encore moins en Iran, où l’assassinat de Haniyeh sur son territoire sera perçu comme une atteinte majeure à sa souveraineté et à sa sécurité.

« Le régime sioniste criminel et terroriste a fait un martyr de notre hôte cher sur notre territoire et il a provoqué notre chagrin, mais il a également préparé le terrain à un châtiment sévère »,

a déclaré l’ayatollah Ali Khamenei, le chef suprême de l’Iran.

Le Corps iranien des Gardiens de la Révolution islamique a déclaré que Haniyeh et son garde du corps avaient été tués dans la résidence où ils séjournaient. Il a ajouté que l’attentat faisait l’objet d’une enquête et que de plus amples détails seraient révélés plus tard.

Khalil al-Hayya, un haut responsable du Hamas, a expliqué que Haniyeh avait été tué « directement » par une frappe de missile qui a détruit les fenêtres, portes et murs de la pièce où il se trouvait. Al-Hayya a ajouté qu’Israël cherchait à

« enflammer toute la région (…) parce qu’il n’est pas parvenu à réaliser ses objectifs »

à Gaza, en rejetant un accord et en voulant

« poursuivre son agression en dépit de tout cet échec ».

 

Le massacre de la famille de Haniyeh

Parmi les derniers mots prononcés par Haniyeh en public figurent ceux qu’il a adressés à Khamenei la veille de son assassinat. Haniyeh a expliqué au dirigeant iranien comment il avait perdu plus de 60 membres de sa famille à Gaza au cours du génocide d’Israël, y compris trois fils, une sœur et de nombreux petits-enfants.

À la suite de l’assassinat par Israël de plusieurs membres de sa famille en avril, Haniyeh avait déclaré :

« Le sang de mes enfants et de mes petits-enfants n’est pas plus précieux que le sang des enfants du peuple palestinien. »

« Je remercie Dieu de cet honneur qu’Il m’a accordé par le martyre de mes trois fils et de plusieurs de mes petits-enfants »,

avait-il ajouté.

Après la nouvelle de l’assassinat d’Ismail Haniyeh, son fils aîné Abd al-Salam a dit :

« Nous nous sommes habitués à recevoir des nouvelles à propos de martyre, comme tout notre peuple, nous nous sommes habitués à la victoire et au martyre. »

Il a ajouté qu’Israël « se faisait des illusions » s’il croyait que le fait d’assassiner des chefs de la résistance allait faire cesser la lutte des Palestiniens pour leur libération.

Ismail Haniyeh était né en 1962 au camp de réfugiés « Beach Camp »(al-Shati) à Gaza dans une famille originaire de la ville palestinienne de Majdal Asqalan, rebaptisée Ashkelon après la conquête sioniste de la ville en 1948.

Au début des années 1980, il avait étudié la littérature à l’Université islamique de Gaza et avait rallié le bloc des étudiants islamiques.

Il avait été actif au cours de la Première Intifada, le soulèvement de masse dans la bande de Gaza et en Cisjordanie occupées qui avait débuté en 1987, l’année même de la fondation du Hamas.

Haniyeh a été l’un des tout premiers membres de l’organisation, et il était devenu l’un des proches confidents de son fondateur, Sheikh Ahmed Yassin, qui allait être assassiné par Israël en 2004.

En tant qu’activiste contre l’occupation, Haniyeh a été emprisonné maintes fois par Israël et sa plus longue période de prison a duré trois ans. Après cela, en 1992, il avait fait partie des centaines de dirigeants et activistes palestiniens expulsés par Israël vers le Liban.

Il était retourné à Gaza après la signature des accords d’Oslo entre l’Organisation de libération de la Palestine et Israël en 1993. En 1997, il était devenu l’assistant de Sheikh Yassin.

Yassin venait d’être libéré de prison, par Israël a la suite d’une tentative d’assassinat manquée contre l’important dirigeant du Hamas Khaled Meshaal à Amman, en Jordanie, au cours de laquelle des agents israéliens avaient pulvérisé une toxine dans l’oreille de Meshaal. Le roi Hussein de Jordanie avait exigé qu’Israël fournisse l’antidote de la toxine, ce qu’il avait fait, et qu’il libère Yassin.

 

La montée de Haniyeh vers la direction

Lorsqu’il était retourné à Gaza, Haniyeh avait également regagné la modeste maison de famille dans laquelle il était né et avait été élevé, au camp de réfugiés Beach Camp. Il était devenu un dirigeant bien connu et populaire dans tout Gaza, en partie parce qu’il délivrait régulièrement des sermons lors des prières du vendredi dans les mosquées un peu partout dans le territoire.

En 2006, après la victoire du Hamas lors des élections législatives de l’Autorité palestinienne en Cisjordanie et dans la bande de Gaza occupées, Haniyeh était devenu Premier ministre d’un gouvernement d’unité nationale dont l’existence allait être très courte. Ce gouvernement avait pris fin sur un complot soutenu par les États-Unis, en vue de renverser le Hamas en utilisant les milices affiliées chez son principal rival, le Fatah, qui jusque-là avait entièrement contrôlé l’Autorité palestinienne.

Le coup d’État soutenu par les EU fut un succès en Cisjordanie mais échoua à Gaza. Haniyeh restait Premier ministre à Gaza tandis qu’Israël imposait un siège dévastateur au territoire, avec le soutien et la complicité des EU, de l’Union européenne, du Canada, de quelques États arabes et de l’Autorité palestinienne dirigée par Mahmoud Abbas à Ramallah.

Haniyeh passait pour un conciliateur parmi les factions palestiniennes et, en 2014, il quittait son poste de Premier ministre à Gaza dans une nouvelle tentative de réaliser l’unité nationale. Cela venait à la suite de la signature d’un accord avec une délégation de l’Organisation de libération de la Palestine, connu comme accord de Shati parce qu’il avait été signé au domicile de Haniyeh au camp d’al-Shati, le nom arabe de Beach Camp.

Mais les obstacles sur la voie de l’unité – principalement l’insistance de l’AP en vue de maintenir sa collaboration avec Israël et les objections émises par les sponsors étrangers du gouvernement de Ramallah – allaient saboter toute tentative en vue de surmonter la division.

En mai 2017, Haniyeh était élu chef du bureau politique du Hamas, succédant ainsi à Khaled Meshaal. Cela coïncidait avec le lancement par le Hamas d’une nouvelle charte politique qui affirmait l’indépendance de l’organisation vis-à-vis des Frères musulmans.

Le document indiquait la bonne volonté du Hamas d’accepter un État palestinien au sein de la Cisjordanie et de Gaza.

La nouvelle charte déclarait que le

« conflit est avec le projet sioniste et non avec les juifs à cause de leur religion. Le Hamas ne veut pas mener une lutte contre les juifs parce qu’ils sont juifs, mais mène une lutte contre les sionistes qui occupent la Palestine. Pourtant, ce sont les sionistes qui identifient constamment le judaïsme et les juifs avec leur propre projet colonial et entité illégale ».

 

La résistance est un « droit légitime »

La charte révisée déclarait également que la résistance, y compris la résistance armée, « est un droit légitime » garanti par les lois internationales. Mais elle signalait également que la résistance armée était un moyen vers une fin et que si ces fins – la libération et l’autodétermination palestiniennes – pouvaient être concrétisées via des moyens politiques, le Hamas était prêt pour cela aussi.

Le Hamas avait espéré que ces concessions et ouvertures politiques qui allaient très loin lui vaudraient d’être admis dans l’arène politique internationale, d’une façon similaire à ce qui s’est passé avec le mouvement républicain irlandais du Sinn Fein et de son aile armée associée, l‘IRA.

Le Hamas a également soutenu les protestations de masse à Gaza qui ont débuté en 2018 et qu’on a appelées la Grande Marche du Retour – un effort en vue de gagner le soutien international et de mettre la pression sur Israël pour qu’il mette fin au siège de Gaza. Israël a répondu en envoyant des snipers de son armée afin d’assassiner et de mutiler des milliers de civils non armés.

Accueilli par un rejet catégorique de toutes ses ouvertures politiques de la part d’Israël et des EU, le Hamas n’a pas vu d’autre choix qu’une résistance armée permanente et de plus en plus intense, laquelle a culminé par l’opération Déluge d’Al-Aqsa du 7 octobre 2023.

Tout en assumant le rôle de haut dirigeant du Hamas, Haniyeh a déménagé de Gaza pour s’installer à Doha. Depuis la capitale qatarie, il pouvait mener une diplomatie internationale et des négociations, y compris occuper un rôle central dans les efforts jusqu’à présents stériles en vue de concrétiser la fin de la guerre génocidaire d’Israël à Gaza et de faire aboutir un échange mutuel de prisonniers.

À la suite de l’assassinat de Haniyeh, Israël a réaffirmé qu’il cherchait toujours un arrangement pour libérer ses captifs à Gaza : une déclaration on ne peut plus perverse et cynique de sa part après avoir assassiné son principal interlocuteur palestinien.

Haniyeh était perçu par les Palestiniens comme un dirigeant national important et populaire et il avait gagné une reconnaissance internationale très répandue en servant d’interlocuteur dans d’importantes capitales mondiales, dont Moscou, Beijing et Ankara.

Un sondage d’opinion effectué en Cisjordanie et dans la bande de Gaza en mars, après six mois de génocide de la part d’Israël, indiquait qu’il aurait gagné 70 pour 100 des voix dans un affrontement potentiel avec le chef de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas.

Après l’assassinat en janvier de l’adjoint de Haniyeh et important négociateur Saleh al-Arouri à Beyrouth – un acte largement imputé à Israël aussi – le chef du Hamas aujourd’hui en allé déclarait :

« Un mouvement qui sacrifie ses dirigeants et fondateurs comme martyrs pour la dignité de notre peuple et de notre nation ne sera jamais vaincu et de tels assassinats ne font que le rendre plus fort, plus résilient et plus déterminé. »

 

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Maureen Clare Murphy a contribué aux recherches.

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Ali Abunimah, cofondateur et directeur exécutif de The Electronic Intifada, est l’auteur de The Battle for Justice in Palestine, paru chez Haymarket Books.

Il a aussi écrit : One Country : A Bold Proposal to end the Israeli-Palestinian Impasse

 

 

Maureen Clare Murphy est rédactrice en chef de The Electronic Intifada.

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Publié le 31 juillet 2024 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

 

 

 

 

 

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