Poésie : D’Yvonne Sterk à Fadwa Tuqan

Yvonne Sterk (1920-2012), poétesse belge dans la résistance palestinienne, avait rencontré Fadwa Touqan (1917-2003) en avril 1967, lors d’une Conférence internationale de solidarité concernant la Palestine à Beyrouth, à laquelle participa également Ghassan Kanafani. Elle invita à son tour la poétesse palestinienne à une biennale de la poésie à Knokke.

Fadwa Tuqan

Fadwa Touqan

Voici un poème qu’elle lui dédia.

A Fadwa Touqan, palestinienne et poète

Les murs du jours sont noirs.
Sortir ! mais où est le repos ?
Partout les griffes de la terre,
les yeux brûlés du paysage
où le chagrin drape les collines.
Sortir ! mais au puits de Jacob
impossible de s’asseoir :
des griffes sur la margelle.

Le nom de mère est interdit,
il ne faut pas nommer la terre,
le mot source est puni d’exil.

Une fièvre de silence ronge les lèvres de ma soeur
quand sa plume fait courir sous la lampe
les poulains de l’écume à l’anse d’Haifa.
Jasmins de la mémoire, bravez le couvre-feu.

J’ai déchiffré le code de ses yeux.
Frères assis dans la cendre des villages
ne laissez pas errer les bêtes affamées
de vos songes entre les murs incendiés.
Il faut sortir pour aller saluer
les enfants nouveaux :
l’étoile de leur front
fera reculer l’ombre.

Naplouse, mai 1968 (Le Rempart de sable)

Vous trouvez ici des poèmes d’Yvonne Sterk ou des articles la concernant, publiés sur ce site.

Fadwa Touqan : « Mon histoire, c’est l’histoire de la lutte d’une graine aux prises avec la terre rocailleuse et dure. »

Fadwa Touqan est née à Naplouse le 1er mars 1917. Ne ne lui ayant d’abord pas été donné d’étudier, Fadwa Tuqan s’est forgée d’elle-même avec l’aide de son frère Ibrahim Tuqan qui lui apprendra les rudiments de la poésie arabe. Les textes de Fadwa Tuqan, d’abord de forme traditionnelle puis plus libre, sont marqués par la mort prématurée de son frère et par les contraintes politiques et sociales. Sa poésie reflète différents angles de la vie palestinienne et retrace les sentiments personnels –tels que ses premiers recueils intitulés « Mon frere Ibrahim » (1948) et « Seule avec les jours » (1952)- puis devient plus patriotique dès 1967.

Fadwa Touqan a étudié l’anglais et la littérature anglaise à l’Université d’Oxford de 1962 à 1964 puis a voyagé en Europe. Touqan est considerée comme une des premières poétesses palestiniennes et a reçu de nombreux prix litteraires tels que le Prix International de Poésie à Palerme (Italie), le Prix Jérusalem pour la Culture et le Prix des Lettres par l’OLP en 1990, le Prix des Emirats Arabes Unis la même année ainsi que le Prix d’Honneur Palestinien pour la Poésie en 1996. Ses écrits incluent ses souvenirs d’enfance dans « Mountainous Journey » (1985), les poèmes « Self-Portrait » et « Martyrs of the Intifada » ainsi que les recueils « Donne-nous de l’amour » (en arabe, 1960), « Avant que la porte ne se ferme » (en arabe, 1967) et « Daily Nightmare » (traduit en anglais, 1988). Elle fut le sujet d’un documentaire filmé dirigé par la romancière Liana Badr en 1999 avant de mourir à Naplouse le 12 décembre 2003 suite à une attaque cérébrale. Son autobiographie en deux volumes a été traduite en français sous les titres : « Le Rocher et la peine » et « Le Cri de la Pierre ».

Oeuvres traduites

Le Rocher et la peine (Mémoires I), Paris, Langues et Mondes / L’Asiathèque, 1997 (ISBN 2-911053-30-3)
Le Cri de la pierre (Mémoires II), Paris, Langues et Mondes / L’Asiathèque, 1998 (ISBN 2-911053-31-1)

Les martyrs de l’Intifada

Ils ont tracé la route vers la vie
l’ont pavée de corail, de forces jeunes, d’agathe …
Ils ont levé leurs cœurs comme des pierres de braise,
des brûlots dans leurs mains et lapidé la bête du chemin.
Ils ont crié :
c’est le temps de se battre, lève-toi !
Leur voix a retenti aux oreilles du monde,
son écho a retenti aux oreilles du monde,
son écho s’est déployé jusqu’aux confins du monde.
C’est le temps de se battre , ils se sont battu, et ils sont
morts debout
astres scintillants
embrassant la vie sur la bouche.
Regarde-les au loin enlacer la mort pour exister encore …
S’élever jusqu’au plus haut devant les yeux de l’univers,
monter,
à leur sang encordé monter monter monter …
La mort traîtresse ne prendra pas leurs cœurs
car la résurrection, l’aube nouvelle, comme des songes les
accompagne sur le sentier du sacrifice.
Regarde-les, faucons, dans leur Intifada, ils attachent le
sol, la sainte patrie au ciel.

Traduit de l’arabe par Marianne Weiss

(*) Extrait d’une publication de Festival Palestine – novembre 2019

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