Les EU organisent l’évasion par hélico du bourreau de Khiam

Ali Abunimah, 20 mars 2020

Ce qui reste de la prison de Khiam après son bombardement par Israël en 2006. C’est là qu’Israël et ses collaborateurs torturaient les prisonniers durant l’occupation du Sud-Liban qui prit fin de mai 2000. (Photo : ONU)

Le ministre des Affaires étrangères des États-Unis, Mike Pompeo, accueille un homme accusé de tortures et d’assassinats sur le sol américain.

« Le citoyen américain Amer Fakhoury, détenu au Liban depuis septembre, rentre aux États-Unis où il retrouvera sa famille et recevra un traitement médial urgent »,

a annoncé Pompeo ce jeudi.

« Son retour est accueilli avec soulagement par ceux que cette affaire a gravement préoccupés. Nous sommes soulagés d’être à même d’accueillir son retour chez lui. »

Cette déclaration perverse ne fait nullement mention de la raison pour laquelle Fakhoury a été détenu au Liban – comme s’il avait été victime de quelque injustice grave.

Fakhoury a « travaillé » à la tristement célèbre prison de Khiam, qui a servi dans le Sud-Liban occupé par Israël depuis 1985 jusqu’au moment où, en mai 2000, les forces de la résistance libanaise ont chassé l’armée israélienne et sa milice de collaborateurs, l’Armée du Sud-Liban.

Israël a occupé le Sud-Liban depuis 1978 et a monté une invasion à grande échelle en 1982, quand son armée a tué des dizaines de milliers de personnes et a assiégé puis occupé Beyrouth.

Toutefois, un juge militaire libanais a ordonné la libération de Fakhoury cette semaine, arguant du fait que trop de temps s’était écoulé depuis ses crimes supposés.

Le Ministère public libanais est allé en appel contre la libération mais, avant le démarrage de toute autre procédure, les États-Unis ont prestement extrait Fakhoury de leur ambassade en recourant à un hélicoptère.

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« Nous sommes très reconnaissants au gouvernement libanais d’avoir travaillé avec nous et nous sommes très fiers de sa famille »,

a déclaré le président Donald Trump jeudi.

L’incapacité du Liban à empêcher l’opération de l’enlèvement de Fakhoury par les Américains est perçue par certains comme un signe de la faiblesse et de la complicité de l’État.

Au beau milieu de l’indignation de plus en plus forte provoquée par la soustraction de Fakhoury à la justice, le haut responsable du tribunal militaire libanais a démissionné vendredi.

On rapporte que le ministre libanais des Affaires étrangères a convoqué l’ambassadrice des États-Unis et lui demandé d’expliquer

« les circonstances du transfert à l’étranger d’Amer Fakhoury à partir de l’ambassade des États-Unis ».

Dans un discours télévisé transmis vendredi soir, Hasan Nasrallah, le chef du Hezbollah, a nié qu’il y ait eu le moindre accord de libération de Fakhoury, en dépit des énormes pressions exercées par les États-Unis sur le gouvernement libanais.

Le Hezbollah, qui participe au gouvernement, a déclaré que les États-Unis avaient menacé de placer les dirigeants libanais sur une liste noire et de bloquer toute aide militaire au pays si Fakhoury n’était pas libéré.

Nasrallah a déclaré que le Hezbollah n’avait aucune connaissance préalable de la libération et il a réclamé une enquête sur ce qui s’était passé.

Tortures et assassinats

L’arrestation de Fakhoury en septembre, après son retour au Liban, a éveillé un espoir de justice chez les familles d’un grand nombre de ses victimes supposées. Aujourd’hui, cet espoir s’avère anéanti.

L’une de ces personnes s’appelle Ola Hamzeh.

Le père de cette dame, Ali Abdallah Hamzeh, a passé en mars 1986 les derniers jours de son existence attaché à un piquet à Khiam,

« qui allait finalement devenir, en raison des tortures et des mauvais traitements qu’on y infligeait, le centre de détention le plus tristement célèbre du Sud-Liban à l’époque occupé par Israël »,

rapportait Middle East Eye en septembre.

« Il avait 42 ans, était père de trois enfants, était enseignant dans une école locale, dans le village de Jmayjmeh, au Sud-Liban. »

Selon d’anciens détenus, Hamzeh est mort quinze jours après avoir été enlevé. L’Armée du Sud-Liban n’a jamais restitué son corps à sa famille.

D’anciens détenus encore expliquent que c’était Fakhoury qui commandait la prison à l’époque où les conditions y étaient les pires, particulièrement entre 1986 et 1995, commente Middle East Eye.

Pendant de nombreuses années, Amnesty International a publié des documents sur les méthodes de torture de la prison, parlant entre autres de

« cagoules crasseuses, interrogatoires sans répit entrecoupés de tabassages, suspensions répétées à un poteau électrique, aspersions d’eau, électrochocs ».

L’association des droits de l’homme faisait remarquer que nombre de prisonniers avaient d’abord été emmenés en Israël à des fins d’interrogatoire et, ensuite, renvoyés à Khiam, ou vice-versa.

Bien des détenus n’étaient en fait que des civils pris en otages par les Israéliens afin d’être utilisés comme monnais d’échange lors des négociations avec les organisations de résistance, dont le Hezbollah.

La libération

Cette horreur s’est terminée les 23 et 24 mai 2000. Des témoins ont expliqué à l’adresse des enquêteurs d’Amnesty que

« très soudainement, vers midi le 23 mai, ç’a été la libération dramatique ».

« Pas un seul gardien ne s’est amené avec les clés des cellules, ils s’étaient en fait enfuis de la prison pour rejoindre d’autres membres [de l’Armée du Sud-Liban] affluant vers la frontière pour chercher refuge en Israël, puique les troupes israéliennes elles-mêmes faisaient pareil. »

Les habitants de la ville de Khiam,

« agissant dans l’effervescence suscitée par le retrait précipité et confus des Israéliens, se sont rendus au centre de détention pour exiger la libération des prisonniers ».

Parmi les gens qui fuyaient vers Israël se trouvait Fakhoury.

Finalement, il fit son chemin vers les États-Unis où, en dépit – ou peut-être à cause – de son rôle supposé dans les crimes contre les droits humains, il obtint la citoyenneté [américaine].

J’ai visité la prison de Khiam fin juin 2000. C’était quelques semaines à peine après la défaite israélienne.

L’ambiance dans le sud était toujours jubilatoire dans chaque ville et chaque village que nous avons visité – je me trouvais en compagnie de plusieurs personnes qui étaient également venues au Liban pour assister à Beyrouth à une conférence de l’Association américaine des diplômés universitaires (American Association of University Graduates).

Des gens venus des quatre coins du Liban affluaient vers les territoires nouvellement libérés, et nombre d’entre eux posaient les yeux pour la toute première fois sur une partie étonamment montagneuse et accidentée de leur pays.

Les habitants du sud, dont pas mal étaient revenus récemment de Beyrouth, où ils avaient vécu comme personnes déplacées, nous ont accueillis dans la joie.

Sur les places publiques, étaient étalés des équipements militaires israéliens, détruits ou confisqués, bordés de drapeaux du Liban et de la résistance.

L’épisode de plus mémorable fut notre visite à Khiam.

C’était une série de constructions peu élevées en pierre, sur une colline, bâties au départ dans les années 1930 en tant que casernement de l’armée française.

Je n’oublierai jamais mon entrée dans les cellules dortoirs – des pièces sombres et crasseuses avec des couchettes superposées, comme entassées l’une sur l’autre.

On aurait dit que les prisonniers étaient encore là ce matin-là : Vêtements et sous-vêtements étaient toujours suspendus à des fils au-dessus des lits et des notes ou des lettres personnelles étaient toujours épinglées sur les murs.

La libération de la prison avait été si soudaine que tout avait été immobilisé sur place et qu’on aurait presque dit qu’on violait en quelque sorte la vie privée des gens qui vivaient en ces lieux.

Je me souviens de la rangée des cellules de confinement solitaire – d’anciens prisonniers devenus guides depuis nous les avaient fait voir. Il y avait une cour et une rangée de solides portes métalliques. Derrière les portes, un espace de pierre, nu, d’environ un mètre sur deux.

Il était impossible de s’imaginer qu’on aurait passé ne serait-ce qu’une heure dans l’une de ces cellules, à plus forte raison des semaines, des mois ou des années.

L’une des personnes les plus célèbres qui ont été détenues dans ce genre de cage a été l’héroïne de la résistance libanaise Souha Bechara.

En 1988, à l’âge de 21 ans, Bechara avait tenté d’assassiner Antoine Lahad, le chef de la milice collaboratrice qu’était l’Armée du Sid-Liban.

Elle aussi avait été torturée. Comme elle l’a écrit dans ses mémoires (Résistante), elle avait été « jetée au sol et fouettée avec une lanière cloutée sur les jambes et les plantes des pieds », ce qui lui avait valu des douleurs insupportables. Elle avait également été soumise à la torture par l’électricité.

Bechara a passé 10 ans de sa vie à Khiam, dont six en confinement solitaire.

Elle dit aussi avoir été jetée dans « une boîte minuscule, sans matelas ni couverture ».

On lui donnait un peu de nourriture et une tasse d’eau une fois par jour.

« En théorie, ils me permettaient de me laver une fois par semaine, bien qu’il leur arrivât souvent d’oublier de m’extraire de ma cage. »

Elle a parlé de ses tortures – et de la façon dont elle et d’autres prisonniers résistaient – dans de nombreuses interviews, dont celle-ci, en 1999 :

Puis il y avait la chambre de torture aux chocs électriques.

Je m’en souviens comme d’une construction en brique, d’un seul étage, avec de fins fils électriques tendus le long du plafond et des murs pour former une sorte d’appareil ressemblant aux câbles dont on se sert pour faire démarrer une voiture.

Tout cela avait l’air d’avoir été grossièrement bricolé mais, d’après nos guides, c’était un endroit où les Israéliens et les traîtres qui collaboraient avec eux infligeaint des souffrances et des douleurs horribles.

Au cours de l’invasion du Liban, en 2006, Israël a bombardé la prison de Khiam dans une tentative de détruire un monument et un mémorial de ses crimes – bien que les survivants contiuent à entretenir le site.

En 1999, Israël a admis ce que les survivants de la prison disaient depuis longtemps : que le personnel israélien était directement impliqué dans les interrogatoires, à Khiam.

Cet aveu, a déclaré Human Rights Watch, doit être utilisé comme faisant partie des efforts en vue de tenir

« les Libanais et les Israéliens concernés comme responsables des actes systématiques de torture qui ont été commis en cet endroit au cours des deux décennies écoulées ».

Mais, deux nouvelles décennies plus tard, Israël et ses collaborateurs continuent à jouir de l’impunité.

Et, au lieu de devoir affronter la justice, les gens impliqués dans toute cette cruauté, comme Fakhoury, sont accueillis aux États-Unis comme des héros.


Publié le 20 mars 2020 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal

Lisez aussi : Résistance et souvenirs de la prison de Khiam

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