« Rester humain à Gaza » (Vittorio Arrigone)
Le journal de bord de Vittorio Arrigoni pendant le massacre génocidaire de Gaza
Vittorio, arrivé à Gaza en tant que bénévole d’ISM ( International Solidarity Movement) est resté à Gaza lorsqu’en 2008 l’armée israélienne l’a transformé en un grand Guernica.
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« Mes motivations personnelles de ne pas m’en aller, ce sont mes amis, en me demandant de ne pas les abandonner, qui me les ont fournies. Ceux, toujours en vie, mais aussi ceux, déjà morts, qui peuplent à présent comme des fantômes mes nuits sans sommeil. Leurs visages évanescents continuent à m’adresser leurs sourires. » (3 janvier 2009)
En tant que collaborateur du quotidien italien Il Manifiesto, il rend compte jour après jour du massacre génocidaire. « Gaza, où chaque heure est devenue un 11 septembre. »
En tant que militant ISM, il se met au service des équipes palestiniennes d’aide urgence, en accompagnant entre autres les ambulanciers en compagnie de son ami Alberto Arce, auteur du film « To Shoot an Elephant » (Tuer un éléphant).
« Je fus chaque jour le témoin oculaire des bombardements sur des mosquées, des écoles, des universités, des hôpitaux, des marchés et des dizaines d’habitations privées. »
« Il n’existe pas d’opérations militaires de précision ‘chirurgicale’ : quand l’armée de l’air et les avions de la marine entrent en action, les uniques opérations chirurgicales sont celles des médecins qui vont amputer les membres déchiquetés des victimes sans le temps de réflexion, même si bras et jambes pourraient souvent être sauvés. Par manque de temps, tout étant fait dans l’urgence, le traitement nécessaire à un membre gravement touché pourrait signifier la condamnation à mort pour le prochain blessé attendant une transfusion. »(30 décembre 2008)
Vittorio décrit l’énorme courage de tous les Palestiniens de Gaza, en particulier des équipes médicales.
« L’armée israélienne continue de prendre les ambulances pour cibles. Après la mort du médecin et de l’aide-soignant il y a quatre jours à Jabalia, ce fut le tour hier de notre ami Arafa Abed Al-Dayem, qui s’en va, laissant quatre orphelins. Hier, vers 8 h 30 du matin, nous reçûmes un appel de Gaza-ville : deux civils avaient été abattus par des tirs de mitrailleuses provenant d’un blindé. Une de nos ambulances du Croissant-Rouge se mit immédiatement en route. Arafa et un aide-soignant portèrent les deux blessés jusqu’à la voiture et fermèrent les portières pour repartir aussi vite que possible vers l’hôpital, lorsqu’un obus tiré par un char les atteignit de plein fouet. L’un des deux blessés fut décapité et notre ami tué sur le coup. Arafa, qui était instituteur, s’était proposé comme aide médical bénévole dès que le besoin s’en était fait sentir. Sous les obus qui pleuvaient et dans une situation aussi risquée, personne n’avait osé le rappeler. Arafa était venu de lui-même et travaillait en étant pleinement conscient des risques encourus, persuadé – qu’en dehors de sa famille – il existait d’autres personnes à défendre et à aider. Il nous manque par ses plaisanteries, son sens de l’humour irrésistible et communicatif qui lui permettait d’affronter le côté dramatique des situations les plus déprimantes. » (5 janvier)
Il donne la parole aux survivants, tel Ahmed Jaber.
« Deux obus sur la maison d’Ahmed Jaber ont provoqué la fuite de sa famille, mais trop tard : une troisième explosion a enseveli sous les décombres sept membres de la famille ainsi que deux enfants du voisinage âgés de huit et neuf ans. Il déclare : « Ils nous ont renvoyés à notre situation d’expulsés de 1948. C’est notre punition, parce que nous sommes restés fidèles à notre terre. Ils peuvent bien m’arracher bras et jambes du corps, ils ne réussiront pas me faire déguerpir de ma terre ». Un médecin me prend à part pour me confier que la fillette de 7 ans d’Ahmed a été déposée en menus morceaux rassemblés dans un petit carton. On n’avait pas eu le courage de le lui annoncer afin de ne pas aggraver son état de santé précaire.… » (15 janvier)
Vittorio relate ainsi le sort d’une famille après l’autre. Il décrit la mort des enfants (« Ces petits anges, déchiquetés et amputés, récoltés avant la première floraison… »), les scènes atroces quand les ambulances ont obtenu l’autorisation d’accès vers le lieu du massacre seulement 24 h après l’attaque israélienne. « Dans une des maisons il y avait quatre petits enfants à côté du corps sans vie de leur mère. Ils étaient trop affaiblis pour se tenir debout. Un autre homme fut également trouvé encore en vie, lui aussi trop faible pour tenir sur ses jambes. Nous trouvâmes en tout douze corps allongés sur des matelas », les chiens errants qui dévorent les restes des cadavres en décomposition dans les rues, les conséquences des obus au phosphore blanc et autres armes illégales. « On voyait débarquer dans les hôpitaux palestiniens des cadavres sans yeux, comme si quelqu’un les avait prélevés chirurgicalement chez le médecin légiste avant leur arrivée. »
Aujourd’hui, Vittorio, la mémoire vivante du massacre, n’est plus. Brutalement exécuté le 15 avril 2011, son témoignage persistera à travers son livre.
A nous de le lire, de le relire, de le mémoriser, de le partager, de le raconter, de le diffuser…
Gaza, on n’oublie pas.
Rester Humain à Gaza
Vittorio Arrigoni, préface d’Ilan Pappe
Edition : Scribest 2010 – 143 pages
Prix : 13,50 €
Après la mort de Vittorio, l’édition SCRIBEST annonce qu’en accord avec la librairie Résistances à Paris, les bénéfices sur les ventes du livre seront reversés à ISM et à la famille de Vittorio Arrigoni
Pour commander le livre : info@librairie-resistances.com