Après Auschwitz : Poèmes écrit par Charles Ducal après l’offensive militaire israélienne contre Gaza en 2009

 

 

 

Charles Ducal

« Car je livrerai entre vos mains les habitants du pays, et tu les chasseras devant toi » (Exode, 23.31)

Tel-Aviv 1948 – 2008

L’ ablation de la mémoire
se fait avec un couteau de fête.
Ensuite, pansée de proverbes,
la tête est placée sur la table,

odeur doucereuse dans un bourdonnement
de tchatche et de questions embarrassantes.
La tête n’a pas de réponse, elle dit
ce qui est juste, vu les histoires

ensevelies sous vingt siècles.
Il ne s’agit que de les déterrer,
leur vitalité colle exactement à l’endroit.
Ce qui s’y trouvait a été karcherisé

hors de la langue, qui est propre et nette.
A-t-on un jour chassé des gens,
ici, où le bonheur tombe du ciel ?
C’est l’heure, maintenant, l’heure de la fête.

Les moustiques bourdonnent, mais

qu’importe.

Nakba

En une quelconque année
dans un village quelconque
apparaît, une nuit, la violence.

Elle vient de la main de Dieu lui-même,
elle pulvérise et chasse.
Une promesse qui s’accomplit.

On pose des mines dans les décombres…
pour ne pas que, là, les chiens…
Puis l’action de grâce.

Et, ainsi, quatre cents fois.

Puis vient la vérité
et elle vient se poser juste là
entre le village et le campement.

Elle se tient là à la bonne distance,
pas un réfugié ne va plus loin.

Dans la nouvelle école,
on chante et on danse.

Sous les regards fiers des papas,
le fusil à la main.

 

Un poète à Sderot* ?

La poésie n’est pas coupable des mots
que l’on tend comme des barbelés.
Ces mots servent la sécurité, le contrôle.
Ils s’ajustent au signifié issu

de la frontière née entre nous
et l’extérieur. Une bête se faufile
en notre sommeil comme un mulot en nos jardins,
en quête de mots qui n’existent plus.

Abu Shusha, Najd, Balad al-Shaykh,
Lubya, Kirbat Al-Shuna, Wa’rat al-Sarris.

Il ne peut alors être maîtrisé dans cette langue
où il est enfermé comme un danger
qu’il faut exhaler par tous ses pores.

La poésie est là tout près, poussant un peu le trait
et traduisant à nouveau l’animal en homme.

(*) avant : Najd

 

Paire de lunettes

Ici aussi, la vérité est au milieu.
Comme toujours. Oui, comme toujours.
Autant de tort exactement pour celui qui attaque
que pour celui qui se défend. Celui qui

franchit la frontière voit parfois une différence
et pense : un peu moins, quand même, mais il voit alors
quelqu’un balancer une pierre de l’autre côté
et, là aussi, un enfant pleure.

Loin de la vérité gisent les lunettes
d’un visage martelé et mis en pièces.
Ce qu’elles voyaient s’est comme anéanti
en un trou, une page blanche, un chaînon manquant.

Loin de la vérité ne coule pas d’encre.

 

Après Auschwitz 1

Quand j’ai appris que la maison où j’habitais
avait été volée, j’ai demandé aux autorités qui
en était le propriétaire. On m’a dit : tu as la tête pleine de cendre,
tu es faible encore, tu n’as pas idée de la lutte.

Quand j’ai appris que le propriétaire était en vie
et qu’il avait la clef dans sa veste, j’ai renvoyé
le serrurier. Il est allé trouver les autorités.
Ensuite, on a adapté la serrure.

Parfois, les jours où tout le monde priait et commémorait,
les compagnons d’infortune s’agitaient en mon esprit.
Sous la cendre couvait, faible encore, une intuition.
Mais le propriétaire n’est pas venu. Lentement, il a disparu.

 

Après Auschwitz 2

Auschwitz aussi était d’une normalité mortelle, bien sûr.
Ceux qui ont survécu sont venus dans ce village,
un peu méprisés, mais utilisables,
et ils ont reçu un monument pour extraire

de l’histoire le transport vers les camps
et en faire la pierre à aiguiser d’un peuple.
Ce fut la pire atrocité de tous les temps, bien sûr,
mais, de la sorte, exclusivement, la propriété

de la souffrance fut muée en propriété du sol.
Qui habitait dans cette rue, dans cette maison ?
Qui puisait de l’eau à cette source ?
Qui sur ce marché déballait sa marchandise ?

Qui doute qu’Auschwitz ait vraiment existé ?


Poèmes écrit par Charles Ducal après l’offensive militaire israélienne contre Gaza en 2009.

Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

Source : « Gaza. Geschiedenis van de Palestijnse tragedie »
Lucas Catherine & Charles Ducal. (Editions EPO, 2009)

Charles Ducal, auteur des poèmes "Après Auschwitz"

Charles Ducal

Charles Ducal est un poète flamand. Il a  écrit plusieurs recueils de poèmes, dont  « In inkt gewassen » qui a été couronné par le prix Herman de Coninck en 2007. Co-auteur du livre « Rendez-vous à Bagdad », publié chez EPO en 1994

 

 

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