La Histadrout : un étrange « syndicat »
Récemment, une personne employée à la Fédération syndicale internationale, à Bruxelles, me racontait que le « syndicat » israélien Histadrout avait toujours une délégation officielle au siège de la Fédération, situé au boulevard du Jardin botanique.
Lucas Catherine, 3 septembre 2024
Ça m’a rappelé quelque chose, en tant que syndiqué et historien des causes occultées, et je me suis demandé quelle était l’attitude des syndicats belges.
Du côté de l’ABVV-FGTB, j’ai pu savoir que
» malheureusement, la Histadrut est toujours membre de la totalité du mouvement syndical international (FSI, IndustriALL Global, Uni Global, IBB, etc.) »
La Centrale générale de l’ABVV-FGTB refuse toutefois d’entretenir des contacts avec la Histadrout et a toujours affiché une position forte contre le colonialisme et l’apartheid (*), conjointement aux divers syndicats qui font partie de l’European Trade Union Network (ETUN – Réseau syndical européen), un réseau de 35 syndicats européens qui, ensemble, comptent 6 millions d’affiliés et s’emploient à ce que les gouvernements européens et l’UE ne collaborent plus avec l’État d’Israël.
La Centrale générale y est donc affiliée, mais l’ABVV-FGTB n’affiche pas la même attitude, et c’est très problématique. Le directeur du département international, Rafael Lamas, de l’ABVV-FGTB, a reçu carte blanche pour rester en contact avec la Histadrout et, » jusqu’à présent, personne ne l’en a empêché « . Voilà pour ce qui est de mes sources.
Et, ensuite, il y a l’ACV-CSC, où Luc Triangle est secrétaire général de la Fédération syndicale internationale (FSI). Avant cela, il avait fait carrière à l’ACV-Metaal, aujourd’hui ACV-CSC METEA, et, il y a peu, il était encore secrétaire général du syndicat européen de l’industrie, IndustriALL Europe.
Après neuf mois de guerre israélienne contre Gaza, Luc Triangle a été invité par la Histadrout pour un voyage de propagande en Israël et voici ce qu’en dit la Histadrout sur son site internet :
Luc a visité le checkpoint de Kerem Shalom. Il a entendu les travailleurs parler de leur énorme travail dans le traitement des camions de vivres et d’aide humanitaire, qui sont constamment attaqués par les roquettes du Hamas et dont bon nombre sont pillés par l’organisation terroriste du Hamas, dans la bande de Gaza. Ils ont poursuivi leur visite vers le site de la Nova et vers le kibboutz de Kfar Aza, où Luc a pu voir les vestiges de l’attaque terroriste ainsi qu’un monument à la mémoire des victimes du festival. Luc a également pu rencontrer des travailleurs de l’usine Strauss, à Sderot, une entreprise importante de l’industrie alimentaire d’Israël, qui a continué de travailler sous les attaques de roquettes incessantes et dont bien des travailleurs ont été chassés de leurs maisons.
À Jérusalem, le président Isaac Herzog a partagé avec Luc sa vision de l’avenir de paix en Israël, un message qui a également été exprimé dans les rencontres avec Yair Golan, président du parti Ha’Avoda et des membres de la direction de la Histadrout.
Avital Shapira-Shabirow, directeur des Relations internationales de la Histadrout
Kerem Shalom est le nouveau nom hébreu du village de Karem Abu Salem (Vignoble d’Abu Salem.), aujourd’hui, principal point de passage vers la bande de Gaza.
Le parti Ha’Avoda est connu chez nous sous l’appellation de Labour, ou parti travailliste.
Et Avoda est un mot doté de connotations historiques bien définies. Dès les années 1920, la Histadrut a organisé des piquets de grève armés qui devaient empêcher l’embauche de travailleurs palestiniens, et ce, sous le slogan : Avoda Ivrit, Travail hébreu.
Qu’est-ce alors, ce prétendu syndicat, la Histadrout ?
La Histadrout (en long Ha-Histadrout ha-Kelalit shel Ovedim ha Ivriyyim be Erez Israel, soit Fédération générale des travailleurs hébreux sur la terre d’Israël) est bien plus qu’un « syndicat » : Il a été fondé en 1920 par 87 délégués d’organisations coloniales sionistes.
Golda Meir (nom d’origine en Afrique du Sud : Meyirson), plus tard ministre des Affaires étrangères d’Israël, en a été la « secrétaire syndicale » en 1928. Elle en disait :
« Ce grand syndicat n’est pas seulement un syndicat, mais aussi un important instrument de colonisation. »
Ben-Gourion (nom d’origine en Europe de l’Est : Grün) a été le premier « secrétaire du syndicat » ; plus tard, il a été le premier Premier ministre d’Israël et a fait adopter dans le programme de base « la fusion du travail et du capital » et « le développement séparé et l’autonomie de l’économie juive ». Déjà, en 1907, il avait lancé comme slogan qu’il fallait en arriver à l’« avoda Ivrit » (l’emploi – exclusivement – juif).
Ce sera pleinement mis en pratique en 1927. La Histadrout organisera des piquets de grève devant les entreprises juives qui emploient également des travailleurs palestiniens. Dont, entre autres, les vignobles des Rothschild.
Ce sera le point de départ de l’apartheid colonial israélien, déjà bien avant la fondation de l’État.
En 1922, l’Internationale communiste appellera les travailleurs juifs à s’y opposer.
Afin de concrétiser la fusion entre le capital et le travail, ce « syndicat » à tout le moins bizarre fonde la Bank HaPoalim. Le capital initial est venu en 1921 de la Fédération sioniste internationale.
La Histadrout a également fondé un réseau d’enseignement séparé pour les juifs, lequel a été repris en 1950 par l’État israélien. Autres créations, Kupat Holim, une mutualité séparée ; Tnuva, une sorte de syndicat d’agriculteurs, avec des centres commerciaux ; Solel Boné, une société immobilière.
Et, enfin et surtout, une armée à part entière, la Haganah (1920), qui, après la fondation de l’État sioniste, en 1948, deviendra officiellement l’armée israélienne.
C’est cette Haganah qui, entre autres, aidera les Britanniques à mater la révolte anti-coloniale palestinienne. Après qu’il fut évident que la Grande-Bretagne voulait procéder à la partition de la Palestine et en accorder la plus grande partie aux Palestiniens, l’armée allait se retourner contre les Britanniques. Son service de renseignement était le Mossad.
Les socialistes belges ont soutenu à fond la « colonisation socialiste juive ».
Émile Vandervelde, qui était en même temps l’un des dirigeants de l’Internationale socialiste, était un fervent défenseur de la colonisation sioniste. Il le fit dans de nombreux articles, ainsi que dans un livre : Schaffendes Palestina (Le pays d’Israël, un marxiste en Palestine), publié en 1930 après un périple dans les colonies sionistes en Palestine.
Louis De Brouckère lui aussi a milité pour le sionisme, et il ne faudrait pas oublier Camille Huysmans qui, en 1935, alors qu’il était bourgmestre d’Anvers, permit que les sionistes utilisent (en toute clandestinité) le port comme lieu de transit pour les livraisons d’armes à la Haganah. Ces transports d’armes avaient déjà débuté en 1924. Huysmans avait agi de la sorte à la demande de David HaCohen, de Solel Boneh (une entreprise de construction fondée par la Histadrout), qui camouflait ses transports d’armes sous forme de matériaux de construction.
Ce « syndicat » est le principal pilier de l’Avoda/Parti travailliste qui avait fondé l’État d’Israël en 1948, après le nettoyage ethnique sanglant d’une grande partie des habitants palestiniens.
Et cette Histadrout, pilier fondateur de l’État colonial Israël sur le plan économique et militaire, siège donc toujours en tant que « syndicat », ici à Bruxelles, au sein de la Confédération internationale des syndicats libres (CISL).
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(*) N’empêche que la Centrale Générale de la FGTB a été une des premières à lancer une campagne de dénigrement à l’encontre de Samidoun, réseau international de soutien aux prisonniers palestiniens : En octobre 2023, elle s’est retirée du premier rassemblement devant le ministère des Affaires étrangères à Bruxelles (et l’a fait savoir publiquement) après un appel de Samidoun à rejoindre l’action. (NDLR)
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Publié le 3 septembre 2024 sur Salon van Sisyphus
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine