De même, alors que de nombreux correspondants étrangers disaient que la décision du président américain Donald Trump de reconnaître Jérusalem comme la capitale d’Israël avait jeté « de l’huile sur le feu », il n’a guère été fait mention du nettoyage ethnique systématique que cette même ville subit depuis 70 ans.
Dans les reportages occidentaux, les Palestiniens ont une fois de plus été présentés comme des gens habités par une « colère » irrationnelle, et la couverture médiatique que mériterait l’oppression dont ils sont victimes leur a été refusée une fois de plus.
En règle générale, les Palestiniens ne sont mentionnés dans la presse dominante que lorsqu’ils manifestent ou qu’ils résistent physiquement aux agressions israéliennes.
Leurs protestations sont qualifiées d’ « escalade de la violence » dans la région. Par contre on ne parle pas d’« escalade de la violence » quand Israël intensifie ses raids nocturnes sur les maisons palestiniennes, ou que les colons attaquent des fermiers palestiniens.
Les médias grand public mettent toujours l’accent sur la réaction palestinienne et jamais sur les actions israéliennes, ce qui laisse croire que les Palestiniens sont à l’offensive alors qu’ils ne font que se défendre.
Israël s’est construit en tenant un discours « défensif » et les médias grand public abordent tout ce qui arrive dans la région en utilisant le même cadre de référence.
C’est pourquoi, ils parlent des « émeutes » palestiniennes et disent qu’elles sont «dispersées » par les forces israéliennes, en reprenant mot à mot le discours des porte-paroles du gouvernement israélien.
C’est pourquoi, dans la plupart des articles, on appelle le mur d’apartheid un « mur de séparation » et que les correspondants étrangers à Jérusalem ne disent jamais « Jérusalem occupée », ce qui est pourtant le cas selon le droit international.
La façon dont les médias parlent de Gilo, la colonie israélienne de Jérusalem-Est et d’autres colonies illégales en Palestine, laisse croire que ce sont simplement des « quartiers » et que la Cisjordanie n’est pas occupée, mais « contestée » ou «disputée».
Les Palestiniens ayant la citoyenneté israélienne sont appelés des « arabes israéliens » (et non des Palestiniens, ndt).
La Cisjordanie est un endroit où les Palestiniens « cherchent à établir un État » comme si ce territoire ne leur appartenait pas. Gaza est dépeinte comme une entité souveraine alors que c’est une ville palestinienne assiégée.
Mais les dernières extravagances médiatiques sur la Palestine ont pris un tour différent parce que les relations entre les grands médias et Trump sont tendues et que cela les a incités à changer l’angle de leurs reportages.
A cause des attaques de Trump contre les grands organes d’information et de la fixation du public sur son administration, la couverture médiatique de la dernière attaque contre les droits des Palestiniens est un peu plus critique, mais pas de la bonne manière.
Les médias grand public ont présenté l’annonce du 6 décembre de Trump comme sa dernière bévue, ce qui n’a fait que semer encore plus de confusion sur les véritables enjeux. On n’a pratiquement pas parlé de la lutte quotidienne des Palestiniens vivant sous occupation, ni de l’histoire de l’annexion des terres, ni de la sionisation de Jérusalem.
On n’a pas non plus dit que Trump avait simplement décidé de ne pas signer le report de l’application d’une loi que le Congrès américain avait prise il y a 20 ans.
Il n’y a pas eu non plus d’analyse sur la façon dont les États-Unis ont permis et financé le projet colonial israélien en Palestine.
Il n’a pas non plus été rappelé qu’Israël avait construit son État sur la base de la déclaration d’un autre dirigeant, lord Arthur Balfour, il y a cent ans.
A l’époque où Balfour occupait le poste de secrétaire d’État britannique aux Affaires étrangères, le projet colonial britannique avait déjà élaboré un récit mythique efficace qui présentait les Palestiniens comme des sauvages arriérés, ce qui justifiait l’occupation et validait les pratiques coloniales brutales.
Ce récit mythique a permis à Balfour de d’annoncer en 1917 la création d’une patrie juive dans la région au mépris total de la population qui y vivait.
Il a également permis aux sionistes de dire que les Juifs sionistes sont « un peuple sans terre pour une terre sans peuple » et qu’ils « font fleurir le désert » – en effaçant complètement l’existence de la population autochtone.
Lorsque les Palestiniens se sont révolté en 1936 contre le Mandat britannique et le mouvement sioniste, on a vu émerger l’image de l’arabe « en colère » et « irrationnel ». Lord William Peel, qui dirigeait la Commission royale palestinienne, a été chargé d’enquêter sur « l’agitation » et le « désordre » dans la région.
Le rapport de la commission faisait à peine mention de l’oppression britannique et, à l’instar des médias grand public d’aujourd’hui, ne parlait que de la réaction palestinienne à la présence des soldats anglais et à l’expansion sioniste.
Aujourd’hui, comme nous sommes censés être à l’ère « post-coloniale », le colonialisme est considéré comme dépassé. Pourtant, les préjugés coloniaux dominent toujours la manière dont on se représente les Palestiniens.
Au cours des dernières décennies, Israël a assez bien réussi à contrôler les grandes lignes du récit mythique sur la Palestine et à maintenir le biais en sa faveur.
Les autorités israéliennes ont méticuleusement construit et répandu l’idée que les arabes étaient « en colère », « violents » et « irrationnels » tout en mettant en avant la puissance civilisatrice de l’État israélien.
Ils ont vendu cette image des Palestiniens au monde entier pour tenter de légitimer leurs violations des droits de l’homme.
Israël a également réussi à faire passer la question palestinienne pour une question religieuse entre arabes/musulmans et juifs.
Ce discours vise à effacer l’identité palestinienne et à dépeindre l’occupation comme un conflit religieux.
Cela permet également aux sionistes de lancer plus facilement des accusations d’antisémitisme contre ceux qui s’opposent au colonialisme israélien et/ou le critiquent.
Et, depuis des décennies, la question palestinienne est présentée comme un conflit entre deux camps de force égale.
Le contexte de la colonisation, l’apartheid, les implantations illégales, les exécutions extrajudiciaires, les démolitions de maisons, les arrestations arbitraires et les détentions administratives ne sont que des notes de bas de page dans le discours global.
On évite d’utiliser le mot colonialisme parce qu’il évoque les crimes d’une époque que les puissances occidentales préfèrent oublier.
Rien ne changera en Palestine tant que cette vision coloniale ne sera pas remise en question et que les médias grand public ne seront pas obligés de changer de discours.
Il faut que beaucoup plus de personnes dans le monde prennent conscience de ce qui se passe réellement en Palestine, pour que la pression oblige les gouvernements à changer de position et à cesser de soutenir le projet colonial d’Israël.
Entretenir le discours médiatique actuel ce n’est pas seulement se rendre complice de l’oppression des Palestiniens par Israël, c’est quelque part aussi l’encourager.
Publié le 30/12/2018 sur Al Jazeera
Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet
Mariam Barghouti est une écrivaine palestino-américaine basée à Ramallah. Ses commentaires politiques sont publiés dans l’International Business Times, le New York Times, TRT-World, entre autres publications. Son compte twitter. : @MariamBarghouti
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