La résistance palestinienne : L’héroïsme sur le champ de bataille et l’urgente nécessité d’un projet politique

La résistance palestinienne a démontré, tout au long du génocide en cours, une capacité exceptionnelle à faire preuve de détermination et d’initiative.  Elle est parvenue à ancrer sa présence en tant que principal acteur à affronter le projet colonial de peuplement sioniste. Toutefois, vu l’importance de cette réalité, elle ne nie pas qu’une une crise fondamentale afflige le mouvement national palestinien dans son ensemble et dans son cœur même, la résistance armée en particulier : l’absence d’un projet politique libératoire et l’absence d’un front national capable de transformer l’action de résistance en une voie de libération politique et sociale complète.

 

La résistance palestinienne : L'héroïsme sur le champ de bataille et l'urgente nécessité d'un projet politique

 

Khaled Barakat, 27 décembre 2025

Aucun mouvement de libération affrontant un projet colonial de peuplement ne peut triompher par le biais du seul héroïsme militaire, quelle que soit l’ampleur des sacrifices, à moins que cet héroïsme ne soit sous-tendu par une vision intellectuelle et politique claire et par une stratégie nationale façonnée avec la participation de la population : une stratégie qui définit l’objectif, gère le conflit et empêche le contournement ou la neutralisation des réalisations.

 

L’absence de front national unifié après la mort de l’Organisation de libération de la Palestine

Au moment de sa fondation, l’Organisation de libération de la Palestine n’était pas qu’une représentante officielle ; elle était un front national qui réunissait diverses classes sociales et forces révolutionnaires dans la confrontation contre le colonialisme sioniste. Toutefois, ce rôle prit effectivement fin en 1974 avec l’adoption du mot d’ordre « État » au lieu de « libération », puis atteignit sa fin pratique avec le processus d’Oslo en 1993, via lequel l’OLP fut dépouillée de son contenu libératoire et transformée en un corps vidé, dépourvu de volonté, subordonné au système de l’autorité et à ses engagements sécuritaires.

Aujourd’hui, l’OLP ne constitue plus un front national ; au lieu de cela, elle a été réduite en un « tampon de caoutchouc » et en une façade politique utilisée pour fournir une couverture officielle aux forces de la coordination sécuritaire et pour légitimer une voie politique complètement coupée des intérêts du peuple palestinien et de ses aspirations à la libération. Cette mort politique de l’organisation a créé un dangereux vide national qui se manifeste par l’absence d’un front national capable de gérer la lutte en tant que conflit existentiel.

Dans l’ombre de ce vide, les forces de résistance opèrent sans encadrement national unifiant, ce qui, en dépit de leur valeur, rend leurs actions vulnérables à la fragmentation et à l’attrition et empêche la transformation des réalisations sur le champ de bataille en une accumulation de capital politique libératoire. Telle est la leçon de l’histoire après plus d’un siècle de lutte : La crise n’a jamais résidé dans la volonté de don et de sacrifice des Palestiniens, mais plutôt dans une direction politique qui, après chaque révolution et chaque soulèvement, a dirigé ces mêmes Palestiniens vers des accords et des illusions, vers des états de siège plus stricts et un territoire de plus en plus restreint.

 

La confusion des forces de résistance avant l’illusion de la « réconciliation » et de l’« unité nationale »

Les forces clés de la résistance témoignent d’une confusion politique manifeste dans leur approche de la prétendue « unité nationale », confondant l’unité s’appuyant sur un programme révolutionnaire clair de libération avec un partenariat avec les forces de l’autorité et la coordination sécuritaire. Cette confusion ne produit pas d’unité mais crée plutôt une illusion politique qui entrave la résistance au lieu de la renforcer et qui sert les intérêts des forces et classes sociales vaincues qui ont vendu la Palestine en échange de la garantie de protection de leurs privilèges de classe.

Chercher l’unité avec les forces dont le rôle fonctionnel dans le « contrôle des rues palestiniennes » et la protection de la sécurité de l’occupation a été prouvé par les faits, ne peut être une voie d’accès vers la libération. Au lieu de cela, cela reflète l’absence de clarté politique parmi certaines forces de la résistance quant à la nature de la phase actuelle, du principal ennemi et des limites de la contradiction.

Cette confusion a abouti de facto à l’acceptation d’équations qui ont maintenu la résistance sur la défensive au niveau politique, accordant aux forces qui ont perdu leur légitimité nationale la capacité de faire chanter cette même résistance au nom de la « légitimité » et de la « réconciliation nationale », alors que ces concepts ont été vidés de leur véritable contenu libératoire.

 

La vulnérabilité face aux alliances nationales et à leurs limites

La crise du projet politique de la résistance ne peut être séparée de sa relation avec les alliances régionales, particulièrement avec le Qatar, la Turquie et l’Égypte. Bien que ces relations procurent certaines marges de « soutien » ou d’espace de manœuvre et d’opération, elles imposent en retour des contraintes politiques manifestes et poussent la résistance à tenir compte des calculs des régimes qui ne perçoivent pas la Palestine sous l’angle de la libération, mais sous celui de la gestion du conflit.

Une dépendance excessive vis-à-vis de ces alliances ou le fait de les traiter en substitut de la profondeur populaire arabe, islamique et internationale, sape l’indépendance politique du processus décisionnel de la résistance, limite sa capacité à formuler un discours libératoire radical et contredit la nature même de la lutte ouverte contre le projet sioniste.

Quels que soient leurs rôles différents, les États susmentionnés restent les alliés de Washington et partagent un intérêt à endiguer la résistance plutôt qu’à libérer son potentiel entier, un intérêt au contrôle plutôt qu’à la libération. Tout projet politique qui ignore cette réalité restera incomplet et vulnérable à la neutralisation et à son propre évidement.

 

L’illusion du « soutien arabe » et le rôle du pétrole dans la sabotage de la révolution palestinienne

L’expérience historique palestinienne prouve que ce à quoi on a longtemps référé comme le « soutien arabe officiel » n’a été rien de plus, essentiellement, qu’une formule pour saboter la révolution palestinienne et corrompre sa direction et sa structure politique. Ce « soutien » a été utilisé comme outil de contrôle et d’endiguement, liant la décision nationale palestinienne aux calculs des régimes plutôt qu’aux intérêts de la libération.

L’argent du pétrole n’a pas été un soutien innocent ; il a été un moyen de refondre la direction, d’encourager la bureaucratie, d’affaiblir le caractère populaire et militant de la lutte et de transformer la révolution en un corps dépendant du financement extérieur et sous réserve de ses conditions et de ses plafonds politiques. Par conséquent, le discours palestinien est passé de la « révolution » à l’« État » et à l’« autorité », pour culminer finalement dans le néant.

Quand ce « soutien » a reculé, la tâche a été transférée aux prétendus « États donateurs » européens et au « soutien » direct et indirect des EU, via une division fonctionnelle euro-américaine du travail qui liait le financement à des conditions politiques, sécuritaires et juridiques visant à dépouiller la cause palestinienne de son caractère libératoire et à la transformer en un « dossier humanitaire et sécuritaire » dépolitisé.

Dans ce contexte, les institutions nationales ont été fragmentées et un contrôle quasi total a été exercé par ce qu’on appelle les « organisations non gouvernementales », lesquelles ont joué un rôle central en démantelant la structure nationale unifiée et en remplaçant la lutte politique pour les droits nationaux par un discours « basé sur les droits » et « civique » complètement détaché de l’essence de la cause.

En parallèle, les Palestiniens de la diaspora ont fait l’objet d’un processus systématique de dépossession de leur rôle historique dans le projet national. Leurs armes ont été domestiquées, leurs organisations syndicales et populaires détruites et transformées en structures ou cadres creux subordonnés aux conditions des États qui les avaient accueillis. Aujourd’hui, ce processus est appliqué ouvertement, via des tentatives en vue d’empêcher les Palestiniens en exil de participer au moindre processus de changement ou de reconstruction du projet de libération. Ils sont censés devenir de simples « communautés », dénuées de tout rôle politique, malgré le fait que la diaspora a toujours été, et reste toujours la colonne vertébrale de tout projet de libération de la Palestine.

 

Conclusion

La résistance palestinienne doit sans hésiter présenter son projet politique national complet au peuple palestinien, comme un droit imposé par les sacrifices et les transformations qu’a produits le Déluge d’Al-Aqsa. Il n’est pas nécessaire de retourner une fois de plus vers ce qu’on a appelé la « réconciliation palestinienne » après que l’expérience a prouvé que cette voie n’était rien d’autre qu’un mécanisme de reproduction d’un système d’échec et de coordination sécuritaire. Ce qui s’est passé depuis le 7 octobre a annulé ce qui était venu avant et a ouvert une nouvelle phase qui ne pourra être gérée avec de vieux outils.

Aujourd’hui, nous nous trouvons devant une nouvelle légitimité révolutionnaire, soutenue par une large légitimité populaire et par une véritable majorité palestinienne qui a perçu la résistance comme la représentante de sa volonté et de sa dignité, contrairement aux forces qui ont abandonné Gaza, ses habitants et leur courageuse résistance. Le danger le plus grave qui menace la résistance est de rester une spectatrice au moment où ces mines mortelles sont disposées directement à sa vue et alors que se joue une conspiration qui a pour but d’éroder les réalisations du Déluge d’Al-Aqsa, conspiration émanant de Washington, de Tel-Aviv, des régimes de la normalisation et de ceux qui ont perdu leur conscience et leur légitimité nationale.

 

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Khaled Barakat

Khaled Barakat

L’article que voici a été publié en arabe dans Al-Masirah et Palestine Today et a été publié le 27 décembre 2025 sur Masar Badil
Traduction de l’anglais : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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