Pourquoi les Verts irlandais ont-ils rompu leur promesse envers la Palestine ?
Il n’y a pas si longtemps que cela, le parti des Verts irlandais promettait de demander des comptes à Israël pour ses crimes.
Ciaran Tierney et David Cronin, 1er septembre 2020
Le manifeste avec lequel les Verts se présentaient aux élections générales de février soutenait une interdiction d’importation de marchandises en provenance des colonies israéliennes en Cisjordanie occupée.
Certains membres du parti se sont faits forts de faire connaissance directement, sur le terrain, avec la Palestine. Au moins deux des douze membres des Verts à avoir gagné des sièges parlementaires cette année avaient séjourné en Cisjordanie en tant qu’observateurs des droits de l’homme.
Les deux députés en question – Joe O’Brien et Patrick Costello – se sont retrouvés dans des camps opposés, après que la direction des Verts a décidé de former un gouvernement en compagnie des partis de droite Fianna Fáil et Fine Gael. O’Brien a soutenu le ralliement à la coalition, alors que Costello s’y est opposé.
En entrant dans un gouvernement dominé par la droite, le parti acceptait un programme législatif qui, au nom du ministre irlandais des Affaires étrangères et du négociateur en chef du Fina Gael, Simon Coveney, ignorait la demande des Verts d’une interdiction des marchandises en provenance des colonies israéliennes. De la sorte, la promesse électorale des Verts était réduite en pièces.
Dans le nouveau gouvernement, Joe O’Brien a été nommé à la fonction (subalterne) de ministre du développement de la communauté et des organisations caritatives.
Il a déjà fait preuve d’un certain degré d’indépendance. Cet été, il s’est abstenu dans un vote sur une nouvelle législation concernant les loyers et les expulsions, en faisant état de ses inquiétudes de voir s’exacerber la crise des sans-abris en Irlande.
O’Brien a été sanctionné par les Verts pour n’avoir pas voté dans le sens du gouvernement, en cette occasion. Son droit à la parole au Dáil Eireann, la Chambre basse du Parlement irlandais, l’Oireachtas, lui a été retiré pour une brève période.
Des excuses non convaincantes
Invité à donner un commentaire, O’Brien a décrit l’occupation militaire d’Israël comme « l’une des pires injustices au monde en raison de son oppression délibérée, sophistiquée et prolongée de tout un groupe de population ».
O’Brien a été coordinateur du Programme œcuménique d’accompagnement en Palestine et Israël, une association des droits de l’homme, entre 2010 et 2013.
En sa qualité, il avait fait campagne en faveur d’une interdiction des marchandises des colonies israéliennes. O’Brien a longtemps prétendu que, du fait que les activités des colonies d’Israël en Cisjordanie violent les lois internationales, les marchandises produites dans ces colonies sont par définition illégales.
En ce qui le concerne, O’Brien a également été le premier membre des Verts à proposer que l’interdiction de ces marchandises devienne un objectif politique du parti.
Lors du dernier mandat du Dáil, les Verts et tous les autres partis à l’époque dans l’opposition avaient soutenu le projet de loi sur les territoires occupés, une législation permettant une interdiction des marchandises des colonies. Pourtant, bien qu’il eût gagné la majorité dans les deux chambres de l’Oireachtas, le gouvernement de l’époque – dirigé par le Fine Gael – avait bloqué l’application du projet de loi.
O’Brien a prétendu que l’Irlande avait surtout refusé d’interdire les marchandises des colonies suite aux pressions des Etats-Unis.
« Je ne pense pas qu’il était complètement déraisonnable de soupçonner que l’administration américaine aurait pu punir l’Irlande pour une démarche contre les produits illégaux des colonies, particulièrement sous le prétexte d’autres questions, à savoir nos réglementations concernant les taxes sur les sociétés qui profitent à l’Irlande au détriment des Etats-Unis »,
a déclaré O’Brien.
Malgré son passé de défenseur des droits palestiniens, O’Brien a fait savoir clairement qu’il ne voulait pas risquer la désapprobation de son propre parti en adoptant une position forte contre les activités d’implantation d’Israël.
O’Brien a prétendu qu’il « serait nécessaire pour lui de voter dans le sens de la position du gouvernement » si le projet de loi sur les Territoires occupés ou une loi similaire était présentée à l’actuel Dáil (la Chambre basse), « même si cela signifiait de voter contre » une interdiction des marchandises des colonies.
Après s’être opposé aux instructions gouvernementales concernant le récent débat sur les loyers et les expulsions, « il est clair que je perdrai mon rôle ministériel si je vote une fois de plus en dehors des consignes », a déclaré O’Brien dans un courriel.
O’Brien a ajouté qu’il serait
« plus utile les quatre prochaines années pour les Palestiniens si l’Irlande avait un ministre de second rang défendant la cause palestinienne »,
plutôt que quelqu’un qui a perdu son poste ministériel. Comme il ne s’attend pas à ce qu’une interdiction des marchandises des colonies soit approuvée par le Dáil duranLest la législature actuelle, O’Brien a suggéré que cela n’aurait guère de sens qu’il perde son poste en votant pour ce genre d’interdiction.
Les excuses qu’il a proposées pour n’avoir pas respecté ses principes ne sont absolument pas convaincantes.
Prouver sa solidarité avec un peu opprimé requiert avant tout qu’on l’écoute.
Echec lamentable dans le test sur la solidarité
Ces 15 dernières années, une large coalition de syndicats, partis politiques, associations des droits des femmes, associations environnementales et autres groupes de campagne ont exigé un boycott, un désinvestissement ainsi que des sanctions contre Israël.
L’appel BDS est un appel à l’action et pas seulement d’insipides expressions de sympathie.
Les Verts irlandais ne peuvent afficher une réelle solidarité avec les Palestiniens que s’ils insistent sur l’interdiction des marchandises des colonies et qu’ils soutiennent ensuite d’autres méthodes de boycott et d’isolement d’Israël. O’Brien échouerait lamentablement dans le test sur la solidarité en refusant de contrecarrer Israël par crainte de se faire déboulonner.
Le collègue d’O’Brien, Patrick Costello, a lui aussi participé à un voyage en Cisjordanie organisé par le Programme œcuménique d’accompagnement en Palestine et Israël.
Récemment, Costello a protesté quant à la façon dont l’agende de voyages Airbnb cherche à tirer profit de la colonisation par Israël de la Cisjordanie.
Dans une plainte adressée aux autorités irlandaises responsables des normes publicitaires, Costello a attiré l’attention sur la façon dont Airbnb propose des vacances dans les colonies illégales d’Israël.
Costello a accusé Airbnb de « publicité mensongère et trompeuse ».
En effectuant de rapides recherches, il a découvert sur le site internet d’Airbnb pas moins de 20 listings pour des colonies faussement cataloguées comme étant situées en Israël.
Le quartier général d’Airbnb pour l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique est installé à Dublin.
Selon Costello, la firme est en infraction vis-à-vis du code national irlandais pour la publicité, qui requiert des firmes qu’elles diffusent des informations exactes.
Liberté de vote ?
La plainte de Costello est une initiative importante. Pourtant, elle ne se substitue pas à une action plus décisive telle une interdiction des marchandises des colonies.
Costello serait-il prêt à soutenir le projet de loi sur les territoires occupés ou l’une ou l’autre législation comparable, si elle était proposée ?
Pour le faire, a-t-il dit, il serait nécessaire que les trois partis gouvernementaux accordent la liberté de vote. Les députés seraient alors à même de voter en leur âme et conscience, sans être sanctionnés pour avoir désobéi aux ordres.
« Nous sommes dans un gouvernement très instable et c’est très difficile », a déclaré Costello au téléphone. « C’est l’une des raisons pour lesquelles, personnellement, je ne tenais pas à entrer dans cette coalition. »
Le projet de loi sur les territoires occupés était soutenu à l’origine par Frances Black, une chanteuse bien connue et membre du Seanad, la chambre supérieure de l’Oireachtas.
Black continue à insister en faveur de l’interdiction des marchandises des colonies. Elle est en discussion avec les activistes de la campagne de solidarité avec la Palestine qui souhaitent voir son projet de loi réintroduit à l’Oireachtas.
« Nous ne devons jamais au grand jamais renoncer à l’espoir et nous devrions continuer à lutter pour les droits humains des Palestiniens »,
a déclaré Black dans une interview.
« Ils bénéficient d’un énorme soutien, ici, en Irlande. Les gens sont derrière eux. Nous ne devons jamais renoncer au soutien et à la solidarité que nous témoignons pour les droits humains fondamentaux des Palestiniens. Et je n’ai pas l’intention du tout de renoncer, en ce qui concerne le peuple palestinien. »
On ne peut en dire autant des Verts irlandais, qui rompent leur promesse électorale d’interdire les marchandises des colonies de façon à pouvoir bénéficier des avantages d’être au gouvernement. Si les principes ont quelque signification à leurs yeux, les députés verts doivent réclamer de véritables actions contre Israël, et qu’importe si cela risque de nuire à leurs carrières personnelles.
Publié le 1er septembre 2020 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal
Ciaran Tierney est un blogueur reconnu et un ancien journaliste de la presse écrite. Twitter : @ciarantierney. Site internet : ciarantierney.com
Traduction : Jean-Marie Flémal
David Cronin est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont Europe Israël : Une alliance contre-nature (Ed. La Guillotine – 2013) et Europe’s Alliance With Israel: Aiding the Occupation (Pluto Press, 2011 – L’Alliance de l’Europe avec Israël contribue à l’occupation). Il a participé à la rédaction du rapport “The israeli lobby and the European Union”.
Son dernier livre est : Balfour’s Shadow: A Century of British Support for Zionism and Israel (Pluto Press – Londres 2017).
Il a écrit de nombreux articles pour de nombreuses publications, dont The Guardian, The Wall Street Journal Europe, European Voice, the Inter Press Service, The Irish Times and The Sunday Tribune. En tant qu’activiste politique, il a tenté d’appliquer un état d’ »arrestation citoyenne » à Tony Blair et Avigdor Lieberman pour crimes contre l’humanité.