Israël exécute deux journalistes d’Al Jazeera

Le journaliste d’Al Jazeera Ismaïl al-Ghoul et son cameraman Rami al-Rifi ont été tués par une frappe de drone israélien sur le véhicule à bord duquel ils se trouvaient, ce mercredi 31 juillet.

 

Des collègues et une foule en deuil prient devant les corps des journalistes d'Al Jazeera Ismaïl al-Ghoul et Rami al-Rifi, son cameraman, tués par une frappe de drone israélien à Gaza, le 31 juillet.

Des collègues et une foule en deuil prient devant les corps des journalistes d’Al Jazeera Ismaïl al-Ghoul et Rami al-Rifi, son cameraman, tués par une frappe de drone israélien à Gaza, le 31 juillet. (Photo : Hadi Daoud / APA image

Nora Barrows-Friedman, 1er août 2024

Le réseau a déclaré qu’il s’agissait d’un « assassinat ciblé ».

Les deux hommes ont été tués quelques minutes à peine après avoir effectué un reportage  Ils couvraient la réaction de la communauté locale à l’assassinat de Haniyeh à Téhéran un peu plus tôt le même jour.

Reportage des journalistes d'Al Jazeera à proximité des décombres de la maison d'Ismaïl Haniyeh, au camp de réfugiés de Beach (al-Shati) à Gaza même.

 

Selon Al Jazeera, une fois leur reportage terminé, al-Ghoul et al-Rifi ont reçu le conseil de quitter la zone. Leur voiture était clairement identifiée comme véhicule de presse et, à bord, les journalistes portaient leur gilet de protection.

 

La dernière publication d'Ismaïl al-Ghoul

La dernière publication d’Ismaïl al-Ghoul

 

Un drone israélien a pris la voiture pour cible, tuant les deux journalistes sur le coup. Des photos horribles ont circulé, montrant le corps d’al-Ghoul complètement décapité par l’explosion.

Depuis le début du génocide à Gaza, en octobre, Israël a tué 165 journalistes, selon le bureau gouvernemental des médias dans l’enclave.

En apprenant la nouvelle de son assassinat, Hind Khoudary, une collègue d’al-Ghoul à Al Jazeera, a éclaté en sanglots au cours d’une émission en direct.

 

 

Elle a expliqué qu’al-Ghoul avait été séparé de ses proches, dont sa jeune sœur. Il avait décidé de rester dans le nord de Gaza pour son travail mais « comptait les jours avant de pouvoir retrouver de nouveau sa famille ».

Hind Khoudary a décrit le ciblage répété par Israël des journalistes palestiniens, y compris le meurtre en mai 2022 de sa collègue Shireen Abu Akleh en Cisjordanie occupée.

« Nous faisons tout, nous portons nos vestes de presse, nous portons nos casques, nous essayons de ne pas nous rendre dans des endroits non fiables pour notre sécurité, mais on nous cible même dans des endroits normaux où vont les citoyens normaux »,

a-t-elle dit.

« En même temps, nous voulons faire notre travail, nous voulons faire savoir au monde ce qui se passe. Cela brise le cœur de parler de ce qui est arrivé aujourd’hui. »

La frappe du drone israélien a également tué un adolescent qui passait à vélo à proximité.

Khaled Saed al-Shawa, 17 ans, apportait à manger à un homme âgé et à son fils handicapé, a expliqué sa mère à Al Jazeera.

« Il passait juste là et n’avait rien fait [aux Israéliens]. Pourquoi l’ont-ils tué ? »

a demandé sa mère.

 

La couverture des massacres

Ismaïl al-Ghoul, qui n’avait que 27 ans, avait couvert certaines des atrocités les plus horribles commises par l’armée israélienne au cours des dix derniers mois.

Fin février, il avait effectué un reportage depuis le site d’un massacre de plus de 100 Palestiniens après que les forces israéliennes avaient ouvert le feu sur des gens qui tentaient de recevoir de la nourriture dans la ville de Gaza.

En mars, alors qu’il effectuait un reportage sur l’invasion et le siège de l’hôpital al-Shifa, al-Ghoul avait été enlevé par des soldats israéliens, battu, déshabillé, on lui avait bandé les yeux et on l’avait interrogé en même temps que d’autres journalistes. Il avait été retenu durant douze heures avant d’être relâché.

Après sa libération, il avait parlé de la responsabilité des journalistes de « faire connaître la douleur » des personnes dont ils parlaient dans leurs reportages.

 

Aucune indignation de la part des médias occidentaux

Jeudi, l’armée israélienne jubilait à propos de cet assassinat, traitant al-Ghoul de « terroriste » et prétendant qu’il faisait partie de l’aile militaire du Hamas.

En disant simplement que son organisation avait été « consternée » par l’assassinat d’al-Ghoul et d’al-Rifi, la CEO du Comité de protection des journalistes a demandé à Israël d’

« expliquer pourquoi deux nouveaux journalistes d’Al Jazeera ont été tués dans ce qui s’avère avoir été une frappe directe ».

Certains médias traditionnels occidentaux ont parlé de ces assassinats, mais d’autres ont poursuivi leur couverture linguistique en faveur d’Israël.

 

 

D’autres journalistes de haut niveau ont complètement ignoré les assassinats de leurs collègues.

Les journalistes palestiniens ont fustigé la presse internationale qui reste silencieuse à propos des assassinats répétés de leurs collègues par Israël.

Les médias internationaux

« qui sont restés silencieux ou qui ont amplifié les propos de l’oppresseur au cours des neuf mois et plus de génocide en Palestine, devraient être honteux »,

a déclaré Francesca Albanese, la rapporteuse spéciale de l’ONU pour les droits humains dans les territoires palestiniens occupés.

 

Le deuil

Les Palestiniens expriment leur tristesse pour la perte de leur ami et collègue.

Mohamed Moawad, le rédacteur en chef d’Al Jazeera, a déclaré qu’Ismaïl al-Ghoul

« était réputé pour son professionnalisme et son dévouement en ayant attiré l’attention du monde sur les souffrances et atrocités commises à Gaza et tout particulièrement à l’hôpital al-Shifa et dans les quartiers du nord ».

Sans ses reportages, a ajouté Mohamed Moawad,

« le monde n’aurait pas vu les images de dévastation de ces massacres ».

 

« Laisse-moi te dire, mon ami, que je ne connais plus le goût du sommeil. Les corps des enfants, les cris des blessés et leurs images ensanglantées ne me quittent jamais des yeux. Les cris des mères et les lamentations des hommes qui manquent à leurs proches ne disparaissent jamais de mon ouïe.Je ne peux plus supporter le son des voix d'enfants sous les décombres, ni oublier l'énergie et la puissance qui résonnent à chaque instant, se transformant en cauchemar. Il ne m’est plus facile de me tenir devant les rangées de cercueils verrouillés et étendus, ni de voir les morts plus que les vivants qui luttent contre la mort sous leurs maisons, sans trouver d’issue pour se mettre en sécurité et survivre.

Je suis fatigué, mon ami… »

Ismail Al-Ghoul
Correspondant d'Al Jazeera à Gaza

« Laisse-moi te dire, mon ami, que je ne connais plus le goût du sommeil. Les corps des enfants, les cris des blessés et leurs images ensanglantées ne me quittent jamais des yeux. Les cris des mères et les lamentations des hommes qui manquent à leurs proches ne disparaissent jamais de mon ouïe. Je ne peux plus supporter le son des voix d’enfants sous les décombres, ni oublier l’énergie et la puissance qui résonnent à chaque instant, se transformant en cauchemar. Il ne m’est plus facile de me tenir devant les rangées de cercueils verrouillés et étendus, ni de voir les morts plus que les vivants qui luttent contre la mort sous leurs maisons, sans trouver d’issue pour se mettre en sécurité et survivre. Je suis fatigué, mon ami… » Ismail Al-Ghoul Correspondant d’Al Jazeera à Gaza

 

Les membres du personnel d’Al Jazeera ont organisé des protestations simultanées à Gaza et à l’intérieur du siège du réseau, au Qatar, à propos des assassinats de leurs collègues.

« Au 300e jour de cette guerre, tu m’as quitté »,

a déclaré jeudi Anas Al-Sharif, un journaliste d’Al Jazeera opérant dans le nord de Gaza.

« C’est le premier matin sans toi. C’est toi le chanceux, mon frère bien aimé, mais la couverture va se poursuivre. »

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Publié le 1er août sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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