«Dès qu’un travailleur est malade, ils le larguent au check-point comme un chien»

Les travailleurs palestiniens soupçonnés de coronavirus sont largués à un check-point en Cisjordanie sans le moindre égard pour leur santé ou leur sécurité.

24 mars 2020, Suha Arraf

Des travailleurs palestiniens venus de la ville de Hébron (Cisjordanie) transportent leurs affaires personnelles quand ils arrivent au check-point de Tarqumiya pour se rendre en Israël. (Photo : Wisam Hashlamoun/Flash90)

18 mars 2020. Des travailleurs palestiniens venus de la ville de Hébron (Cisjordanie) transportent leurs affaires personnelles quand ils arrivent au check-point de Tarqumiya pour se rendre en Israël. (Photo : Wisam Hashlamoun/Flash90)

Qu’advient-il des ouvriers palestiniens en Israël quand on les soupçonne d’avoir contracté le nouveau coronavirus ?

En s’appuyant sur deux histoires récentes, il s’avère que les autorités israéliennes larguent tout simplement les travailleurs palestiniens malades à un check-point de Cisjordanie occupée sans la moindre égard pour leur santé ou leur sécurité.

Les médias sociaux palestiniens étaient en effervescence, lundi, après la publication d’une vidéo montrant un travailleur palestinien, Malek Jayousi, gisant sur le bas-côté d’une route à proximité du check-point de Beit Sira / Maccabim.

Jayousi, 27 ans, originaire du village tout proche de Sura, avait été déposé là par la police israélienne après que celle-ci l’avait accusé d’avoir le coronavirus.

Ibrahim Abu Saffiyeh, un journaliste local qui fait également office de volontaire au sein du comité d’urgence de son village créé pour aider les Palestiniens au check-point de Beit Sira, était sur les lieux quand la police est arrivée avec Jayousi, vers midi.

« Deux agents occupaient le siège avant. Le véhicule s’est arrêté et l’homme [Jayousi] en est descendu et pouvait à peine marcher en direction du check-point. Les agents sont descendus à leur tour, se sont désinfectés et ont également désinfecté le siège arrière, puis sont remontés dans le véhicule et sont repartis »,

a raconté Abu Saffiyeh.

Jayousi a expliqué à Abu Saffiyeh que les policiers israéliens étaient venus sur le chantier en construction où il travaillait, à Tel-Aviv, lui avaient dit qu’il avait le coronavirus et l’avaient emmené.

« Il avait l’air très effrayé », a déclaré Abu Saffiyeh.

« Nous avons placé une feuille de carton sur le sol. Nous ne pouvions pas aller trop près de lui, parce que nous n’avons pas de tenue de protection, nous n’utilisons que de simples masques. Nous lui avons donné de l’eau et de la nourriture et il nous a dit qu’il était incapable de boire ou de manger. Il était assis, effrayé et tout tremblant. Nous avons immédiatement appelé le Croissant-Rouge à Ramallah. Il leur a fallu environ trois heures pour arriver. »

Hospitalisé à l’hôpital Al-Watani de Naplouse, Jayousi, en fait, n’avait pas le coronavirus.

Son cousin, Samih Jayousi, a expliqué que, récemment, des membres de sa famille s’étaient amenés avec la grippe, encore que Malek, lui, soit toujours à l’hôpital pour des tests additionnels.

Lors d’une conférence de presse, mardi matin, le porte-parole de l’Autorité palestinienne, Ibrahim Malham, a confirmé que le test au coronavirus subi par Jayousi s’était avéré négatif et il a condamné

« le comportement raciste du gouvernement, de l’armée et des employeurs israéliens qui jettent leurs travailleurs à la rue ».

Malham a suggéré aux travailleurs palestiniens de s’abstenir de se rendre dans des lieux de travail en Israël où ils soumis au racisme.

VOIR : Malek Jayousi est évacué du check-point de Beit Sira.

https://www.facebook.com/christine.rinawi/videos/10156884571907233/

La police israélienne a transmis la réponse que voici à cet incident :

« Hier au soir, la police israélienne a reçu un rapport de l’hôpital Ichilov concernant un suspect résidant illégalement en Israël et arrivé à l’hôpital pour un examen.

Après que l’homme a été examiné et libéré par l’équipe médicale, la police est arrivée sur les lieux et, après avoir pris les précautions nécessaires, l’a conduit au check-point de Maccabim, puisqu’il se trouvait en Israël illégalement.

Le suspect n’est pas un patient atteint de coronavirus et il a été relâché au check-point en toute dignité, après qu’un terme a été mis à la violation de la loi, comme c’est requis.

Même dans cette période d’urgence nationale, la police israélienne continuera d’appliquer la loi, y compris en empêchant toute forme de résidence illégale en Israël. »

Jayousi n’est pas le premier travailleur palestinien à être largué au check-point de Beit Sira sur présomption d’infection au coronavirus, affirme Abu Saffiyeh.

Dimanche, vers 14 heures, Abu Saffiyeh a vu un homme descendre d’un taxi au check-point.

« Il nous a dit qu’il avait besoin d’aide et qu’il était possible qu’il ait le coronavirus. »

Les membres du comité ont déposé une feuille de carton sur le sol et ont donné de l’eau à l’homme, mais sans s’approcher de trop près de lui.

Le jeune homme leur a dit qu’il avait 32 ans, qu’il vivait dans le camp de réfugiés de Jalazoun, près de Ramallah et qu’il travaillait sur un chantier de construction en Israël.

Il avait eu de la fièvre pendant le travail et avait demandé à son employeur d’appeler une ambulance.

Le travailleur a déclaré que son employeur avait refusé, de sorte qu’il avait appelé l’ambulance lui-même, mais les paramédicaux avaient refusé de l’emmener dans un hôpital israélien.

« Son employeur lui a dit de prendre un taxi pour rentrer chez lui, et c’est ce qu’il a fait »,

a expliqué Abu Saffiyeh.

Les volontaires de Beit Sira ont appelé le Croissant-Rouge qui – comme dans le cas de Jayousi – ont mis trois heures pour arriver au check-point.

« Je n’ai aucune idée de ce qui a pu lui advenir », a ajouté Abu Saffiyeh.

« Dès l’instant où vous tombez malade, ils vous larguent comme un chien au check-point. »

D’après des estimations de Kav LaOved, une ONG israélienne qui s’emploie à protéger les droits des travailleurs défavorisés, il y a approximativement 60 000 travailleurs palestiniens en Israël.

La plupart sont employés dans la construction, la cueillette des fruits et légumes et la production de poulets et d’œufs.

Jusqu’à présent, les employeurs israéliens ne leur ont pas fourni de logements ni de mesures protectrices contre la pandémie de coronavirus, laissant ainsi de nombreux travailleurs dormir sur les chantiers de construction mêmes et dans des serres.

Au début de l’épidémie de coronavirus, la ministre de la Défense Naftali Bennett avait annoncé qu’il était occupé à conditionner l’emploi permanent des travailleurs palestiniens en les forçant à rester en Israël pendant deux mois au moins, sans la moindre possibilité de rendre visite à leurs familles en Cisjordanie.

Kav LaOved, ainsi que l’Association pour les droits civils en Israël et Médecins pour les droits de l’homme – Israël, ont contacté Bennett et d’autres ministres en leur demandant de fournir aux travailleurs palestiniens des logements adéquats, d’interdire aux employeurs de les loger sur les lieux de travail et de leur accorder une assurance médicale.


Publié le 20 mars 2020 sur +972Magazine

Suha Arraf

Suha Arraf est réalisatrice, scénariste et productrice. Elle écrit sur la société arabe, sur la culture palestinienne et sur le féminisme.

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