Que signifie être une féministe palestinienne ?

Si vous m’aviez demandé voici quelques années à peine quelles étaient mes féministes préférées, je vous aurais probablement énuméré les habituelles femmes européennes ou américaines qui dominent le discours féministe typique, des femmes comme Simone de Beauvoir, Gloria Steinem ou Emma Watson.

J’avais grandi en nourrissant l’idée que le féminisme était un phénomène fondamentalement blanc et occidental.

Imaginez mon plaisir, alors, quand les mondes du féminisme arabe et du féminisme musulman se sont ouverts à moi. Ma salle de séjour allait bientôt déborder d’ouvrages rédigés par des femmes comme Fatima Mernissi, Nawal el Saadawi et Hanan Ashrawi.

Pourtant, ce mot même, féminisme, devint pour moi un point de confusion et de tension.

Souvent, mes revendications concernant l’égalité des genres se heurtaient à des attaques prétendant que j’avais été corrompue par les idées occidentales.

En effet, l’Europe (je vous vois, la France et l’Angleterre) s’étaient chargées de coloniser le Moyen-Orient sous le prétexte de « sauver les femmes », tout en pillant nos pays de leurs richesses et en détruisant le reste.

Ils déguisèrent la corruption de leurs propres cultures en richesse et en prestige, nous manipulant de façon à nous faire remettre en question et abandonner une grande partie de nos propres cultures. (Mon cœur se brise à la pensée du nombre incroyable de nos joyaux architecturaux qui ont été détruits et remplacés par des gratte-ciel stériles.) Les Européens l’ont fait en instillant leurs idéaux dans nos cultures afin de détruire le tissu même de nos sociétés et d’homogénéiser le monde en fonction des modes de vie de l’Occident. C’est cela, l’intoxication occidentale.

Ainsi donc, quand nous considérons cela aujourd’hui, et lorsque nous voulons résister aux effets toxiques de l’impérialisme et du capitalisme, il devient logique que nous rejetions souvent toutes choses perçues comme occidentales.

C’est la raison pour laquelle le féminisme est rejeté et attaqué.

Pourtant, remontez dans notre histoire et vous trouverez d’innombrables femmes du Moyen-Orient, de l’Algérie à la Palestine, qui ont préparé la voie aux droits des femmes.

Et, en effet, remontez jusqu’au prophète Mahomet lui-même, qui prêchait en faveur de l’égalité : Même à cette époque, le désir d’être respectée en tant que femme, d’avoir accès à l’égalité des chances, d’avoir son mot à dire dans la façon de mener sa vie, de participer à la politique, était déjà universel. Universel, le patriarcat l’est aussi.

Il y a peu d’endroits dans le monde qui ne soient corrompus par le patriarcat – et ces endroits ne sont certainement pas l’Amérique ou l’Europe. L’écrivaine féministe et sociologue marocaine Fatima Mernissi le dit parfaitement :

« [L’oppression des femmes] est répercutée et alimentée par les images vivaces, également dégradantes de la sexualité occidentale (…) La caractéristique frappante de la sexualité occidentale est la mutilation de l’intégrité de la femme, sa réduction à quelques pouces de chair nue dont les ombres et les contours sont photographiés à l’infini sans autre but que le profit. »

Pourtant, l’Occident s’est dépeint comme moralement supérieur tout en qualifiant le monde arabe musulman comme intrinsèquement barbare, agressif et oppressif.

Et, après plus d’un siècle de tourmente provoquée par la colonisation européenne, le Moyen-Orient se montre logiquement soupçonneux à l’égard de l’Occident qui l’a occupé et opprimé au nom du « sauvetage des femmes ».

Par conséquent, nous vivons dans un monde qui a fait paraître à tort que le monde arabe musulman et le féminisme s’excluaient mutuellement. Souvent, les féministes arabes et leur œuvre ont été rejetées par l’Occident comme une imitation de quelque chose qui, quoi qu’il en soit, n’est naturel que dans le monde euro-américain blanc.

Et, ainsi, tout cela complique grandement la situation pour les féministes du monde arabe musulman. En même temps, il nous faut combattre pour le respect et la subjectivité dans nos propres cultures tout en prouvant à l’Occident que les femmes basanées n’ont nullement besoin d’être sauvées.

Les stéréotypes présentant les hommes arabes comme des barbares font qu’il nous est difficile de dénoncer le patriarcat sans en même temps renforcer cette conception erronée.

La réalité est que le patriarcat existe partout, comme auront dû l’illustrer le mouvement Me Too et les auditions de Kavanaugh.

Ainsi donc, le fardeau de la féministe arabe musulmane est triple puisque nous luttons contre l’occupation israélienne qui pratique le blanchiment (en camouflant son propre patriarcat !) afin de justifier l’oppression des Palestiniens.

Ma perception du féminisme en Palestine, dès lors, a été modelée par une histoire de la colonisation britannique, par des stéréotypes occidentaux contemporains et par l’occupation militaire israélienne.

A mesure que je progresse sur la voie de mon travail d’activiste, je dois apprendre comment ma quête de la subjectivité, du respect et de l’égalité en tant que femme est indissociable de ces facteurs.

Je dois comprendre la complexité de ce que signifie être une femme palestinienne et réagir avec un sens égal de la nuance.

Être une féministe en Palestine, c’est vivre une guerre sur plusieurs fronts. Cela signifie également qu’il nous faut être des combattantes résilientes et infatigables.


Publié sur Babyfist Collective
Traduction : Jean-Marie Flémal

BabyFist est une coopérative de mode féministe et politique intersectionnelle installée à Ramallah, en Palestine. Après avloir débuté en tant qu’initiative s’appuyant sur la communauté visant à rassembler les gens autour d’un combat partagé, nous avons évolué vers un collectif cherchant avant tout à éclairer la nature extrêmement humaine de la mode et de la politique, et ce, avec une grande empathie et après une intense réflexion.

Alors que la mode est créative de par sa nature, Babyfist Collective est bien plus qu’une simple étiquette de mode. L’identité visuelle devrait refléter la position extrêmement unique de l’entreprise à l’intersection du féminisme, de la culture palestinienne, de la mode éthique et de la justice sociale.

BabyFist Collective défie le statu quo dans les conversations et initiatives radicales en rappelant la longue histoire de la résilience palestinienne face aux barrières institutionnelles, résilience qui nous permet de regarder vers l’avenir avec détermination. Nous sommes aussi décidés et directs que notre engagement à éclairer et, en fin de compte, défier ces barrières.

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