L’avocat Salah Hamouri se bat contre un ordre israélien de déportation

L’avocat franco-palestinien Salah Hamouri a appris que son statut de résident permanent à Jérusalem avait été révoqué pour “défaut d’allégeance à l’État d’Israël”.

Salah Hamouri était l’un des six militants palestiniens des droits de l’homme dont les téléphones ont été infectés par le logiciel espion Pegasus commercialisé par la société israélienne NSO – Photo : Al Jazeera

Ramallah, Cisjordanie occupéeSalah Hamouri, avocat palestinien né à Jérusalem et défenseur des droits de l’homme, lutte contre une expulsion imminente de son pays.

La décision d’expulser Hamouri intervient après que les autorités israéliennes d’occupation l’ont accusé de “défaut d’allégeance à l’État d’Israël” et l’ont qualifié de “menace pour la sécurité”.

“Je vis dans une instabilité complète car je ne peux rien prévoir dans les prochaines 24 heures de ma vie. Je ne peux pas quitter Ramallah parce que j’ai peur d’être arrêté si je traverse les barrages militaires vers Israël”,

a déclaré Hamouri, qui est également citoyen français.

“Je ne peux pas me rendre dans ma maison et voir ma famille à Jérusalem, et je ne peux pas quitter le pays pour aller en France voir ma femme et mes enfants, car je ne serai pas autorisé à revenir”,

a-t-il expliqué à Al Jazeera.

Elsa, la femme française enceinte de Hamouri, s’est vu refuser l’entrée en Israël en 2016 alors qu’elle avait un visa l’autorisant à travailler.

“Elle a été retenue à l’aéroport Ben Gourion pendant plusieurs jours, puis expulsée vers la France”,

a déclaré Hamouri.

“J’avais l’habitude de quitter le pays tous les trois mois pour aller voir ma femme et mes deux enfants, mais maintenant c’est impossible”.

 

La déportation est “hors de question”

Le 18 octobre, la ministre israélienne de l’Intérieur, Ayelet Shaked, a officiellement notifié au défenseur des droits de l’homme franco-palestinien âgé de 36 ans, la révocation de son statut de résident permanent à Jérusalem pour “violation de l’allégeance à l’État d’Israël”.

La décision avait déjà été approuvée par le procureur général israélien Avichai Mendelblit et le ministre de la Justice Gideon Saar.

L’année dernière, M. Hamouri a été officiellement informé de l’intention du ministère de l’intérieur de révoquer son statut de résident à Jérusalem. On lui a dit qu’il pouvait contester cette décision par écrit dans un délai de 30 jours.

“Il est hors de question de m’expulser et de quitter mon pays. Israël n’a pas le droit d’expulser des Palestiniens de leur patrie ni de nous refuser le droit de vivre dans nos propres villes”,

a déclaré M. Hamouri.

Des milliers de Palestiniens vivent “illégalement” à Jérusalem et en Israël parce que les autorités israéliennes refusent d’accorder des droits de résidence aux Palestiniens de Cisjordanie ou aux étrangers mariés à des habitants de Jérusalem, contrairement aux Juifs israéliens dont les conjoints se voient automatiquement accorder la résidence ainsi que la citoyenneté.

Le refus d’Israël d’accorder des droits de résidence aux conjoints palestiniens est fondé sur sa loi sur la citoyenneté et l’entrée en Israël, prétendument pour des raisons de sécurité, mais les critiques affirment que cela fait partie d’une politique visant à modifier la démographie de Jérusalem-Est occupée en faveur d’une majorité juive.

“Par conséquent, à ce jour, des milliers de conjoints palestiniens de citoyens ou de résidents israéliens doivent vivre dans leur maison pendant des années avec rien d’autre que des permis de séjour militaires et aucun droit à la protection sociale”,

a noté le groupe israélien de défense des droits Hamoked.

“Dans une minorité de cas, ceux qui ont demandé le regroupement familial et reçu une approbation initiale avant la promulgation de la loi reçoivent un statut temporaire en Israël, qui leur accorde des droits de sécurité sociale mais ne leur donne aucun sentiment de stabilité dans leur propre foyer.”

 

Défaut d’allégeance

Le droit humanitaire international interdit explicitement à une puissance occupante d’exiger l’allégeance de la population occupée, comme le stipulent l’article 45 du Règlement de La Haye et l’article 68(3) de la Quatrième Convention de Genève.

La politique israélienne de révocation des droits de résidence des Palestiniens à Jérusalem-Est occupée viole en outre l’article 43 du Règlement de La Haye et l’article 64 de la Quatrième Convention de Genève, qui stipulent que la puissance occupante ne peut pas agir en tant que législateur souverain ou étendre sa propre législation sur le territoire occupé.

Selon un rapport de 2018 de Human Rights Watch, au moins 14 595 Palestiniens de Jérusalem ont vu leur résidence révoquée par Israël depuis 1967, la majorité au motif d’avoir un “centre de vie” en dehors de Jérusalem.

La révocation de la résidence de Hamouri est toutefois la première fondée sur une “violation de l’allégeance à Israël”.

Selon lui, les mesures prises à son encontre semblent être motivées par des considérations politiques, en raison de son action en faveur des droits de l’homme et de sa “vive opposition” à l’occupation israélienne. Il a été arrêté pour la première fois alors qu’il était encore adolescent, pour avoir peint des graffitis politiques sur un mur.

Hamouri a ensuite été condamné à dix ans de prison pour avoir prétendument participé, avec un autre Palestinien, aux débuts d’un complot visant à attaquer un rabbin du parti politique israélien Shas – une accusation que son avocat a qualifiée d’injuste car il a en fait empêché le projet d’aller de l’avant.

Il avait le choix entre être expulsé vers la France, d’où sont originaires sa mère et sa femme, ou purger une peine de prison ; il a refusé d’être expulsé de sa patrie.

“J’ai purgé sept ans de cette peine avant d’être libéré lors d’un accord d’échange de prisonniers en 2011 entre Israël et les Palestiniens”,

a déclaré Hamouri.

“Par la suite, j’ai été arrêté à plusieurs reprises et placé en détention administrative pour une période combinée d’environ deux ans sans qu’aucune charge ne soit retenue contre moi”,

dit-il encore, faisant référence à la politique israélienne de détention des Palestiniens sans procès ni charge pour des périodes indéfinies.

Son avocate israélienne, Lea Tsemel, a déclaré que l’appel contre l’expulsion pourrait prendre des mois et que toute décision de justice serait influencée par la situation politique sur le terrain.

Elle a également reconnu qu’il y avait une possibilité qu’ils ne gagnent pas l’appel, mais que cela ne les dissuaderait pas de continuer à se battre pour la justice, quel que soit le temps que cela prendrait.

“Nous avons plusieurs arguments que nous avons l’intention d’utiliser en ce qui concerne les actions et les non-actions de Hamouri”,

a déclaré Tsemel à Al Jazeera.

Israël a annexé Jérusalem-Est occupée en 1967, une décision qui n’est pas reconnue au niveau international et qui est contraire au droit international.

“Les Palestiniens n’ont pas eu le choix lors de l’annexion”,

a déclaré M. Tsemel.

“Ce n’est que plus tard que le tribunal israélien a modifié la législation pour permettre au ministère de l’intérieur de refuser la résidence aux Palestiniens au motif qu’ils n’ont pas prêté serment de loyauté à l’État ou qu’ils ont commis un délit.”

“Nous soutenons que les résidents de Jérusalem-Est ne sont pas obligés de prêter allégeance à un État dont ils ne sont pas citoyens et que l’occupation leur a été imposée. De plus, en vertu du droit international, les personnes sous occupation ne sont pas tenues d’être loyales envers la puissance occupante et ont également le droit de combattre l’occupation.”

 

Jérusalem et le regroupement familial

La loi sur la citoyenneté et l’entrée en Israël est renouvelée tous les six mois mais, le 6 juillet, elle a expiré après que la Knesset, le parlement israélien, a rejeté le projet de loi visant à la prolonger.

“En l’espace de quelques semaines, il est apparu que le ministre de l’Intérieur avait donné l’ordre aux fonctionnaires du ministère de ne pas traiter les demandes de citoyenneté ou de statut permanent déposées par les personnes auxquelles la loi s’appliquait jusqu’à récemment – une population de plus de 13 000 personnes, malgré les communications répétées des organisations de défense des droits de l’homme au ministère”,

rapporte Hamoked.

Hamoked, l’Association pour les droits civils en Israël (ACRI) et Médecins pour les droits de l’homme ont demandé à la Haute Cour d’obliger le ministère de l’Intérieur à traiter les demandes de réunification.

“Il n’y a pas eu d’audience jusqu’à présent – nous avons demandé que l’affaire soit entendue par la haute cour plutôt que par le tribunal de district, et nous attendons une décision sur cette requête”,

a déclaré Jessica Montell, directrice exécutive de Hamoked, à Al Jazeera.

“L’État doit donner sa réponse mais il a demandé un délai supplémentaire.”

Hamouri était l’un des six militants palestiniens des droits de l’homme dont les téléphones ont été infectés par le logiciel espion Pegasus commercialisé par la société technologique israélienne NSO, selon une enquête approfondie menée par Frontline Defenders, dans un rapport technique conjoint avec Amnesty International et le Citizen Lab de l’université de Toronto, qui a confirmé les résultats de manière indépendante.

Milena Ansari, du groupe de défense des droits des Palestiniens Addameer, a déclaré à Al Jazeera qu’Israël tentait d’expulser Hamouri depuis des années.

“Il n’y a aucune preuve contre lui concernant ses récentes détentions et les Israéliens ont ignoré le travail de défense des droits de l’homme dans lequel il est impliqué depuis des années en tant qu’avocat qualifié”,

a déclaré Ansari.

Hamouri a reconnu que sa vie serait plus facile s’il quittait la Palestine pour vivre en France avec sa famille, mais il a déclaré que ce n’était pas une option.

“Pour moi, il ne s’agit pas de partir. J’épuiserai toutes les possibilités pour continuer à vivre à Jérusalem, ce qui est mon droit”,

a-t-il déclaré.

“Je suis né à Jérusalem, j’ai grandi à Jérusalem, mes souvenirs sont là, ma vie est là. C’est mon droit de vivre à Jérusalem et je continuerai à me battre pour ce droit même si je sais que la route est longue et difficile.”

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Publié le 21 novembre 2021 sur Al Jazeera
Traduction : Chronique de Palestine

Lisez également cet article de Salah Hamouri, “Israël ou le harcèlement d’Etat”, publié sur Médiapart le 30 novembre 2021 :

J’avais 16 ans lorsque les autorités israéliennes m’ont emprisonné pour la première fois. Ce n’était que le début d’un long chemin tracé par une occupation militaire qui, en me condamnant sans preuves, a jeté l’opprobre sur moi. Du mur d’apartheid jusqu’aux logiciels espion en passant par la criminalisation des ONG, Israël exporte son modèle autoritaire testé sur nous. Cette impunité doit cesser.

En 2001, les autorités israéliennes m’ont arrêté pour la première fois et emprisonné pendant près de six mois, sans preuves. J’avais 16 ans. Je ne savais pas, alors, que c’était le début d’un harcèlement d’État, un long chemin parsemé d’épreuves douloureuses tracé par une occupation militaire qui, en me condamnant sans preuves, a jeté l’opprobre sur moi. Dès ce moment, par le simple fait d’avoir été arrêté, et de m’exprimer pour nos droits, j’ai été considéré comme suspect, sans jamais pouvoir prouver mon innocence.

En 2004, j’ai été de nouveau arrêté. Le ministre de la Défense de l’époque a fait de moi le plus jeune détenu « administratif » de Jérusalem. La détention administrative est une procédure arbitraire, prise sur ordre militaire et sans mise en accusation, qui peut être renouvelée pendant des années et est utilisée comme instrument de contrôle massif. Plus de 60% des hommes palestiniens passent par les geôles israéliennes.

En 2005, j’ai été encore arrêté et cette fois-ci, maintenu en prison. J’avais 20 ans. Accusé d’avoir fomenté un projet d’attentat, le tribunal militaire qui m’a jugé n’a jamais produit de preuves que j’aurais pu contester.

Cette incarcération fut un tournant décisif dans mon parcours. La prison, que j’ai connu si jeune, m’a fait grandir trop tôt, et durablement marqué.

Condamné sans preuves, j’ai dû faire en 2008 le choix le plus difficile de ma vie : être déporté en France pour 15 ans, et prendre le risque de ne jamais pouvoir revenir sur la terre qui m’a vu naître, ou négocier une procédure de marchandage en plaidant coupable. J’ai choisi la deuxième option, qui m’a imposé sept ans d’emprisonnement. Non parce que j’aime être enfermé entre quatre murs, mais que j’ai compris que notre combat se fait également en restant présent sur notre terre.

En 2011, à ma sortie de prison, j’ai décidé d’étudier le droit et devenir avocat car même si on ne peut pas obtenir justice dans les tribunaux israéliens, j’ai compris que la cause des prisonniers politiques palestiniens doit être défendue partout dans le monde, et avant tout pour mes amis restés en prison.

Le harcèlement d’État a continué. En 2016, les autorités israéliennes ont expulsé ma femme Elsa, citoyenne française, alors enceinte de 7 mois, et l’ont interdite de territoire. Ma famille est utilisée comme un moyen de pression inhumain. Aujourd’hui encore, je suis contraint de vivre loin de ma femme et mes deux jeunes enfants.

En 2017, j’ai à nouveau été placé en détention administrative. Toujours sans preuves, j’ai été accusé d’appartenir au FPLP (une organisation politique d’extrême-gauche considérée comme terroriste par Israël, les États-Unis et l’Union Européenne). Je ne suis sorti qu’au bout de treize mois, en 2018.

Devenu avocat pour Addameer, une ONG palestinienne de défense des prisonniers, j’ai été à nouveau arrêté un mois plus tard, alors que j’allais me faire tester au Coronavirus.

Le 18 octobre dernier, le ministère de l’Intérieur m’a notifié de mon expulsion et du retrait pur et simple de ma carte d’identité de Jérusalémite, signifiant ainsi ma possible déportation à tout moment, et ceci en utilisant de nouveau des méthodes de criminalisation dictatoriales de « violation de l’allégeance à l’État d’Israël ».

Tous les Palestiniens de Jérusalem, ne sommes considérés que comme des étrangers dans notre propre ville, annexée, « résidents » et sans citoyenneté. De la construction du mur aux lois racistes qui discriminent le droit à la propriété ou à la construction aux populations non-juives, nous , mes amis de l’autre côté du mur à Sheikh Jarrah et Silwan, luttons contre des plans d’expulsion massive.

Le lendemain, 19 octobre, les autorités israéliennes ont criminalisé six organisations de la société civile palestiniennes, dont Addameer, en les classifiant comme « groupes terroristes », après plusieurs années de campagnes de harcèlement et diffamation internationales en vain contre ces organisations. Quand on demande les preuves, les juges rétorquent : « Secret-défense. »

La semaine d’avant, plusieurs membres de ces organisations, moi y compris, avions fait analyser nos téléphones. Ils avaient été piratés par le logiciel-espion Pegasus, développé par la compagnie israélienne NSO. Ce logiciel a été utilisé pour surveiller – parfois menant à leur mort – des opposants, des journalistes ou des activistes des droits de l’homme, comme Israël le fait tous les jours, depuis toujours.

Le harcèlement d’État mené aujourd’hui contre les organisations palestiniennes, mes camarades défenseurs des droits et moi n’est que la suite de politiques d’un régime qui tente d’écraser à tout prix la volonté de liberté de notre peuple, et toute résistance au régime colonial et d’apartheid mis en place depuis 1948 qui, en attendant avance la colonisation sans relâche. Que ce soit Ariel Sharon, Ehud Barak, Benyamin Nétanyahou ou Yair Lapid aujourd’hui, il y a un consensus pour mettre en œuvre le mythe raciste développé par le mouvement Sioniste : « Une terre sans peuple, pour un peuple sans terre. »

Du mur d’apartheid jusqu’aux drones en passant par les logiciels espion et la reconnaissance faciale, le régime israélien contrôle nos moindre faits et gestes. Ce modèle d’autoritarisme sécuritaire testé sur nous, les Palestiniens, de manière massive, est ensuite exporté, y compris en France, et promu comme une avant-garde plutôt qu’un sérieux danger pour tout État de droit portant des valeurs démocratiques.  Aujourd’hui, considéré comme suspect, coupable et criminel, privé de mes droits et de la capacité de me défendre, je me sens cerné et ne sais pas de quoi demain sera fait.

En attendant, l’Union Européenne, les pays arabes, l’Angleterre et la France continuent d’accueillir les gouvernements Israéliens à bras ouverts, et signent divers accords de coopération militaires et technologiques.

Tant que la France et les autres membres de la communauté internationale perpétueront l’impunité israélienne et le mythe qu’Israël partage nos valeurs, notre vie continuera d’être une épreuve continuelle où nous ne pourrons construire un futur meilleur

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