Israël-EAU :« Pas d’annexion, Khabibi, rien que le statu quo »

Israël et les Emirats arabes unis (EAU) ont annoncé un accord de normalisation de leurs relations diplomatiques mutuelles, pompeusement étiqueté par Reuters comme « un mouvement remodelant l’ordre de la politique du Moyen-Orient depuis la question palestinienne jusqu’à l’Iran ».

Je ne peux pas parler de l’Iran (qui a qualifié l’accord de honteux), mais je puis vous dire avec certitude que cet accord ne remodèlera rien du tout dans « la politique du Moyen-Orient depuis la question palestinienne ». Il ne fera qu’enraciner le statu quo.

Rima Najjar, 13 août 2020

Cartoon de Mohammad Sabaaneh représentant les EAU et Israël

Cartoon : Mohammad Sabaaneh

 

L’accord vise manifestement à sauver une partie de la manœuvre d’Israël et de Trump concernant le « Deal », laquelle avait échoué lorsque la communauté internationale avait regimbé contre la grande révélation de l’annexion. Il a été conclu en vue de doter les deux dirigeants d’un certain capital politique et de remplir les caisses des EAU.

Israël a déjà suspendu ses plans d’annexion concernant certaines parties de la Cisjordanie occupée, mais a intensifié son harcèlement des Palestiniens en termes de démolitions de maisons à Jérusalem, de destructions d’oliveraies par le feu et d’autres horreurs du même genre perpétrées par ses cohortes de « colons » juifs mentalement dérangés, ou encore par le biais d’incarcérations massives de travailleurs culturels, d’étudiants et d’activistes politiques palestiniens de Cisjordanie. 

La planète tout entière – « nations, groupes et acteurs individuels dans le conflit israélo-palestinien » – a l’une ou l’autre chose à dire à propos de cet accord. Mais les palestiniens sont unanimement d’accord pour dire que ce nouveau développement ne sert pas la cause palestinienne et qu’il ignore les droits du peuple palestinien. [Voir « Le Hamas à propos de l’accord entre les EAU et Israël : Un infâme coup de couteau dans le dos des Palestiniens ». En anglais : Hamas on UAE-Israel deal: Treacherous stab in back of Palestinians.]

Ce que l’on n’entend guère dans les infos, c’est la façon dont les Palestiniens eux-mêmes remodèlent la question palestinienne, comme l’ont montré récemment deux articles.

Le premier est intitulé « Uphold Palestinian struggle in all its forms » (« Poursuivre le combat palestinien sous toutes ses formes »), paru dans The Electronic Intifada, sous la plume de Khaled Barakat, écrivain et activiste palestinien qui a été soumis à une interdiction politique en Allemagne, avant d’être expulsé pour ses activités politiques et autres déclarations concernant la Palestine).

Face à de nouvelles attaques répressives, une vision de libération complète émerge parmi les activistes actuels pour la justice en Palestine en tant que forme de résistance la plus utile et la plus efficace. 

La résistance palestinienne a été fragmentée suite à la propagande incessante d’Israël qui s’est  d’abord arrangé pour faire interdire sur la scène mondiale les groupes politiques palestiniens militants en tant que groupes terroristes et a poursuivi ensuite une campagne virulente, et l’a menée à bien, afin de bloquer les activités politiques palestiniennes alternatives en tant que « groupes du front » de ces partis politiques interdits, les arrêtant ainsi dans leur progression, par la même occasion.

Barakat écrit :

La résistance palestinienne, sous toute forme que ce soit – même la simple expression du droit de boycotter et de refuser le commerce et l’interaction avec une puissance coloniale, ainsi que de refuser d’être exploité par cette même puissance coloniale – est calomniée et présentée comme inacceptable, sectaire et potentiellement criminelle (…)

Afin de contrer efficacement cette attaque, il est nécessaire non seulement d’infirmer les fausses allégations, mais aussi de rejeter leurs fondements mêmes. Être associé à la résistance armée palestinienne et à ses partis politiques n’a rien d’un motif de honte ni d’une justification de la répression (…)

Le soulagement momentané potentiel trouvé en imposant que les gens se distancient de la résistance armée ou en la désavouant ne sera que passager (…)

Toute défense significative du peuple palestinien doit clairement conserver le droit de résister par tous les moyens au colonialisme, y compris par la lutte armée, et soutenir les efforts en vue de retirer les groupes de résistance palestiniens des listes d’« organisations terroristes ». Les campagnes politiques et médiatiques en faveur de la cause palestinienne doivent œuvrer consciemment pour préserver la légitimité de la résistance armée et la normaliser.

La légitimité de la lutte armée pour libérer un peuple de la domination coloniale et étrangère est en outre bel et bien reconnue dans les lois internationales. En effet, les mêmes Etats européens qui cherchent aujourd’hui à criminaliser et délégitimer la résistance palestinienne célèbrent comme des héros leurs propres combattants de la résistance au cours de la Seconde Guerre mondiale. L’Union européenne célèbre officiellement aussi Nelson Mandela, qui a lui-même pratiqué la lutte armée de façon impénitente.

Le second texte qui montre comment les Palestiniens remodèlent leur lutte se trouve dans Al Shabaka, The Palestinian Policy Network. La rapport du Cercle politique élargi est intitulé « Reclaiming The PLO, Re-Engaging Youth » (Reprendre l’OLP, réengager la jeunesse) et examine les questions suivantes :

« Comment l’OLP peut-elle préserver sa responsabilité à la fois comme mouvement de libération nationale et comme institution gouvernante ? Comment le Hamas et le Djihad islamique peuvent-ils être intégrés après des décennies d’exclusion ? Quels modèles d’encadrement de la jeunesse palestinienne pourrait-on perfectionner ? »

Les lignes qui suivent constituent la conclusion du rapport dans son intégralité et elle est intitulée De la crise à l’opportunité :

Le mouvement national palestinien est à son niveau le plus bas depuis son lancement dans les années 1960. Pourtant, une crise aussi aiguë crée des opportunités qu’il convient de saisir : Tel est le principal message des documents de ce rapport et du Cercle politique élargi rassemblé par Al-Shabaka.

Les auteurs insistent sur le fait qu’il est plus de temps de récupérer l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) en tant que représentante nationale du peuple palestinien et que les Palestiniens doivent chercher des façons de détricoter l’empiètement constant provoqué par l’Autorité palestinienne (AP) sur la direction et les ressources de l’OLP à partir des accords d’Oslo. Aujourd’hui, cette même AP supervise des portions congrues du Territoire palestinien occupé (TPO) dans le même temps que, draconiennes, les forces d’occupation israéliennes annexent et colonisent illégalement ses terres.

1.      Cette section puise dans un document de contexte rédigé par Yara Hawari, l’un des responsables politiques d’Al-Shabaka. La prémisse sous-tendant le travail du Cercle politique est que, du fait que l’OLP est on ne peut plus érodée de l’intérieur, le peuple palestinien n’a aujourd’hui aucune autre alternative que de la reprendre comme sa représentante nationale. Les auteurs ne sont pas aveugles aux décennies de manquements de l’OLP et aux présentes faiblesses de l’organisation. Ils analysent non seulement certaines des causes clés, mais proposent également des solutions applicables. Trois des documents ont abordé la structure, les fonctions, la mission et la représentativité de l’OLP, fournissent par conséquent une bonne connaissance de base des défis et du potentiel de l’organisation. Cela prépare la voie afin que les documents restants puissent aborder la promesse et les défis de la direction des jeunes.

2.      Pour commencer, Belal Shobaki retrace avec une grande compétence l’évolution des mouvements islamiques du Hamas et du Djihad islamique, tous deux exclus de l’OLP depuis leur fondation en dépit du fait qu’ils représentent de nombreux Palestiniens. Il rappelle les efforts finalement consentis pour les intégrer au rassemblement du Caire en 2005, qui se solda par la déclaration du Caire – laquelle doit toujours être appliquée à ce jour. Il est utile de remarquer que tous les groupes participant au rassemblement « croyaient que préserver l’inutilité de l’OLP équivalait à un suicide politique ». Depuis lors, des documents importants rédigés par le Hamas (en 2017) et par le Djihad islamique (en 2018) appellent à la reconstruction de l’OLP sur des bases démocratiques plutôt qu’islamiques qui faciliteraient davantage leur intégration.

3.      Nijmeh Ali élargit la discussion à la nécessité s’assurer, une fois encore, l’engagement de tous les Palestiniens au sein de leur mouvement national. Elle rappelle comment la chose fut réalisée dans les années initiales quand la représentativité et la légitimité de l’OLP passaient par l’engagement et par la prise de décision via le consensus plutôt que par le vote. Ali décrit ce qu’elle appelle le désengagement de l’OLP à l’égard du peuple palestinien, initialement les réfugiés et les exilés de la diaspora (l’OLP ne pouvait officiellement représenter les citoyens palestiniens d’Israël) et, finalement, les Palestiniens du TPO. Les questions urgentes qu’il convient d’aborder concernent le projet politique de l’OLP et les Palestiniens mêmes qu’elle cherche à représenter. Tant que ces questions ne seront pas résolues, les tentatives de réforme ne concrétiseront pas les objectifs qu’elles se sont fixés.

4.      La question de la direction est au cœur de l’analyse de Fadi Quran. Plutôt que de répéter la discussion stérile pour savoir qui sera le prochain dirigeant, il insiste en disant que la transformation de la direction palestinienne requiert que l’on ravive un sentiment d’institution à la fois chez les individus et dans les communautés et qu’on étende donc la direction à chaque niveau de la société. S’appuyant sur une étude sur la façon dont la situation présente a évolué, Quran puise dans son expérience d’organisateur ainsi que dans des exemples d’autres mouvements révolutionnaires pour proposer le modèle de direction qui servira le mieux la cause. Il appelle cela la « direction par le biais de la résistance », insistant que le fait qu’une telle résistance doit être « orale, stratégique et efficiente ». Toutefois, les programmes de mise en place d’une direction de la jeunesse finissent souvent par coopter des jeunes et par saper la direction démocratique. Il existe bien des exemples dans l’histoire palestinienne et dans d’autres mouvements pour contrer la chose. Fait plus important, la direction va devoir exercer le pouvoir discursif d’un discours qui définit le mouvement avec une vision rassembleuse de ce qui est possible.

5.      Le document de Quran est complété par l’analyse d’un exemple convaincant de direction de la jeunesse par Dana El Kurd, qui a réalisé une étude des mouvements de jeunes. Dans son article, elle se concentre sur le Mouvement de la jeunesse palestinienne qui a été lancé aux Etats-Unis et est néanmoins parvenu à bâtir un mouvement transnational durant plusieurs années avant de se reconcentrer sur les Etats-Unis et d’établir des liens avec d’autres mouvements américains luttant pour les droits et la justice, tels les mouvements noirs et autochtones américains. L’analyse de Kurd aboutit à certaines conclusions importantes, dont l’importance de reconnaître les variations dans l’expérience vécue de façon à pouvoir surmonter les obstacles, et de centrer les jeunes afin de préserver le dynamisme d’un mouvement et sa capacité de croître.

6.      Marwa Fatafta construit sur tout ce qui précède. Elle fait remarquer que même si elle était appliquée, la déclaration du Caire de 2005 diviserait simplement le gâteau entre les 22 factions palestiniennes actuelles plutôt que d’engager le peuple. Elle met l’accent sur l’absence de tout mécanisme de responsabilisation efficace tout au long de la longue histoire de l’OLP en dépit des décisions divisives prises au nom du peuple. Fatafta tire à la sonnette d’alarme pour qu’on dissocie l’OLP et l’AP et qu’on restaure son mandat, quelque chose que les tentatives israéliennes en vue d’étrangler les Palestiniens dans le TPO rendent non seulement impératif, mais possible aussi. Elle suggère également certaines démarches pratiques afin de parvenir à cette responsabilisation.

7.      Ce rapport tombe à un moment critique. Israël cherche à légaliser son occupation des territoires qu’il a conquis en 1967 avec le soutien de l’administration américaine qui, sous le président Donald Trump, a déjà reconnu l’annexion par Israël des hauteurs syriennes du Golan et approuvé les plans israéliens de poursuite de l’annexion du TPO.  La direction palestinienne a rejeté avec raison le plan, mais elle continue à s’en tenir à une ligne politique (les paramètres d’Oslo) qui a conduit le peuple palestinien vers l’une de ses situations les plus vulnérables de son histoire. De plus, la direction palestinienne s’obstine toujours à placer à tort ses espoirs dans des acteurs qui ont démontré plusieurs décennies durant qu’ils n’avaient aucunement la volonté politique de concrétiser les droits palestiniens.

8.      Il n’a jamais été aussi urgent d’envisager la revendication de l’OLP en tant que direction qui soit représentative du peuple palestinien dans toutes ses réalités géographiques, sociales et politiques. Ce rapport met en évidence les questions les plus urgentes à aborder afin d’y arriver, y compris la réconciliation entre les factions politiques, les mécanismes de représentation et de responsabilisation, et les modèles de direction. De telles démarches pour nous conduire à la reprise en main de l’OLP et nous rapprocher du but de la libération.


Publié le 13 août 2020 sur medium.com
Traduction : Jean-Marie Flémal

Lisez ici l’article de Khaled Barakat : « Soutenir la lutte palestinienne sous toutes ses formes »

Rima Najjar

Rima Najjar

Rima Najjar est une Palestinienne dont la famille paternelle provient du village – dépeuplé de force – de Lifta dans la périphérie ouest de Jérusalem et dont la famille maternelle est originaire d’Ijzim, au sud de Haïfa. C’est une activiste, une chercheuse et professeure retraitée de littérature anglaise à l’Université Al-Quds, en Cisjordanie occupée.

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