De Saint-Gilles à Gaza : défendre la Palestine face à la machine de diffamation
Dès lors que des voix critiques — celles qui sortent du cadre dominant, qui proposent d’autres récits — prennent la parole, elles sont aussitôt muselées, criminalisées.
La 3e édition du Festival Résistance s’est tenue à Saint-Gilles, sur la place Bethléem. Cet événement culturel, organisé par une coalition de collectifs variés, visait à célébrer pendant trois jours les luttes de libération populaire à travers le monde. L’objectif : honorer ces luttes, en apprendre collectivement et créer du lien. Le programme était riche : discussions politiques, ateliers, tournoi sportif, projections, village militant, performances musicales, théâtrales et poétiques, interventions militantes, etc.

Photo : Plateforme Charleroi-Palestine
Ce festival s’est tenu sans aucun soutien officiel de la commune de Saint-Gilles, qui s’est contentée de le « tolérer », posant néanmoins une condition : « Aucun appel à la haine (chants, vidéos, pancartes), ni drapeaux, notamment du Hamas ou du Hezbollah, ne sera toléré. » Nous n’appelons jamais appeler à la haine bien au contraire, pas de soucis à ce niveau. Concernant le Hamas ou le Hezbollah, nous avons choisi de ne pas ouvrir ce débat, conscients du traitement caricatural et diabolisant auquel ces partis sont soumis. Comme leurs drapeaux sont très rarement brandis, nous acceptons la condition. Et nous avons tenu tous nos engagements.
Comme chaque année, le public a répondu présent. Le samedi, malgré la météo, la place était noire de monde : familles, enfants, habitants du quartier, curieux venus pour la première fois… Une ambiance chaleureuse, réconfortante, un moment de respiration pour celles et ceux qui suivent impuissants le déroulement du génocide en Palestine. Pour les habitants de Saint-Gilles, habitués à voir leur quartier stigmatisé dans les médias, quel bonheur de voir cette place au nom si symbolique battre au rythme de la solidarité avec la Palestine.
Le 6 juin, soirée d’ouverture du festival, deux projections ont eu lieu dans une salle comble. D’abord, le court-métrage Behind the Lines, de Fanny Arnulf et Youssef Haider, qui explore les pratiques artistiques et de résistance à travers le regard de 14 artistes vivant dans des camps de réfugiés palestiniens au Liban et dans des favelas au Brésil. Ensuite, le film The Dupes, adaptation de la nouvelle Men in the Sun de Ghassan Kanafani. Les projections, qui ont fait salle comble au Pianofabriek, ont été suivies d’une discussion avec Fanny Arnulf, Youssef Haider, Reem Shilleh et Hazem Jamjoum. Reem Shilleh est chercheuse, réalisatrice et commissaire d’exposition, vivant entre Bruxelles et Ramallah. Hazem Jamjoum est chercheur, auteur, et traducteur de l’œuvre de Kanafani.
Le samedi 7 juin, les festivités continuent sur la place Bethléem. Après un tournoi de foot le matin organisé par les Gaza Stars, les activités ont enchaîné de 15h à 22h, malgré une météo capricieuse. Le village militant a attiré de nombreux visiteurs, et les performances artistiques ont rythmé l’après-midi. Chaque œuvre reflétait l’engagement de ses artistes dans le cadre d’un festival dédié aux luttes de libération. Les collectifs organisateurs respectent la liberté d’expression des artistes.

Photo : Plateforme Charleroi-Palestine
Le dimanche, les activités ont pris place au DK, toujours à Saint-Gilles. La journée a débuté avec une session de la « School of the Revolution », un espace d’éducation politique, collective et populaire. Les participant·es ont décidé de rejoindre une marche en hommage à Fabian, 11 ans, tué par la police quelques jours plus tôt. Une évidence : relier la lutte contre les violences policières ici à celle du peuple palestinien là-bas. Les violences policières, partout dans le monde, ne sont pas un accident, ni le fait de quelques « brebis galeuses » . Non, elles font partie d’un système structuré de domination. Ce système repose sur la logique du contrôle, de la répression et de l’écrasement de toute forme de résistance qui menace l’ordre établi. Que ce soit dans les banlieues de Paris, les quartiers populaires de Bruxelles, ou les rues de Gaza, ce contrôle s’exerce sur des populations historiquement marginalisées et opprimées.
L’après-midi a été consacré à trois discussions : « Palestinien·nes et non-palestinien·nes, juif·ves et non-juif·ves : tous·tes contre le sionisme », avec des militant·es de terrain bruxellois·es ; « Que signifie le boycott comme mouvement révolutionnaire ? », avec des membres de Palestine Action, BDS ULB et University Workers for Palestine ; « Luttes anticoloniales et anti-impérialistes aujourd’hui, et la coalition au cœur de l’empire », avec Amzat Boukari Yabara, Luis Martinez Andrade, Kenji et Khaldia Abubakra.
Ces discussions ont offert un espace pour partager analyses, expériences et visions de la résistance.
Mais de ces dizaines d’heures d’activités, certains ont choisi d’extraire trois minutes d’une performance théâtrale, sortie de son contexte, qui posait la question de l’impunité israélienne face au génocide en cours et célébrait la résistance palestinienne. S’en est suivie une : fausses informations, mensonges, amplification médiatique, le tout orchestré par une figure politique influente qui capte les voix de l’extrême droite.
Plutôt que de nous contacter pour entendre notre version, le bourgmestre Spinette de Saint-Gilles s’est défilé. Il est même allé jusqu’à accorder une interview à Radio Judaica, un média revendiquant ses liens avec l’État d’Israël. Il a aussi exposé publiquement l’une des co-organisatrices du festival, dont une photo circule désormais sur des comptes pro-israéliens.
Nous sommes ciblé·es par une campagne de criminalisation nourrie d’arguments absurdes et racistes (voir plus loin : le bingo des sionistes). Nous tentons de rétablir les faits, avec nuance et complexité. Mais c’est une bataille inégale. Nous manquons de ressources. Nous sommes épuisé·es par l’organisation du festival, les nouvelles terribles venues de Palestine, la répression contre nos camarades mobilisé·es chaque jour à la Bourse.
Comment répondre à des adversaires prêts à mentir sans vergogne, qui recyclent sans fin la propagande sioniste la plus éculée ?
Nous avons accepté une interview de RTL Info, pensant y voir une opportunité de rétablir un peu de vérité. Peine perdue. Soyons clairs : il ne s’agit pas ici de jeter l’opprobre sur la journaliste. Elle a été honnête quant à ses intentions : elle ne garderait que quelques minutes d’interview, et donnerait aussi la parole à un opposant qui se présente comme représentant de « la communauté juive » (sic). L’argument principal de cette personne ? Les victimes représentées dans la pièce ne peuvent être gazaouies… car elles portent des shorts. Que répondre à un tel niveau de vacuité raciste ? Je n’insulterai pas votre intelligence en y revenant.
La journaliste elle-même, bien qu’honnête dans ses intentions, se retrouve piégée dans un format qui privilégie la confrontation facile et la caricature, plutôt que la confrontation d’idées et la prise en compte des contextes historiques, politiques et sociaux.
Le fond du problème, c’est que le système médiatique ne cherche plus à informer. Il fabrique le consentement : au génocide, aux violences policières, au capitalisme et au racisme toujours plus violents.
Plutôt que de questionner les logiques de pouvoir et d’oppression, les médias servent souvent à les légitimer, voire à les amplifier. La couverture médiatique dégueulasse du meurtre du petit Fabian en est une énième preuve.
Ce dont nous avons droit dorénavant, ce sont des récits simplifiés et une vision du monde caricaturale, qui marginalisent et silencent ceux qui osent prendre position contre les structures de pouvoir dominantes.
Nous aurons essayé. Et une chose est sûre : nous ne lâcherons rien. Nous continuerons à crier, protester, résister — par tous les moyens nécessaires — tant que ce génocide durera, tant que tous les peuples ne seront pas libres : du colonialisme, du capitalisme, du patriarcat.
Oui, c’est un vaste programme, oui c’est ambitieux. Mais quand je dis « nous », je parle de notre génération et des suivantes. Les flics peuvent continuer à nous traquer, nous frapper (au LBD désormais), nous surveiller. Les marchands de haine élus peuvent prospérer. Cela ne fera que renforcer notre détermination.
Le bingo des sionistes
Khaaamas
Parce que tout ce qui touche à la Palestine, c’est automatiquement du Hamas. La résistance armée (la résistance armée palestinienne s’organise depuis les années 60, le Hamas nait en 1987), c’est le Khaaamas, le keffieh (porté depuis des siècles par les paysans et les bédouins, devenu un symbole de résistance dans les années 1930), c’est le Khamaas, l’huile d’olive, c’est le Khaamas, le houmous aussi !
Samidoun, Samidoun, Samidoun !
Tout comme le Khaamas, Samidoun est partout, tout le temps, pire que la CIA.
Apologie du terrorisme
Célébrer la résistance palestinienne quel qu’elle soit c’est évidemment faire apologie de la violence. De toute façon, les Palestiniens ne savent faire que ça, n’est-ce pas ? Qui n’a jamais rêvé de voir un événement culturel s’ouvrir sur un petit discours pro-terrorisme, juste pour détendre l’atmosphère ?
Antisémitisme
Aaah, le vieux classique : critiquer Israël ? antisémite ? protester contre un génocide ? antisémite ? demander la libération de la Palestine ? antisémite ? s’émouvoir devant la mort de dizaines de milliers d’enfants ? antisémite ? souligner que pour le moment Israël arme des milices proches de Daesh ? antisémite ! Dire que l’histoire ne commence pas le 7/10/23 ? antisémite ! Demander le respect du droit international ? antisémite ? Amnesty International, l’ONU, Médecins sans frontières ? antisémite
Performance de mauvais goût
La performance était de mauvais goût ? Bien sûr, glorifier des résistants opprimés, c’est toujours plus joli avec une touche de pastel et des papillons.
Dérive islamiste
Festival Resistance, entrisme ou séparatisme, les 2 évidemment !
Risque de violence
Attention, un petit tournoi de foot dans la rue, et hop, c’est la guerre civile.
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Merci à Sarah pour le partage de ce texte