J’étais censé parler des enfants palestiniens aux Nations unies. Israël m’en a empêché

Brad Parker : La Belgique a cédé aux pressions israéliennes en vue d’annuler mon invitation au Conseil de sécurité. Ce faisant, elle a contribué à saper les droits humains des enfants palestiniens.

Fadi Ibrahim Abu Khusa (4ans) montre les photos de ses frère et sœur tués, Shahed (9 ans) et Mohammed (2 ans) dans leur maison au village de Zawaida, dans le centre de la bande de Gaza, le 24 février 2015. Les deux enfants avaient été tués en compagnie de leurs parents, Ibrahim et Sabreen, et de quatre autres membres de leur famille, lors d’une attaque israélienne contre leur maison, le 30 juillet 2014. Une semaine plus tôt, Ibrahim et Sabreen avaient aménagé au domicile du père de Sabreen en pensant qu’ils y auraient été plus en sécurité. (Photo : Anne Paq / Activestills.org)

La semaine dernière, le gouvernement belge a cédé aux intenses pressions du gouvernement israélien et a effectivement anulé mon invitation à donner, aujourd’hui, 24 février, un briefing devant le Conseil de sécurité des Nations unies à New York.

Ironiquement, la décision d’exclure ma voix en tant que représentant de Defense for Children International – Palestine (DCI-P), une organisation des droits humains palestiniens, exemplifie et renforce le message que je m’étais préparé à délivrer devant le Conseil.

La Mission permanente belge à l’ONU m’avait invité en janvier dernier à donner un briefing aux membres du Conseil de sécurité à propos des violations des droits des enfants en Israël et dans les territoiress palestiniens occupés.

La Belgique, qui occupe la présidence tournante du Conseil de sécurité durant tout le mois de février, est l’un des pays de pointe de l’agenda mondial de l’ONU concernant les enfants et les conflits armés et, en tant que telle, elle voulait mettre en lumière ces thèmes spécifiques au cours de la réunion mensuelle du Conseil à propos du Moyen-Orient et de la question palestinienne. Les Belges avaient écrit dans leur invitation que cette discussion ciblée allait contribuer à « enrichir le débat » sur la question palestinienne.

J’avais accepté avec joie. Le fait que la Belgique voulait inviter une organisation locales des droits humains palestiniens comme DCI-P pour donner un briefing au Conseil était louable, puisque l’espace de la société civile à l’ONU diminue régulièrement depuis des années. Alors que les Belges m’avaient instamment invité à rester « équilibré » dans ma déclaration (que j’avais partagée avec eux pour un feedback), ils comprenaient que les enfants palestiniens portaient de façon écrasante et disproportionnée le poids des sortes de violations qu’ils cherchaient à mettre en lumière.

C’est alors que les ennuis ont commencé.

Le Conseil de sécurité de l’ONU, 18 décembre 2015. (Photo : Organisation des Nations unies)

Dès que les diplomates israéliens ont été informés de ma venue, Emmanuel Nahshon, l’ambassadeur d’Israël en Belgique et au Luxembourg, a demandé à plusieurs reprises au gouvernement belge, début février, d’annuler l’invitation.

Le ministère israélien des Affaires étrangères a convoqué l’ambassadeur adjoint de la Belgique en Israël, Pascal Buffin, en deux occasions distinctes afin de s’opposer officiellement à l’invitation. Dans un premier temps, ces requêtes ont été rejetées.

Les responsables politiques et les organisations d’extrême droite d’Israël, comme l’ONG Monitor, et leurs affiliés ont ensuite monté une campagne de désinformation politique et médiatique bien orchestrée afin de pousser les Belgique à capituler.

Enfin, voici quatre jours, j’ai reçu un coup de fil matinal m’informant que Bruxelles avait décidé de modifier la réunion publique du Conseil de sécurité et d’en faire une réunion à huis clos – ce qui signifiait que je ne pourrais tout simplement pas y participer.

Des campagnes de diffamation ciblées

L’acceptation par la Belgique des exigences d’Israël est un contrecoup frustrant et dévastateur. Non seulement, il s’agit d’un acte honteux de censure, mais en outre il donne un sérieux coup de pouce aux longs efforts en vue de délégitimer le travail des droits de l’homme et les éléments fondamentaux des lois internationales une fois qu’il s’agit des Palestiniens.

Ces quinze derniers jours, j’ai été faussement traité d’« activiste anti-israélien extrémiste » et de « petit propagandiste américain », et même de « partisan du terrorisme » et de « terroriste diplomatique ».

L’ambassadeur d’Israël aux Nations unies, Danny Danon, a même adressé au secrétaire général Antonio Gutteres une lettre dans laquelle il qualifiait DCI-P de « bras du FPLP (Font populaire de libération de la Palestine) en vue de soumettre Israël à un terrorisme diplomatique », et il ajoutait : « Un espace qui prône la paix et la sécurité dans le monde n’a pas de place pour des gens comme Parker. ».

7 juin 2017. L’ambassadeur d’Israël à l’ONU, Danny Danon, au cours d’une rencontre de l’ambassadeur des États-Unis à l’ONU, Nicky Haley, et du président Reuven Rivlin à la résidence de ce dernier à Jérusalem. (Photo : Yonatan Sindel/Flash90)

DCI-P et d’autres organisations de la société civile en Palestine et en Israël ont été de plus en plus ciblées et attaquées par des hauts responsables israéliens, par des ministères du gouvernement et par un réseau de plus en plus étoffé de forces sociales d’extrême droite et nationalistes en Israël, aux États-Unis, au Royaume-Uni et un peu partout en Europe.

Une stratégie clé de ces forces consiste à lancer des campagnes de diffamation ciblées et organisées, s’appuyant sur toute une série d’allégations qui tentent de nous mettre à dos les législations nationales du contre-terrorisme dans le but de saboter notre travail.

En ce qui concerne DCI-P en particulier, des responsables comme l’ambassadeur Danny Danon, le ministère israélien des Affaires stratégiques, l’ONG Monitor et les Avocats du Royaume-Uni en faveur d’Israël (UK Lawyers for Israel – UKLFI) prétendent que nous soutenons et encourageons des actes terroristes.

Ils prétendent de façon très vague que la direction et les membres de l’équipe de DCI-P sont « affiliés », « liés » ou ont des « liens supposés » avec le FPLP.

Pourtant, aucune preuve n’est présentée sur la façon dont le travail de DCI-P – nos recherches sur le terrain, notre documentation, nos services juridiques et nos avocats – est impliqué d’une façon ou d’une autre dans le soutien à des actes terroristes.

De plus, aucun procès ni aucune condamnation n’ont été initiés par les autorités israéliennes à l’encontre de la direction et des membres de l’équipe de DCI-P sur base de telles accusations durant la période passée au sein de l’organisation.

Plutôt que d’exiger que les autorités israéliennes cessent de tuer illégalement et à balles réelles des enfants palestiniens qui protestent à Gaza, ou qu’elles cessent de maltraiter et de torturer les enfants palestiniens qu’elles arrêtent, ou d’exiger que ces mêmes autorités demandent des comptes aux coupables de ces actes, ces acteurs diffusent de la désinformation visant à réduire au silence, à ne plus financer et à éliminer le travail légitime en faveur des droits de l’homme ainsi que toute critique à l’égard des mesures illégales d’Israël envers les Palestiniens.

Et, malheureusement – sciemment ou involontairement –, des gouvernements comme celui de la Belgique les aident en ce sens.

Non repris sur la liste noire des Nations unies

Ainsi donc, si la Belgique n’avait pas cédé aux pressions, qu’est-ce que le gouvernement israélien ne voulait pas que je confie aujourd’hui au Conseil de sécurité de l’ONU ?

14 juillet 2014. Shayma Al-Masri, une petite Palestinienne de 4 ans, blessée au cours d’une frappe aérienne israélienne qui a tué sa mère et deux de ses frères et soeurs, est couchée avec sa poupée au moment où elle reçoit des soins cliniques à Gaza. (Photo : Emad Nassar/Flash90)

Pour commencer, en utilisant des informations ayant été très sérieusement vérifiées par les Nations unies, j’aurais expliqué comment les enfants palestiniens sont affectés hors proportion affectés par le conflit armé mené par les forces israéliennes. Secundo, j’aurais mis en lumière la façon dont l’incapacité permanente du secrétaire général des Nations unies à demander des comptes à Israël a fait le jeu de l’impunité pour chacune de ces violations graves à l’encontre des enfants.

La déclaration que je prévoyais proposait une solution. Chaque année, le secrétaire général de l’ONU soumet un rapport au Conseil de sécurité dans lequel est détaillée la situation des droits des enfants dans les conflits armés, y compris en Israël et dans l’État de Palestine.

La Résolution 1612 du Conseil de sécurité, adoptée en 2005, a établi officiellement un contrôle et un mécanisme de rapport – dirigés par l’ONU et reposant sur des preuves – concernant les violations graves à l’encontre des enfants lors d’un conflit armé. Les six formes de violations comprennent le meurtre et la mutilation, le recrutement des enfants, la violence sexuelle, les attaques contre des écoles ou des hôpitaux, le refus de l’aide humanitaire aux enfants et l’enlèvement d’enfants.

Là où l’on découvre que des forces ou groupes armés commettent de telles violations à l’encontre des enfants, le secrétaire général est obligé de les répertorier en annexe de son rapport annuel. Cette liste a été baptisée « liste noire » ou « liste de la honte » de l’ONU concernant les droits des enfants.

Durant la dernière décennie, le mécanisme s’est avéré un outil efficace pour étayer les protections des enfants durant les conflits armés. Mais, en dépit des rapports persistants des agences des Nations unies, tels l’UNICEF et des groupes locaux comme DCI-P, aussi bien Gutteres que son prédécesseur Ban Ki-moon ont refusé de faire figurer les forces armées israéliennes sur cette liste noire.

22 février 2019. Le secrétaire général António Guterres au cours de la conférence de presse sur le thème de la violence contre les femmes durant les conflits. (Photo : ONU/Jean Marc Ferré)

Ceci, en dépit du fait que Ban Ki-moon, par exemple, faisait remarquer dans son rapport de 2014 qu’il y avait eu une « augmentation importante du nombre d’enfants tués et blessés, particulièrement à Gaza », avec au moins 557 enfants palestiniens et 4 enfants israéliens tués, et 4 249 enfants palestiniens et 2121 enfants israéliens blessés.

Alors qu’il exprimait sa profonde inquiétude à propos des « proportions sans précédent et inacceptables » des destructions et des maux provoqués par l’opération militaire israélienne cette année, il avait encore négligé de faire figurer les forces israéliennes dans l’annexe de son rapport. À plusieurs reprises, il avait cédé aux importantes pressions émanant des États-Unis et Israël.

Défendre les lois internationales

La décision de Ban Ki-moon et le maintien de cette décision par Guterres ont tranformé efficacement un puissant mécanisme de responsabilisation en un processus politisé dans lequel des gouvernements puissants peuvent se soustraire à de minutieux examens et aux règles des lois internationales.

Comme je l’ai écrit dans la déclaration que je prévoyais de faire au Conseil de sécurité, l’absence d’Israël de la liste noire lui confère surtout « l’approbation tacite de continuer à commettre impunément de graves infractions aux lois internationales. Aujourd’hui, nous sommes toujours confrontés à l’impact de cette décision. »

12 octobre 2015, camp de réfugiés de Jalazoun, près de Ramallah, Cisjordanie occupée. Des personnes endeuillées portent la dépouille de l’adolescent palestinien de 13 ans, Ahmed Sharaka, tué par les troupes israéliennes après avoir été touché à la tête par une balle de métal enrobée de caoutchouc. (Photo : Flash90)

Aujourd’hui, j’avais espéré réaffirmer un message transmis au Conseil en 2018 par Hagai El-Ad, directeur exécutif de l’organisation des droits de l’homme B’Tselem : un ordre international s’appuyant sur des règles ne se défendra pas de lui-même.

Si l’on veut que l’agenda de l’ONU concernant les enfants et les conflits armés reste pertinent et crédible, il est impératif que le processus de répertoriage ne fasse pas une exception d’Israël malgré ses graves violations. D’année en année, les enfants palestiniens doivent être confrontés aux échecs combinés de ces décideurs politiques et, sans responsaibilisation, ces violations continueront à laisser des traînées de sang d’une année à l’autre.

Au vu des attaques et des campagnes contre les défenseurs des droits humains et la société civile palestiniens, les actions de la Belgique sont entièrement irresponsables. Quand un champion supposé de ces valeurs vous met en évidence en sachant très bien que cela pourrait vous valoir d’être pris pour cible, il est décourageant de le voir céder à de telles pressions. Ce manque de volonté politique ne fait que garantir que l’impunité systémique restera la norme, en ce qui concerne les enfants palestiniens.

Brad Parker est l’un des principaux conseillers politiques et avocats travaillant pour Defense for Children International – Palestine. Vous pouvez le suivre sur @baparkr.


Publié le 24 février 2020 sur 972 Magazine
Traduction : Jean-Marie Flémal

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BACBI : « Nous avons honte d’être belges »

Brad Parker, juriste et défenseur des droits des enfants palestiniens

 

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