Greta Berlin : « En l’honneur de mon amie Mary Hughes Thompson »

Mary Hughes Thompson

Mary Hughes Thompson

Mary Hughes Thompson, 87 ans, est décédée le 5 février 2021 à Los Angeles, en Californie. Elle laisse derrière elle un fils, Andy Hughes, 65 ans, et une petite-fille, Selena Hughes, 20 ans, de Guelph, au Canada. Quand nous lui avions demandé à qui elle souhaitait voir aller ses donations, elle nous avait demandé de faire savoir à tout le monde qu’elles devraient aller à la Middle East Children’s Alliance (MECA). Celle-ci vient de créer une page en vue de collecter des fonds destinés à l’aménagement d’un terrain de jeux en son honneur à Gaza. (Voir plus bas)

Greta Berlin, 7 février 2021

Je voudrais également parler de sa vie, du moins de ce que je sais d’elle pour avoir été son amie, sa sœur et sa camarade pendant 19 ans. C’était une femme déterminée, courageuse et joyeuse. Son existence a chevauché huit décennies et trois pays. Durant les dernières décennies de cette existence, elle aura été une avocate convaincue de la justice en Palestine, en Irak et aux États-Unis. Je l’avais rencontrée en 2003, lorsqu’elle avait 69 ans. Elle revenait d’un voyage en Cisjordanie occupée et je m’apprêtais moi-même à me rendre en Palestine.

Elle était née en 1933 à Manchester, en Angleterre, et nous avait raconté ce que c’était que de grandir sous les bombes d’Hitler. Elle avait appris à tricoter des chaussettes, écharpes et bonnets pour les soldats britanniques. Elle n’avait que sept ans, lorsqu’elle avait appris à tricoter et elle avait exercé ce talent durant toute sa vie, était devenue une experte, tout en dessinant des modèles et en enseignant dans des classes de tricot à Los Angeles. Ce n’était là, toutefois, que l’un de ses multiples talents.

À 16 ans, elle avait dû quitter l’école, du fait que tout le monde le faisait, à l’époque, après que la guerre avait ravagé l’Angleterre. Elle était restée la seule fille d’une famille de neuf enfants jusqu’au moment où, douze ans plus tard, une petite sœur l’avait rejointe. Elle s’était donc vu confier la tâche de s’occuper de la maison et de ses frères tout en allant travailler. Sa mère ne cessait de lui dire qu’elle était « débrouillarde », mais Mary était bien plus que cela. Elle était intelligente, jolie, amusante et elle pouvait écrire de petites ritournelles sur la plupart des gens qu’elle côtoyait.

Quand elle alla s’installer en Californie en 1963, elle était mariée et avait un fils, Andy. Mary décrocha un emploi dans le monde du cinéma, débutant comme secrétaire, gravissant ensuite les échelons et, une fois la cinquantaine venue, elle devint chercheuse documentaliste pour David Wolper, un auteur qui écrivait pour la série télévisée américaine « All in the Family » et qui était en même temps membre de la Writers Guild (Guilde des écrivains).

Un jour, elle décida qu’elle aimerait apprendre à voler. Elle le fit, obtint son brevet de pilote et acheta un petit Cessna. Elle m’a raconté une fois que sa mère était venue de Grande-Bretagne pour lui rendre visite et qu’elle avait embarquée sa mère dans son avion pour l’emmener prendre un lunch à Palm Springs, comme ça, pour le plaisir. Des années durant, elle pilota son avion, jusqu’au moment où, à plus de 50 ans, elle décida que c’en était assez. Après quoi, elle revendit l’appareil.

Quand je l’ai recontrée, elle était déjà retraitée et elle travaillait dans les droits de l’homme. Elle était allée deux fois en Palestine occupée avec le Christian Peacekeepers Team (CPT – Équipe des pacifistes chrétiens) et l’International Solidarity Movement (ISMMouvement pour la solidarité internationale). À 68 ans, alors qu’elle cueillait des olives à Yanoun, elle avait été agressée par des colons armés, qui l’avaient tabassée et avaient dérobé tous ses biens. Elle n’avait pas eu de fractures, mais elle avait les bras, le dos et la poitrine tout couverts d’hématomes, de sang et d’ecchymoses. Les colons lui avaient volé ses deux passeports, son billet d’avion, ses cartes de crédit, sa caméra digitale et environ un millier de USD en argent liquide. Cela n’enleva rien à sa détermination de retourner en Palestine, et c’est ce qu’elle allait faire à maintes reprises encore.

Quand Bush envahit l’Irak, en 2003, elle rejoignit la délégation des droits de l’homme du CPT sur place, juste avant le début du carnage, afin de servir de témoin et en espérant que les États-Unis y regarderaient à deux fois s’ils se rendaient compte du nombre d’Américains qui s’étaient rendus en Irak pour soutenir la paix et non la guerre. La délégation s’en alla juste avant le déclenchement des hostilités.

Je l’avais contactée en juillet 2003, parce que j’étais en partance pour la Palestine occupée et qu’elle était une source inestimable d’informations. Nous comprîmes qu’en fait, nous vivions à un mille à peine l’une de l’autre et c’est ainsi que nous devînmes rapidement des amies pour le reste de sa vie.

En 2005, nous nous rendîmes en Palestine pour la conférence des Femmes en noir, en abusant les interrogateurs du Shin Bet qui nous bloquèrent à l’aéroport Ben-Gourion pendant huit heures. Nous avions soigneusement monté une histoire à propos de nos identités et de ce que nous ferions pour entrer. J’expliquai que j’emmenais ma cousine paralysée en Terre sainte afin qu’elle puisse marcher là où Jésus avait marché la dernière fois. Elle était en chaise roulante, avait emporté un flacon de médicaments pour le cœur (contenant en fait de l’aspirine) ainsi qu’une canne. Comme ils m’avaient fait passer d’un petit local à l’autre, ils avaient laissé Mary dans la zone des bagages et elle était devenue de plus en plus faible et s’était faite de plus en plus petite. Mary avait tellement bien joué son rôle que, lorsqu’ils nous avaient enfin laissées partir, j’avais cru pour de bon qu’elle était malade. Nous avions ensuite pris un taxi pour Jérusalem et, tout le long du trajet, je lui avais demandé si elle allait bien. Quand le taxi était arrivé en haut, devant la porte de Damas, elle avait attrapé sa valise à roulettes et avait descendu toute la rue à pied. Tout au long de l’affaire, elle avait simplement joué la comédie, et même moi j’avais marché. Cela, c’est la Mary dont je me souviendrai toujours.

Nous sommes retournées en Palestine occupée une fois encore en 2007, en passant par la Jordanie, cette fois, en compagnie de la survivante de l’Holocauste, Hedy Epstein, et d’une journaliste, Alison Weir. Les aventures que nous avons eues, toute cette joie que nous avons éprouvée à être de retour, en franchissant le poste-frontière de Sheik Hussein comme la plupart des pèlerins qui se rendent en Galilée ! Nous étions sûres d’être bloquées mais, apparemment, le fameux système de repérage israélien ne fonctionnait pas jusque-là. Quand Mary et moi sommes passées par le contrôle des passeports (cette fois, nous avions de nouveaux passeports), ils nous ont demandé pourquoi nous étions venues. « Je veux tout simplement suivre les pas de Jésus une fois encore », a répondu Mary. Cela avait marché la première fois. Cela marcha cette fois aussi. Quand ils se mirent à la questionner, elle ne cessa de secouer la tête en disant « Quoi ? » « Elle n’entend pas ! », dis-je. « Que voulez-vous savoir ? » Ils nous firent signe de passer. Par la suite, nous avons assisté au mariage d’Issa Amro, nous avons travaillé à Hébron, nous sommes allées à Bi’lin, avons commenté ce que nous avons vu, avons rédigé des communiqués de presse et des articles…

Elle et moi nous travaillions déjà sur un nouveau projet – depuis 2006, en fait – de voiliers pour Gaza. Elle était la cofondatrice de cette initiative et, finalement, nous ralliâmes Gaza en 2008. Après le mois d’août, cette année-là, elle travailla à trois reprises encore avec l’équipe au sol à Chypre, renvoyant des bateaux à Gaza. Deux d’entre eux allaient d’ailleurs parvenir à accoster.

 

L’arrivée dans le port de Gaza le 23 août 2008

En 2010, il était prévu que Mary soit l’une des passagères de l’infortunée Freedom Flotilla I, dont les six bateaux allaient être attaqués et pris d’assaut pas des commandos israéliens, qui allait en outre abattre sauvagement dix personnes. Empêchée de monter à bord de l’un de ces navires, Mary revint au bureau de Free Gaza à Chypre et travailla sans compter pendant trois semaines, à traiter les questions des médias venues du Royaume-Uni, d’Australie et de Nouvelle-Zélande.

En 2011, elle fut l’une des passagères du navire canadien pour Gaza, bloqué lui aussi quand Israël outsourça son occupation jusqu’en Grèce et exigea de la part de la défense côtière grecque qu’elle empêche tous nos navires de quitter les côtes de la Grèce.

Au cours de ces dix dernières années, Mary a écrit, pris la parole, plaidé en faveur de la justice en Palestine. Puisque nous ne pouvions plus nous rendre à Gaza, elle devint l’une des quelques passagers et passagères du premier voyage mené à bien à entamer une tournée et à expliquer à de larges audiences ce que nous avions fait et ce dont nous avions été témoins. Quand le livre retraçant notre voyage (Freedom Sailors), fut publié, elle parcourut la côte ouest en ma compagnie afin de prendre la parole en public et de parler de cette première traversée menée à bien.

Mary Hughes Thompson avec Vittorio Arrigoni (*), l’activiste italien, sur le bateau vers Gaza, en août 2008.

L’un de ses derniers messages à ceux et celles d’entre nous qui ont travaillé, aimé et ri avec elle est très révélateur de sa personnalité :

« De grâce, ne soyez pas trop triste pour moi. J’ai vraiment eu une existence comblée de tant de bénédictions et de tant de bons amis. Il reste tant de choses que j’aurais souhaité faire, de promesses que je n’ai pas eu le temps de tenir, d’amis et d’amies que je n’ai pu embrasser une dernière fois. Ne me pleurez pas. Je suis emplie de gratitude envers vous. J’aime chacun et chacune d’entre vous, et bien davantage que vous ne pourriez l’imaginer. Mary. »

Très chère amie, tu nous manqueras terriblement à nous tous et toutes. Je suis fière de t’avoir connue et de t’appeler mon amie. Puisses-tu reposer en Palestine.


Publié le 7 février 2021 sur Free Gaza Movement
Traduction : Jean-Marie Flémal

(*) Vittorio Arrigoni a été assassiné à Gaza in 2011.

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MECA (Middle East Children’s Alliance)

Un terrain de jeux à la mémoire de Mary Hughes Thompson

Votre contribution à la Middle East Children’s Alliance (MECA – Alliance pour les enfants du Moyen-Orient), à la mémoire de Mary Hughes Thompson, sera utilisée pour aménager un terrain de jeux pour les enfants palestiniens vivant sous occupation et sous état de siège à Gaza.

Mary Hughes Thompson, 87 ans, est décédée le 5 février 2021 à Los Angeles, en Californie. C’était une femme déterminée, courageuse et joyeuse. Son existence a chevauché huit décennies et trois pays. Durant les dernières décennies de cette existence, elle aura été une avocate convaincue de la justice en Palestine, en Irak et aux États-Unis. Pouvez-vous faire un don en vue d’aménager un terrain de jeux en son nom à Gaza ? Mary serait très émue de savoir que nous aimerions l’honorer de la sorte.
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