Des militaires prennent des travailleurs palestiniens en embuscade

Selon une procédure dissuasive, des militaires prennent des travailleurs palestiniens en embuscade, leur tirent dessus et brisent le bras d’un ado de 15 ans

Des Palestiniens, adultes et adolescents, en route pour traverser la barrière de séparation et aller travailler en Israël. (Photo : Alex Levac, 6 juin 2020)

Des Palestiniens, adultes et adolescents, en route pour traverser la barrière de séparation et aller travailler en Israël. (Photo : Alex Levac, 6 juin 2020)

18 juin 2020

Depuis le début de mai 2020, B’Tselem a enregistré cinq incidents au cours desquels des militaires attendaient des Palestiniens tentant d’entrer en Israël pour travailler et qui passaient par des ouvertures dans la barrière de sécurité, près de Far’on, un village au sud de Tulkarem.

Dans quatre des cas, les militaires ont tiré sur les travailleurs, blessant cinq d’entre eux. Dans le dernier cas, les militaires ont tabassé un jeune de 15 ans, lui brisant le bras et lui infligeant une hémorragie abdominale.

Dans la plupart des cas, les soldats ont alors soigné les blessés et une ambulance israélienne les a embarqués vers le check-point tout proche d’al-Kafriyat, où les soldats ont pris des photos des blessés et de leurs cartes d’identité. Ils ont alors été transférés dans une ambulance du Croissant Rouge, qui les a emmenés à l’hôpital de Tulkarem.

Chaque jour, des milliers de travailleurs palestiniens entrent en Israël sans permis, puisqu’ils n’ont pas d’autre choix. Pour beaucoup d’entre eux, obtenir un permis requiert de venir à bout d’une série d’obstacles insurmontables qu’Israël a créés en guise de politique, tout en empêchant en même temps le développement d’une politique économique palestinienne indépendante.

Depuis l’apparition du coronavirus, Israël a imposé des restrictions supplémentaires aux travailleurs désireux d’entrer en Israël, telles que la réduction du nombre de permis octroyés et l’obligation pour les travailleurs qui entrent en Israël d’y rester pour de longues périodes sans pouvoir rentrer chez eux. Toutefois, l’Etat est bien conscient de cette réalité et tire profit de cette main-d’œuvre bon marché et dénuée de tout pouvoir.

Tirer sur les Palestiniens qui tentent de franchir la barrière n’a rien d’une pratique nouvelle et n’est pas l’apanage de la région de Far’on, comme le montrent les rapports de B’Tselem.

Durant les trois derniers mois de 2019, dans le même district, des soldats ont tiré dans les jambes d’au moins 17 Palestiniens qui tentaient d’entrer en Israël par des trous dans la clôture, et ils ont tiré une balle de métal enrobé de caoutchouc dans les jambes d’un autre.

Rien ne peut justifier que l’on tabasse un mineur d’âge ou que l’on tire dans les jambes de travailleurs qui ne mettent personne en danger. Les soldats qui l’ont fait étaient embusqués, sachant parfaitement où les Palestiniens allaient essayer de traverser la barrière en attendant le moment où ils allaient pouvoir les blesser.

Un point important est que cette pratique n’est pas le choix d’un simple soldat, mais qu’elle fait partie d’une politique bien rôdée. C’est pourquoi personne ne se verra demander des comptes pour cette dernière série d’incidents, ni pour avoir ouvert le feu sur le terrain ou pour avoir mené la politique qui permet ce genre de choses. 

Addulkarim Sadi, un enquêteur de terrain de B’Tselem, a récolté des témoignages de résidents de la région, dont certains ont été blessés par les tirs.

Le 7 mai 2020, des militaires ont sévèrement tabassé un ado de 15 ans, lui brisant un bras et lui occasionnant une hémorragie abdominale :

Le jeudi matin 7 mai 2020, vers 6 h 30, deux cousins du village de Far’on – A.Y., 15 ans, et L.F., 18 ans – avaient prévu de passer par une ouverture dans le fil barbelé qui constitue le tronçon de la barrière de séparation de la zone, afin de chercher du travail temporaire en Israël.

Ils se trouvaient du côté est de la barrière, examinant l’endroit, quand une jeep surgit et s’arrêta sur la voie de sécurité, à une quinzaine de mètres de là. Trois soldats en descendirent, crièrent aux jeunes de s’arrêter et tirèrent en l’air à plusieurs reprises.

L.F. parvint à s’encourir vers le village, mais A.Y. tomba. Les soldats lui sautèrent dessus et l’un d’eux se mit à le frapper à coups de pied et un autre lui asséna des coups de crosse. A.Y. perdit conscience pendant quelques minutes, avec les soldats autour de lui.

A ce moment, plusieurs résidents qui avaient assisté à l’incident arrivèrent et transportèrent A.Y. vers la voiture d’un des résidents, sans que les soldats ne fassent d’objection. Le résident ramena A.Y. chez lui et, de là, accompagné de deux proches du garçon, le conduisit à l’hôpital Thabet Thabet de Tulkarem.

Les examens et les rayons X permirent de découvrir une hémorragie abdominale et une fracture du bras droit. A.Y. resta aux soins intensifs jusqu’au 12 mai, après quoi il fut transféré au pavillon de chirurgie pédiatrique. Il put quitter l’hôpital le 14 mai.

Dans un témoignage transmis le 9 mai 2020 à B’Tselem par l’enquêteur de terrain Abdulkarim Sadi, A.Y. a décrit l’agression comme suit :  

« Le 7 mai 2020, mon cousin et moi avions l’intention de franchir la clôture pour trouver du travail temporaire en Israël pour la journée, afin de pouvoir nous acheter de nouveaux vêtements pour les vacances.

« Nous sommes arrivés à la clôture vers 6 h 30 du matin et nous nous sommes arrêtés à quelques mètres. Brusquement, une jeep militaire a surgi et trois militaires en sont descendus. Ils se sont mis à tirer et à hurler pour que nous nous arrêtions. J’étais terrifié, surtout quand j’ai vu qu’ils nous pourchassaient. J’ai eu vraiment peur. Mon cousin et moi, nous nous sommes mis à courir vers l’est, en direction du village mais, après trois ou quatre pas, j’ai glissé sur une pierre et je suis tombé à plat sur mon visage. Cela faisait très mal. Je me suis mis à crier et je ne pouvais plus bouger ni respirer.

« Mon cousin est parvenu à s’éloigner, mais les soldats m’ont attrapé. Alors que j’étais couché face contre terre, l’un d’eux m’a donné des coups de pied dans le dos et un autre m’a cogné à l’épaule avec la crosse de son fusil. J’avais tellement mal de la chute et des coups que je ne savais plus ce qui se passait autour de moi. Puis je me suis évanoui. »

Le résident qui est venu sur les lieux et qui a emmené A.Y. dans sa voiture a décrit ce qu’il a vu :

« J’ai vu une jeep de l’armée s’arrêter dans un crissement de pneus près d’un des trous dans la clôture. Trois soldats en sont descendus. Ils ont crié après les jeunes, leur ont ordonné de s’arrêter et ont tiré cinq coups de feu en l’air. J’étais à 30 ou 40 mètres du trou. J’ai vu les jeunes s’encourir. L’un d’eux s’est éloigné, mais l’autre a dû glisser sur des cailloux et il est tombé. J’ai vu les soldats qui le rattrapaient. A ce moment, je suis sorti de ma voiture pour regarder. Plus tard, j’ai appris que le gars qui était tombé s’appelait A.Y.

« Je me suis mis à marcher dans sa direction. Il gisait au sol, entouré de soldats. Quelques autres jeunes gens m’ont rejoint. Nous l’avons relevé et aidé à monter dans ma voiture. Les soldats n’ont pas fait d’objection.

« J’ai conduit A.Y. chez lui. Il n’arrêtait pas de pleurer et de crier de douleur. Quand nous sommes arrivés là, sa mère et son frère sont montés dans la voiture et je les ai conduits à l’hôpital Thabet Thabet à Tulkarem. Après quoi, je suis rentré chez moi. »

Pas seulement une attaque, mais aussi un tir à balles : 

Le 3 mai 2020, des soldats embusqués près d’une ouverture dans la clôture blessent ‘I.H. à la jambe.

Le dimanche 3 mai 2020 au matin, vers 6 h 45, trois Palestiniens du village de Dhinnaba, dans le district de Tulkarem, sont arrivés près d’une « ouverture agricole » dans la clôture à l’ouest du village de Far’on.

Les trois hommes, W.H., 55 ans, et ses deux fils, ont des permis agricoles pour se rendre sur leurs terres, qui se situent à l’ouest de la barrière.

Les soldats étaient censés ouvrir le passage à 7 h du matin, mais aucun ne s’était présenté. A 7 h 30, les trois hommes en eurent assez d’attendre et, en compagnie d’autres Palestiniens qui attendaient également, décidèrent de tenter de franchir la barrière par une autre ouverture toute proche.

Dès qu’ils s’engagèrent, des soldats en embuscade ouvrirent le feu à balles réelles sans avertissement préalable.

Ils touchèrent un des fils, ‘I.H., à la jambe droite. Une ambulance israélienne l’emmena au check-point d’al-Kafriyat, pas loin de là, d’où une ambulance du Croissant Rouge le transporta jusqu’à l’hôpital Thabet Thabet, à Tulkarem.

Les soldats ne permirent pas à son père et à son frère de l’accompagner et leurs ordonnèrent de s’en aller.

Dans un témoignage transmis par téléphone à un enquêteur de terrain de B’Tselem, ‘I.H., un homme marié et père de quatre enfants, a déclaré :

« Nous avons attendu les soldats, qui étaient censés venir et ouvrir la barrière à 7 heures du matin. Pendant ce temps, quatre autres hommes nous ont rejoints. A 7 h 30, les soldats n’étaient toujours pas là et nous avons décidé d’entrer dans la « zone charnière » par une ouverture dans la clôture, tout près de l’ouverture agricole. J’y suis allé le premier. Je suis parvenu à franchir la clôture et à faire un pas ou deux avant de remarquer deux soldats qui se cachaient parmi les oliviers à l’ouest de la clôture, à dix ou quinze mètres d’où j’étais. L’un d’eux a tiré quatre ou cinq coups et une des balles m’a touché au pied gauche. Je suis tombé. L’un des soldats nous a crié de nous arrêter et tout le monde s’est arrêté et s’est tenu tranquille.

« Les deux soldats sont venus près de moi et l’un d’eux m’a donné les premiers soins. En moins de deux minutes, une ambulance israélienne s’est pointée et j’ai été soigné sur place. Puis l’ambulance m’a emmené au check-point d’al-Kafriyat, où les soldats ont pris des photos de moi-même et de ma carte d’identité. Une ambulance palestinienne qui attendait sur place m’a emmené à l’hôpital de Tulkarem, où l’on m’a examiné et radiographié avant d’extraire la balle de mon pied. Trois jours après, on m’a renvoyé chez moi, le pied dans un plâtre. »

7 mai 2020. Des soldats embusqués près d’une ouverture dans la barrière ouvrent le feu et touchent I.’A. à la jambe :

Le jeudi 7 mai 2020 au matin, vers 6 h, I.’A., un entrepreneur en bâtiment de 39 ans, marié, père de quatre enfants et originaire du camp de réfugiés de Tulkarem, se rendait à la « porte agricole » près de Far’on. Comme son permis d’entrée exigeait qu’il reste en Israël tout le long du mois de Ramadan, il décida de ne pas l’utiliser, mais plutôt de tenter d’entrer en Israël par l’une des ouvertures de la barrière, près de laquelle des dizaines de Palestiniens attendaient. Après qu’il fut passé, des soldats embusqués de l’autre côté ouvrirent le feu vers lui sans avertissement préalable et le touchèrent à la jambe droite. Une ambulance israélienne l’emmena ensuite au check-point d’al-Kafriyat, où des soldats prirent des photos de lui et de sa carte d’identité. De là, une ambulance du Croissant Rouge l’emmena vers l’hôpital de Thabet Thabet, à Tulkarem.

Dans un témoignage qu’il livra le 9 mai 2020, I.’A. raconta ce qui s’était passé :

« Je me suis rendu à l’une des ouvertures de la clôture et j’ai vu des dizaines de travailleurs qui attendaient de traverser. J’ai escaladé les barbelés et la clôture, puis j’ai fait quelques pas, je me suis retrouvé sur le chemin de sécurité. Brusquement, deux soldats sont sortis du couvert des oliviers. Ils ont tiré un coup en l’air et un autre coup qui m’a touché à la jambe droite, en dessous du genou. J’ai senti une douleur aiguë et je suis tombé. Je ne les ai pas entendus crier le moindre avertissement.

« Les deux soldats, dont l’un était masqué, sont arrivés à ma hauteur. Puis d’autres sont arrivés. L’un a dit à un autre, en hébreu, de me passer les menottes. Je leur ai montré mon nouveau permis et ils ne m’ont finalement pas menotté. L’un d’eux a tenté de faire cesser l’hémorragie à ma jambe. Un autre a appelé une ambulance, qui est arrivée une minute ou deux plus tard. On m’a donné les premiers soins et, au bout de dix ou quinze minutes, l’ambulance m’a emmené vers le check-point d’al-Kafriyat, où des soldats ont pris des photos de moi-même et de ma carte d’identité. Ensuite, une ambulance palestinienne qui attendait là m’a emmené à l’hôpital de Tulkarem.

« A l’hôpital, ils m’ont examiné et m’ont entouré toute la jambe d’un plâtre, de la cuisse au pied. Trois heures plus tard, à ma demande, ils m’ont transféré dans un hôpital privé à Tulkarem où, le soir, on m’a laissé partir, en m’ordonnant de me reposer et de ne pas m’appuyer sur la jambe blessée. »

Des soldats en embuscade près de l’ouverture de la barrière ont ouvert le feu et touché S.S. et H.Q. aux jambes, le 10 mai 2020.

Le dimanche 10 mai 2020, vers 7 heures du matin, deux Palestiniens sont passés par une ouverture de la clôture : S.S., 21 ans, de Tulkarem, et son oncle, H.Q., 58 ans, du camp de réfugiés d’al-Far’ah, au nord-est de Naplouse.

Quand les deux hommes ont atteint la voie sécuritaire entre les clôtures, des soldats sont sortis des oliviers à l’ouest de la clôture et ont tiré des coups de feu dans leur direction, blessant les deux hommes aux jambes.

Dans ce cas aussi, les deux hommes ont reçu les premiers soins de la part des soldats, avant d’être emmenés par une ambulance israélienne vers le check-point d’al-Kafriyat, où des soldats les ont photographiés, ainsi que leur carte d’identité, après quoi une ambulance du Croissant Rouge les a emmenés à l’hôpital Thabet Thabet de Tulkarem.

Dans un témoignage donné le 20 mai 2020, S.S. racontait :

« J’y suis allé le premier. J’ai franchi l’une des ouvertures et me suis retrouvé au milieu de la voie sécuritaire. Mon oncle me suivait. Je n’ai pas vu de soldats dans le secteur jusqu’au moment où, brusquement, quatre coups de feu, me semble-t-il, ont été tirés sur nous sans avertissement ni injonction préalable de nous arrêter. J’ai été touché à la cheville gauche et près du genou droit. Je n’ai pas vu les soldats qui ont tiré mais, après les coups de feu, je les ai entendus à dix ou quinze mètres d’où j’étais.

« J’ai couru quelques mètres et je suis tombé. Tout de suite, une demi-douzaine de soldats m’ont entouré et l’un d’eux a tenté de faire cesser l’hémorragie avec des bouts de tissu. Je perdais beaucoup de sang et j’avais incroyablement mal. Je ne pouvais plus me mettre debout. Les soldats ont déposé mon oncle tout près de moi et j’ai vu qu’il avait été touché à la jambe lui aussi. 

« Quelques minutes plus tard, les soldats nous ont transportés sur des civières jusqu’à la porte agricole de Far’on, à une centaine de mètres de là. Cinq minutes plus tard, une ambulance israélienne est arrivée et l’équipe nous a donné les premiers soins et nous a emmenés ensuite au check-point d’al-Kafriyat. Là, des soldats ont pris des photos de nous ainsi que de nos cartes d’identité et, ensuite, une ambulance du Croissant Rouge nous a emmenés à l’hôpital de Tulkarem.

« A l’hôpital, les docteurs m’ont examiné et radiographié. Ils ont trouvé les plaies d’entrée et de sortie des balles dans ma jambe gauche ainsi que la blessure dans ma cheville gauche. Mon oncle, lui, avait une balle logée sous le genou gauche. Je suis resté à l’hôpital environ six heures, puis ils m’ont laissé aller avec des médicaments et m’ont envoyé pour la suite du traitement à la section orthopédique. Aujourd’hui, je ne travaille toujours pas et je me sers de béquilles pour me déplacer dans la maison. »


Publié le 18 juin 2020 sur B’Tselem
Traduction : Jean-Marie Flémal

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