Les largages aériens tuent les affamés avec de la nourriture avariée
Plus de 130 Palestiniens ont été tués rien qu’entre mardi et mercredi, et 87 d’entre eux l’ont été en tentant de se procurer de la nourriture.

Ville de Gaza. 6 août 2025. Les forces israéliennes ont bombardé une antenne de soins de santé appartenant à l’UNRWA, l’agence de l’ONU pour les réfugiés de Palestine, où s’étaient réfugiées des personnes déplacées. (Photo : Omar Ashtawy / APA images)
Nora Barrows-Friedman, 8 août 2025
Le texte qui suit est un condensé des informations communiquées lors du livestream du 7 août. Vous pouvez voir l’émission au complet ici.
Entre le 30 juillet et le 6 août, Israël a tué au moins 730 Palestiniens et en a blessé près de 4 500, disent des rapports officiels du ministère palestinien de la Santé à Gaza.
Plus de 130 Palestiniens ont été tués rien qu’entre mardi et mercredi, et 87 d’entre eux l’ont été en tentant de se procurer de la nourriture.
Des prises de vue aériennes des 22 mois de furie destructrice israélienne sur quasiment chaque centimètre carré de Gaza ont été diffusées à l’intention des publics occidentaux, cette semaine, du fait que plusieurs journalistes étrangers se trouvaient dans les avions chargés du largage de quelques colis humanitaires.
Certaines images ont été diffusées avant que les responsables israéliens n’aient eu le temps de menacer les journalistes en leur disant que ces largages humanitaires pourraient être annulés si les travailleurs des médias partageaient encore leurs images.
Les attaques israéliennes de cette semaine ciblaient des immeubles résidentiels, des refuges de tentes et des cliniques de santé, alors que l’armée a sorti de nouvelles ordonnances de déplacement forcé dans le nord et le centre de Gaza.
L’agence humanitaire de l’ONU a déclaré le 6 août que les nouvelles ordonnances couvraient 1,5 mille carré (un peu moins de 4 km²) sur cinq quartiers des gouvernorats de Gaza et de Khan Younis.
« Les matériaux pour abri ne peuvent plus entrer à Gaza depuis le 2 mars. Le peu de matériel de ce genre encore disponible sur le marché local est extrêmement cher et très limité en quantité, ce qui le met hors de portée de la plupart des familles »,
a déclaré l’ONU.
Mercredi, Israël a également attaqué des tentes de personnes déplacées à l’ouest de Khan Younis, tuant au moins deux femmes, alors que d’autres frappes aériennes touchaient des quartiers de l’est de Gaza City, tuant encore trois personnes au moins.
Le journaliste Saed Hasballah a filmé un petit garçon fouillant des décombres à la recherche de ses grands-parents, tués dans une frappe aérienne sur la ville de Gaza la semaine dernière.
Dans la nuit du mardi 5 août, Israël a bombardé une clinique de soins appartenant à l’UNRWA. Le bâtiment avait été utilisé comme abri pour personnes déplacées.
Une mère réfugiée en cet endroit avec ses enfants a expliqué aux journalistes d’Al Jazeera qu’ils étaient assis
« quand, soudainement, tout le monde s’est mis à courir ».
« Des gens nous ont dit que nous avions 10 minutes avant que la clinique ne soit bombardée. J’ai attrapé les gosses et nous nous sommes encourus sans rien emporter. Nous sommes allés à 200 mètres de là et nous avons attendu. La frappe a touché le bâtiment. Vers 1 ou 2 heures du matin, quand les choses se sont calmées, nous sommes retournés mais tout était parti. Les tentes étaient complètement déchirées et tout avait été détruit »,
a-t-elle ajouté.
Le journaliste Ahmed al-Danaf a filmé sur vidéo le bombardement du bâtiment de la clinique de soins Sheikh Radwan.
Cette semaine, Israël a également bombardé à plusieurs reprises des bâtiments appartenant à la Société du Croissant-Rouge de Palestine.
Un travailleur du Croissant-Rouge a pris une vidéo, le 3 août, du bombardement du quartier général de Khan Younis, qui a tué un membre du personnel, en a blessé trois autres et a déclenché un incendie.
« L’emplacement de notre quartier général est bien connu des forces occupantes et il est clairement indiqué au moins de l’emblème rouge de protection. Il ne s’agissait pas d’une erreur »,
a fait savoir l’organisation médicale.
Alors que le personnel tentait d’éteindre le feu et d’inspecter le dégâts après la première frappe, le Croissant-Rouge a rapporté que le bâtiment avait été de nouveau frappé au premier étage, puis une fois encore au rez-de-chaussée.
« Les frappes répétées au cours des opérations d’évacuation et de sauvetage montrent clairement que les frappes étaient délibérées et systématiques »,
a déclaré le Croissant-Rouge.
Le 6 août, à peine trois jours plus tard, Israël a de nouveau ciblé le bâtiment, tirant un obus d’artillerie sur le 7e étage.
Un parachutage de nourriture tue un infirmier
Les États occidentaux et régionaux, qui restent en phase avec Israël et sa politique génocidaire, poursuivent leurs tentatives de gestion de leurs relations publiques en se vantant de larguer de l’aide alimentaire (en quantités toutefois très restreintes).
Mais les passages restent largement fermés, des Palestiniens sont tués en grands nombres aux prétendus sites de distribution humanitaire américains et israéliens et la population de Gaza est confrontée à des niveaux catastrophiques de famine.
Cette semaine, le Canada, l’Allemagne et la Belgique, ainsi que les Émirats arabes unis, l’Égypte et la Jordanie, ont parachuté de l’aide, alors que les responsables du gouvernement de Gaza ont prévenu que la quantité d’aide n’était qu’une infime fraction de ce qui était nécessaire.
Le 1er août, des Palestiniens de Gaza se sont filmés alors qu’ils ouvraient certains des colis d’aide parachutés en provenance d’Espagne, et ils ont fait voir que certains des colis de vivres étaient couverts d’une moisissure noire.
Le ministère de l’Intérieur de Gaza a affirmé
« que les effets négatifs des parachutages et le chaos, la destruction et la perte de vie et de propriété qu’ils engendrent sont bien plus grands que le moindre profit qu’ils fournissent à notre peuple affamé. La façon optimale d’apporter quelque soulagement à notre peuple et à mettre un terme à la crise humanitaire et à l’affamement systématique consiste à ouvrir les passages terrestres et à permettre l’afflux de quantités abondantes d’aide humanitaire et de vivres sur base quotidienne et pendant des périodes étendues ».
Et ces largages humiliants continuent de tuer des gens affamés.
Lundi, Uday al-Quraan, un infirmier de l’hôpital des Martyrs d’Al-Aqsa à Deir al-Balah, a été tué lorsqu’une caisse d’aide est tombée du ciel sur la tente qui lui servait d’abri.
Quelques jours à peine avant d’être tué, al-Quraan avait été filmé en train de dénoncer les largages aériens.
« C’est de l’humiliation », avait-il dit. « Avant toute chose, c’est une humiliation. L’aide ne suffit pas et il n’y en a même pas assez pour remplir la moitié d’un camion. »
Al-Quraan avait poursuivi en montrant la quantité dérisoire d’aide d’un largage aérien, lequel, avait-il ajouté, était rempli de sable.
Les soldats israéliens se servent de silencieux sur leurs armes, aux sites d’« aide »
Entre-temps, les forces israéliennes aux passages frontaliers de Gaza et les mercenaires israéliens et américains qui gèrent les sites privés de la prétendue Gaza Humanitarian Foundation (GHF) continuent chaque jour de piéger, de blesser et de tuer des Palestiniens affamés.
Le ministère de la Santé a déclaré le 6 août qu’au moins 1 655 Palestiniens affamés avaient été tués et 11 800 blessés depuis fin mai, en tentant d’accéder à l’aide alimentaire.
Le vendredi 1er août, le journaliste Anas Al-Sharif, d’Al Jazeera, rapportait que, pour la première fois, les soldats israéliens avaient utilisé des silencieux sur leurs armes afin de tirer sur les Palestiniens affamés cherchant de l’aide à Gaza.
Il s’est entretenu avec de multiples témoins qui ont confirmé l’usage de silencieux à Beit Lahiya, pendant que l’envoyé de l’administration Trump, Steve Witkoff, et l’ambassadeur des EU en Israël, Mike Huckabee, visitaient Gaza pendant quelques heures afin d’assister aux opérations de la GHF.
Anas al-Sharif a dit que les soldats israéliens essayaient d’infliger des pertes sans trop attirer l’attention.
Huckabee, qui est un sioniste chrétien évangélique, a dit cette semaine que l’administration Trump cherchait à accroître le nombre de sites de la GHF, en passant de 4 à finalement 16 sites.
À l’hôpital koweïtien de Khan Younis, le directeur de l’hôpital, le Dr Suhaib al-Hams a diffusé un appel public aux Palestiniens afin qu’ils évitent les pièges mortels parce que son personnel ne parvient pas à traiter le nombre débordant de victimes qui se présentent avec des blessures par balle.
Il a déclaré le 6 août que le département de pansement des blessures était hors service « en raison d’une pénurie de fournitures médicales ».
Cette semaine, un groupe d’experts de l’ONU a appelé au démantèlement immédiat de la GHF, exigeant que l’entreprise privée et son CEO soient tenus responsables et qu’il soit permis
« à des acteurs expérimentés et humanitaires de l’ONU et de la société civile de reprendre les rênes de la gestion et de la distribution de cette aide vitale ».
Les experts ont insisté auprès des États membres de l’ONU
« pour qu’ils imposent à Israël un embargo total sur les armes en raison de ses multiples violations des lois internationales, qu’ils suspendent les accords sur le commerce et les investissements qui pourraient nuire aux Palestiniens, et qu’ils demandent des comptes aux personnes morales de ces entreprises ».
Des Palestiniens disparaissent en collectant de l’aide
D’autres reportages font surface à propos de Palestiniens qui ont disparu alors qu’ils tentaient de collecter de l’aide sur les champs de mort privés américano-israéliens déguisés en sites de distribution d’aide.
Cette semaine, Al Mezan et l’organisation de défense des droits MENA ont documenté les cas de cinq Palestiniens, dont un enfant, qui ont disparu sur les sites de la GHF. Dans trois cas, l’armée israélienne a admis leur arrestation, mais a nié avoir sous sa garde les deux autres, dont un adolescent de 16 ans.
Les organisations de défense des droits humains disent que, pour les trois hommes qu’Israël a reconnu avoir enlevés sur les prétendus sites humanitaires,
« l’armée israélienne a refusé de révéler leur lieu de détention et leur a nié le droit d’accéder à un conseil juridique, les plaçant en détention au secret, avec un risque accru de torture et de mauvais traitements ».
Dans un appel, les organisations ont insisté auprès du Groupe de travail de l’ONU sur les disparitions forcées ou involontaires pour qu’il intervienne auprès des autorités israéliennes afin qu’elles clarifient le sort et les allées et venues des cinq Palestiniens disparus et qu’elles fassent immédiatement relâcher ceux qui sont emprisonnés.
Les deux organisations
« ont également demandé que le Groupe de travail de l’ONU adresse une communication à la GHF et aux autorités de tutelle américaines, à la lueur du nombre croissant de cas de disparitions forcées sur les lieux de distribution humanitaire gérés par l’organisation soutenue par les EU et Israël ».
« Ces cinq cas renseignés ne sont que la partie visible de l’iceberg »,
disent les organisations,
« et révèlent encore un autre modèle dérangeant de graves violations des droits humains commises par les autorités israéliennes à Gaza : des enlèvements de civils palestiniens en quête de l’aide humanitaire organisée par le GHF. »
Orchestrer le chaos
La semaine dernière, le bureau gouvernemental des médias de Gaza a diffusé une série de déclarations sur l’aggravation de la crise humanitaire et le renforcement du chaos engendré à Gaza, dans un contexte où Israël autorise le passage de quelques camions d’aide, lesquels ne peuvent en aucun cas suffire aux besoins énormes de la population affamée.
Le bureau des médias a déclaré le 6 août que, dans la dizaine de jours écoulés, le nombre total de camions humanitaires entrés dans la bande de Gaza n’était que de 850 – soit une moyenne de 85 par jour ou seulement 14 pour 100 de l’aide nécessaire.
Gaza a besoin d’au moins 600 camions d’aide et de carburant par jour si on veut couvrir les besoins minimaux de la santé, des services et des secteurs de l’alimentation, a ajouté le bureau des médias.
La majeure partie de l’aide, fait remarquer le bureau des médias, est pillée par des bandes armées travaillant avec les Israéliens.
Il y a approximativement 22 000 camions humanitaires coincés aux passages, a déclaré le bureau des médias, « dont la plupart appartiennent à l’ONU, à des organisations internationales et à diverses entités. L’occupation israélienne empêche délibérément leur entrée dans le cadre d’une politique systématique d’affamement, de blocus et de chaos orchestrés, et tout cela fait partie du génocide en cours ».
Dans la nuit du 5 août, au moins 20 Palestiniens ont été tués et des dizaines d’autres blessés au moment où un camion humanitaire s’est renversé sur des personnes qui tentaient d’obtenir de la nourriture. Les Israéliens avaient forcé le conducteur du camion à rouler sur des routes peu sûres et endommagées qui avaient été précédemment bombardées et ne convenaient donc pas au passage de véhicules lourds, a déclaré le bureau des médias.
Affamés à mort
Le ministère palestinien de la Santé à Gaza a rapporté jeudi qu’au moins quatre nouveaux décès avaient été renseignés comme dus à la faim, portant ainsi le nombre total des victimes répertoriées de la politique israélienne d’affamement à 197, dont plus d’une moitié d’enfants.
Parmi les personnes mortes de faim au cours de la semaine écoulée figurait le jeune Atef Abu Khater, 17 ans.
Il est décédé le 2 août. Son poids était descendu de 70 kg à 25 kg à peine, a déclaré sa famille lors de son décès – c’est en gros ce que devrait peser un enfant de 9 ans.
Dans un reportage depuis la ville de Gaza, Hani Mahmoud, d’Al Jazeera, a déclaré :
« Nous apprenons de membres de sa famille et d’autres qui le connaissaient qu’il était un champion sportif local. Il avait fini par perdre beaucoup de poids, à force d’être très mal nourri, et il a fini par en mourir. (…) C’est l’un des milliers de cas de malnutrition sévère un peu partout à Gaza. »
Une petite blessure a tué un enfant en bas âge
Les médecins et le personnel médical sont débordés, pendant ce temps, en raison de l’afflux massif de victimes et de la baisse des fournitures de carburant, de médicaments ainsi que de leur énergie personnelle du fait qu’eux-mêmes aussi sont passablement affamés.
Le Dr Muhammad Abu Salmiya, directeur de l’hôpital al-Shifa à Gaza, a déclaré que le taux d’occupation de son hôpital était de 300 pour 100 et il a prévenu que les unités d’anesthésie et de sang ne disposent que de quantités très limitées de fournitures.
« Une grande partie des blessures que nous recevons sont concentrées dans les parties supérieures du corps (…) nous perdons des gens blessés en raison d’un nombre insuffisant de salles d’opération »,
a-t-il expliqué à Al Jazeera.
Le Dr Tarek Loubani, un médecin qui vit au Canada, hôte fréquent de cette émission, et qui travaille actuellement à Gaza, a expliqué le 6 août à Al Jazeera qu’il n’y avait pas eu un seul jour, au cours des deux mois et demi écoulés, sans pénurie quasi totale de sang.
« Je ne puis sortir de mon esprit l’un des cas, celui d’un tout petit garçon d’un an et demi qui se trouvait juste sous nos yeux avec une toute petite blessure qui, malheureusement, avait touché une artère. Il saignait beaucoup, mais pas au point de devoir mourir »,
a déclaré Loubani.
« Il était petit, manifestement mal nourri et tout ce dont il avait besoin, c’était d’un peu de sang ; toutefois, ç’avait été un massacre sous des tentes et tous les membres de sa famille avaient été tués. Ils étaient par conséquent incapables de lui donner du sang »,
a-t-il ajouté.
« Au moment où nous avons été enfin en mesure de trouver quelqu’un pour lui donner du sang et le faire venir, nous avons vu que, même si lui donnions du sang, nous serions incapables d’assurer le suivi, et que ce sang pourrait être utilisé pour sauver quelqu’un d’autre. Nous avons dû rester là, assis, à regarder ce petit garçon – dont nous savions qu’il était normalement possible de le soigner et de le sauver – mourir juste sous nos yeux »,
a encore dit Loubani.
Mise en exergue de la résilience
Enfin, selon notre habitude, nous avons voulu mettre en évidence des personnes exprimant leur joie, leur détermination et leur résilience en Palestine et ailleurs dans le monde.
Des membres du Sameer Project, une organisation d’entraide à Gaza, ont soutenu une thérapie par le jeu et la musique avec des enfants au camp Refaat Alareer pour familles déplacées. Ces sessions, avec le thérapeute expérimenté Jaber et son équipe, fournissent un espace sécurisé aux enfants pour qu’ils puissent s’exprimer par la musique et diverses autres activités, nous écrit le Sameer Project.
Et, cette semaine, le photographe Ahmed Abu a pris ces images de Palestiniens plus âgés qui jouent aux cartes, sous les regards curieux d’un tout petit bonhomme.
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Publié le 8 août sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine