La police fédérale suisse était opposée à l’interdiction d’entrée d’Ali Abunimah
Les autorités fédérales suisses ont rejeté une requête en vue d’interdire à Ali Abunimah l’entrée dans le pays, révèlent des documents officiels auxquels a eu accès The Electronic Intifada.

Ali Abunimah. (Photo : avec l’aimable autorisation d’Ali Abunimah)
Asa Winstanley, 20 février 2025
Mais cette décision a été annulée à la hâte, probablement en raison d’ingérences politiques.
Par conséquent, le mois dernier, le directeur exécutif de The Electronic Intifada a été enlevé sans avertissement par des policiers en civil dans une rue de Zurich alors qu’il se rendait à une conférence qu’il devait donner sur la Palestine.
Ali Abunimah a été emprisonné pendant trois jours sans avoir la possibilité de contacter sa famille, après quoi il a été expulsé du pays.
La requête d’interdiction d’Ali Abunimah a été soumise aux autorités nationales de la Suisse par la police cantonale de Zurich.
Mais, même avant l’arrivée d’Ali Abunimah en Suisse, la police fédérale, les autorités de l’immigration et les services de renseignement nationaux avaient tous conclu qu’il ne constituait pas une menace pour la sécurité du pays et qu’il n’y avait aucune raison de lui en interdire l’entrée.
Les posts publiés sur le compte X d’Ali Abunimah étaient « protégés par la liberté d’expression », avait écrit la police fédérale (ou Fedpol) dans une évaluation confidentielle.
Malgré le rejet unanime d’une interdiction par les trois agences fédérales, les autorités Zurich réitéraient leur requête le lendemain.
Dans un courriel adressé à Fedpol, la police cantonale de Zurich affirmait que les événements au cours desquels Ali Abunimah devait prendre la parole étaient « susceptibles de troubler les auditeurs ou l’environnement local à un point tel qu’un risque grave pour la sécurité pourrait être causé par des individus malavisés ».
L’interdiction imposée après l’entrée
« Nous demandons une fois encore qu’une interdiction d’entrée soit décrétée contre Ali Abunimah »,
avait écrit la police.
Mais, à ce moment, Ali Abunimah était déjà entré dans le pays.
Le courriel porte la date du vendredi 24 janvier, à 17 h 01. Le vol d’Ali Abunimah avait déjà atterri à Zurich quelques heures plus tôt, vers 13 h 40 heure locale, et, peu après, à l’aéroport, il avait reçu un cachet d’entrée sur son passeport.
La décision initiale de Fedpol rejetant l’interdiction avait alors été modifiée. À un moment donné, le même jour, Fedpol avait émis l’interdiction d’entrée. Le lendemain, samedi 25 janvier, le jour où Ali Abunimah avait été arrêté, Fedpol avait également émis un ordre d’expulsion.
Lors d’une audition par la police peu après son arrestation, Ali Abunimah avait pu prendre connaissance de l’interdiction d’entrée et de l’ordre d’expulsion et on lui avait notifié que ces mesures avaient été décidées parce qu’il constituait
« une menace pour la sécurité intérieure et extérieure de la Suisse ».
Ali Abunimah a effectivement été kidnappé par des policiers en civil et, ensuite, incarcéré sans la moindre accusation.
Il a été enfermé 24 heures par jour dans une cellule et tout contact avec sa famille lui a été interdit. Excepté après son arrestation et une fois encore le jour de sa déportation, Ali Abunimah n’a pas été autorisé à voir ou à parler à son avocate au cours de sa détention, bien qu’il l’eût demandé à maintes reprises.
Le dimanche 26 janvier, a raconté Ali Abunimah lors du livestream de The Electronic Intifada, on l’a sorti de la cellule afin de rencontrer des agents des renseignements suisses qui ont tenté de l’interroger sans informer ni convoquer son avocate et sans lui permettre de la contacter.
Ali Abunimah a ensuite été emmené à l’aéroport par la police et placé sous sa garde en attendant d’être déporté dans la soirée du lundi 27 janvier.
On ne voit pas très bien pourquoi cette volte-face a eu lieu, mais des pressions politiques semblent avoir été l’un des facteurs.
La Suisse est gouvernée selon un système fédéral, où les 26 cantons – ou États membres – exercent l’autorité dans la plupart des domaines de la politique intérieure. Les pouvoirs du gouvernement fédéral incluent la défense nationale, les affaires étrangères et le contrôle des frontières extérieures du pays.
Le 22 janvier, la police cantonale de Zurich avait d’abord demandé que Fedpol interdise l’entrée dans le pays à Ali Abunimah.
Un document d’« évaluation » préparé par la police cantonale de Zurich et daté du même jour déclarait que le compte X d’Ali Abunimah était « parsemé de récits de victimes palestiniennes ». Il l’accusait également d’« antisémitisme » en s’appuyant sur des tweets concernant le génocide israélien à Gaza.
À son tour, Fedpol avait demandé l’avis de la SEM, l’autorité fédérale suisse en matière de migration, et du Service fédéral du renseignement (ou NDB, son acronyme en langue allemande).
Le dernier cité avait répondu que
« le NDB ne dispose d’aucune information pouvant être utilisée pour appuyer une interdiction d’entrée ».
De même, la SEM déclaré :
« Nous ne voyons aucune raison qui justifierait une interdiction d’entrée (…) Il ne semble pas avoir commis d’actes délictueux. »
Fedpol avait relayé ces deux réponses vers la police cantonale de Zurich le 23 janvier et donné son propre avis :
« Fedpol ne considère par la présence d’Ali Abunimah comme un risque pour la sécurité intérieure ou extérieure [de la Suisse] et, partant, n’ordonne pas d’interdiction d’entrée. »
« Sans fondement »
Fedpol avait déclaré que, bien que l’évaluation de la police cantonale de Zurich fût « compréhensible et complète », elle contenait également « une pluralité d’hypothèses » et devait « être considérée d’un œil critique ».
Fedpol avait effectué son propre « examen sommaire des sources publiquement accessibles » concernant Ali Abunimah et avait rejeté l’image négative du journaliste proposée par le police cantonale de Zurich.
Fedpol avait qualifié de « non fondée » une affirmation de la police cantonale de Zurich disant qu’Ali Abunimah utilisait les termes « sionistes », « juifs » et « Israël » de façon interchangeable.
L’agence avait également déclaré que l’avis prétendant que
« le conflit qui s’est développé historiquement entre le Hamas et Israël a été l’une des causes des événements du 7 octobre 2023, est une opinion protégée par la liberté d’expression, semblable à l’attribution de la guerre d’agression russe à l’expansion vers l’est de l’OTAN ».
En ce qui concerne Israël,
« l’accusation de génocide peut être exprimée et discutée de même, comme l’a montré la Cour pénale de Justice »,
avait déclaré Fedpol.
Fedpol avait ajouté que
« la critique à l’encontre des États occidentaux ou le rejet de leurs positions et actions n’a rien d’une tentative contre les valeurs que sont la démocratie et l’État de droit ».
Bref, Fedpol avait rejeté tous les motifs avancés par la police cantonale de Zurich en vue d’une interdiction d’Ali Abunimah.
« Il incombe à l’État non seulement de tolérer le pluralisme garanti des opinions, mais aussi de le protéger »,
avait conclu Fedpol.
« Tant qu’aucune activité extrémiste violente concrète ne menacera pas la sécurité de la Suisse, aucune interdiction d’entrée ne pourra être délivrée sous l’autorité de Fedpol. »
Des pressions pro-israéliennes ?
Pourtant, dès le lendemain, l’interdiction d’entrée était décrétée en s’appuyant sur l’évaluation fausse de la police cantonale de Zurich et que Fedpol venait précisément de rejeter.
Le journal suisse Tages-Anzeiger avait rapporté le mardi suivant que la correspondance par e-mail entre un policier de l’aéroport et les autorités zurichoises de l’immigration suggérait que des pressions avaient pu être exercées par un important homme politique zurichois, pro-israélien notoire.
« Mario Fehr et Fedpol étaient impliqués »,
avait écrit le policier.
Mario Fehr est le responsable élu chargé de la sécurité pour le canton de Zurich. Il assiste régulièrement à des manifestations pro-israéliennes et The Grayzone l’a décrit comme un « activiste pro-israélien fanatique ».
La veille de l’arrestation d’Ali Abunimah, Fehr avait été cité dans des médias suisses pour avoir qualifié le journaliste d’« islamiste haineux des juifs qui appelle à la violence » – une caractérisation fausse et calomnieuse rejetée par l’analyse de Fedpol.
Dans une réponse au journal Tages-Anzeiger, Mario Fehr avait refusé d’expliquer en détail son implication dans l’affaire Abunimah, mais il avait dit :
« Naturellement, avec toutes les questions relatives à la sécurité dans le canton de Zurich, je suis tenu au courant, dans des cas comme celui-ci. »
Commentant cet article, Ali Abunimah avait dit :
« Les évaluations unanimes par Fedpol, le département suisse de l’immigration et les services de renseignement suisses étaient pleinement conscientes que je n’ai jamais été une menace pour la Suisse et que les calomnies et distorsions utilisées comme prétextes dans les abus à mon égard étaient fausses. »
« Rien ne pouvait justifier qu’on m’enlève en pleine rue et qu’on me jette en prison. À ce jour, je n’ai toujours pas été informé des raisons de mon arrestation »,
a déclaré Ali Abunimah.
« Je ne puis que conclure que mon emprisonnement illégal avait pour but de réprimer la liberté d’expression en m’empêchant de prendre publiquement la parole à propos du génocide en Palestine, ainsi que de me punir pour les opinions que j’ai exprimées dans le passé et que l’une ou l’autre personne au pouvoir n’a pas aimées. »
Un tollé mondial
Et d’ajouter :
« Je poursuis une action en justice en Suisse sur un certain nombre de fronts, afin de demander des comptes à propos des violations grossières des droits démocratiques et humains fondamentaux auxquelles j’ai été soumis. J’entends contribuer à faire en sorte qu’elles ne se produisent plus à l’avenir pour personne. »
Une campagne de récolte de fonds a été lancée pour continuer à soutenir l’action juridique d’Ali Abunimah.
L’arrestation et la détention d’Ali ont déclenché un tollé au niveau mondial et ont été condamnées par Irene Khan, la rapporteuse spéciale de l’ONU sur la liberté d’opinion et d’expression, ainsi que par Francesca Albanese, la rapporteuse spéciale de l’ONU sur les droits humains dans les territoires palestiniens occupés.
La branche européenne d’Amnesty International a déclaré qu’elle était « profondément préoccupée » par l’arrestation d’Ali Abunimah.
L’organisation des droits humains a ajouté que
« la répression mondiale contre les personnes qui critiquent les violations par Israël des droits palestiniens est alarmante et doit cesser immédiatement ».
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Ali Abunimah, cofondateur et directeur exécutif de The Electronic Intifada, est l’auteur de The Battle for Justice in Palestine, paru chez Haymarket Books.
Il a aussi écrit : One Country : A Bold PTroposal to end the Israeli-Palestinian Impa
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Publié le 20 février 2025 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flhémal, Charleroi pour la Palestine