Une Palestinienne de plus meurt au cours d’un raid nocturne de l’armée israélienne
Une Palestinienne de 69 ans est tombée morte d’une crise cardiaque chez elle, quand des soldats israéliens ont fait irruption au milieu de la nuit pour arrêter un parent qui n’était d’ailleurs pas présent. L’an dernier, les troupes israéliennes ont forcé l’entrée de quelque 2 500 maisons en Cisjordanie.
Gideon Levy / Alex Levac, 11 mars 2021
La soirée était agréable, au domicile de la famille Dalu, dans le petit village d’Abu Nujaym, perché en bordure du désert de Judée, près de Bethléem, en Cisjordanie. Une grand-mère, Rahma Dalu, regardait la télévision avec son fils, sa belle-fille et ses petits-enfants, ainsi qu’un voisin, avant d’aller au lit, un peu avant minuit. À 1 h 15, les habitants de la maison ont été brusquement éveillés par des bruits. Les enfants sont restés endormis mais Ali Dalu, le fils de Rahma, s’est redressé dans son lit, pris de peur. Sa mère, qui dormait dans la chambre voisine, s’était éveillée elle aussi à cause des allées et venues de l’autre côté de sa fenêtre. Elle aussi devait avoir été très effrayée.
Une vingtaine de soldats des Forces de défense israéliennes (FDI) se trouvaient dans la cour de la maison, accompagnés d’un chien ou deux. Les hommes grimpèrent jusqu’au deuxième étage de l’immeuble, qui en compte quatre, à la recherche du cousin d’Ali, Mohammed Abu Aahur, un homme divorcé de 30 ans qui travaille dans le studio de son père, à Bethléem.
Ali, 45 ans, toujours assis dans son lit, entendit une toux de plus en plus bruyante venant de la chambre de sa mère, en face de la cour où les soldats allaient et venaient. Il se précipita dans la chambre ; elle est pleine de couleurs, avec des cages à oiseaux accrochées aux murs et un lit de fer orné d’une couverture pourpre. Rahma était assise dans son lit. Elle se plaignait d’avoir mal à la poitrine et elle respirait difficilement. Ali ne savait pas que c’étaient les dernières bouffées d’air que sa mère de 69 ans allait prendre.
Le 17 février 2021, les FDI avaient déjà fait irruption dans la maison des Dalu. Rahma n’avait pas dit qu’elle se sentait mal, ce soir-là, nous explique aujourd’hui son fils ; elle s’était administré elle-même son injection nocturne d’insuline pour son diabète et était allée se coucher. Trois mois plus tôt, elle avait eu une légère attaque – mais elle était ressortie de l’hôpital Al-Hussein, dans la ville voisine de Beit Jala, sans dommage notable et elle s’était sentie bien depuis lors.
Le cousin, Mohammed Abu Aahur, un photographe spécialisé dans les mariages, vit à l’étage. L’an dernier, des soldats l’ont arrêté. Selon Ali, ils avaient traité les autres membres de la famille avec respect. Abu Aahur était accusé d’être en possession de pétards et autres pièces pour feu d’artifice, et de tirer en l’air lors de mariages. Il avait été condamné à quatre mois de prison pour avoir été en possession d’armes et s’était en outre vu infliger une amende de 25 000 shekels (soit environ 7 775 USD). Il n’avait jamais été arrêté auparavant et, d’après sa famille, il n’est actif dans aucune organisation politique.
Ensuite, le 17 février, des soldats étaient venus l’arrêter à nouveau. Ils avaient éveillé son père, Ibrahim Abu Aahur, qui vit à l’étage au-dessus, et lui avaient ordonné d’ouvrir la porte de l’appartement de son fils. Mohammed n’était pas là – il dormait chez un ami. Les soldats avaient effectué une perquisition complète, laissant les matelas et un tas d’autres affaires pêle-mêle sur le sol. Ali raconte que le père de Mohammed avait dit aux soldats qu’il pouvait appeler son fils et lui demander de revenir chez lui, mais les soldats lui avaient dit que ce n’était pas nécessaire. Il y avait toujours des affiches sur les murs pour féliciter Abu Aahur d’être sorti de prison quelques semaines plus tôt ; les soldats les avaient arrachées des murs et les avaient déchirées. Pendant que tout cela se passait – cela avait duré une heure environ, se souvient Ali –, il avait eu peur de quitter son appartement et l’état de sa mère n’avait cessé de se détériorer.
Ali éveilla sa femme, Rana, 32 ans, qui avait continué de dormir malgré tout ce tapage, et lui dit qu’il devait emmener sa mère à l’hôpital. Rahma avait essayé de s’habiller toute seule, mais elle était incapable de se mettre debout. Ali et Rana craignaient de demander de l’aide à d’autres proches dans l’immeuble, du fait que les soldats étaient toujours là mais, d’une façon ou d’une autre, il parvint quand même à emmener Rahma jusqu’à leur voiture. Les soldats ne les empêchèrent pas de sortir de la maison ni de s’en aller, pas plus qu’ils ne proposèrent leur aide. Rahma gisait sur le siège arrière, la tête posée sur le giron de Rana, pendant qu’Ali était en route vers l’hôpital Al-Hussein, à une dizaine de kilomètres de là. Mais, juste avant d’arriver, alors qu’il ne restait plus que 200 mètres environ à parcourir, Rahma cessa de respirer. Les efforts de la faire revenir à la vie furent inutiles. Les médecins confirmèrent son décès. Cause de la mort : infarctus du myocarde. Rahma fut enterrée le seul jour du mois dernier où il neigea ; on l’ensevelit dans la parcelle familiale près du tombeau de Rachel [les musulmans appellent ce site « mosquée Bilal bin Rabah, NdT], à Bethléem.
L’Unité du porte-parole des FDI a adressé la réponse suivante aux questions de Haaretz sur la raison du raid dans la maison d’Abu Nujaym : « Au cours de la nuit du 17 février 2021, les FDI ont effectué une recherche d’armes dans une maison du village d’Abu Nujaym, qui est sous la juridiction de la brigade territoriale d’Etzion. Suite à un rapport remis après l’opération et concernant le décès d’un membre de la famille d’un résident de l’immeuble, les faits feront l’objet d’une enquête. »
Ali nous dit ici qu’il ne blâme personne du décès de sa mère. Il nie carrément toute rumeur prétendant qu’elle a été battue par les soldats avant de mourir. Les militaires ne sont même pas entrés dans leur appartement, dit-il. Est-elle décédée de peur en entendant les militaires de l’autre côté de sa fenêtre, en pleine nuit, et est-ce cela qui a provoqué son accident cardiaque ? Rien ne permet de l’affirmer. Mais une question dérange : Pourquoi les soldats ont-ils fait tout ce cirque préalable, comme ils le font dans tant de maisons palestiniennes, chaque nuit ? De plus, Mohammed Abu Aahur a vécu chez lui sans le moindre problème depuis l’incident d’il y a quelques semaines, et il ne se cache pas ; pour autant que l’on sache, il n’est pas recherché par les autorités israéliennes. L’armée n’est pas revenue chez lui depuis lors. Pourquoi, dans ce cas, a-t-elle organisé ce raid ?
Son cousin Ali est convaincu que les militaires étaient impliqués dans un exercice en vue de les entraîner à effectuer des arrestations. Ce ne serait pas la première fois que des soldats procèdent de la sorte – faire se lever des femmes, des hommes, des personnes âgées et des enfants alors qu’ils sont profondément endormis dans leurs lits. Ce n’est pas non plus la première fois que des gens meurent au cours d’activités nocturnes aussi effrayantes.
L’organisation israélienne des droits humains B’Tselem a répertorié un certain nombre d’épisodes similaires. Le 26 novembre 2008, Hikmat Shukari al-Sheikh est morte d’une crise cardiaque quand des soldats sont venus arrêter son fils au camp de réfugiés de Qalandiyah. Le 18 septembre 2018, Mohammed Khatib, de Beit Rima, est décédé quelques heures après avoir été arrêté à son domicile. Mussa Abu Miala, 67 ans, du camp de Shoafat, a été blessé la nuit du 1er juin 2019, quand il a été bousculé par des hommes de la police des frontières déguisés en Arabes, et qui étaient venus arrêter son petit-fils. Il était mort 18 jours plus tard des complications résultant de sa blessure.
En un sens, plus pénible encore que les décès, c’est le nombre de raids nocturnes et autres opérations d’arrestation dont certains n’ont d’autre but que de semer la peur, de faire une démonstration de contrôle et de force, ou dans le cadre de l’entraînement des troupes afin qu’elles puissent entretenir leur vigilance. Naturellement, le fait que la plupart de ces opérations sont en contradiction flagrante avec les accords d’Oslo ne suscite plus le moindre intérêt en Israël.
Selon les données de B’Tselem, en 2020, une année relativement calme, les forces de sécurité israéliennes ont effectué au moins 3 000 raids nocturnes dans les villes et villages palestiniens. Ils ont fait irruption dans pas moins de 2 480 maisons et ont réveillé brutalement leurs occupants. Selon les données du quartier général palestinien de coordination et de liaison, depuis le début 2021 jusque ce lundi dernier, les FDI et le service de sécurité du Shin Bet ont effectué 692 patrouilles et 627 raids dans des maisons de villes et villages palestiniens, arrêtant 731 Palestiniens, dont 63 mineurs d’âge. Aucune nuit, pour ainsi dire, ne se passe sans qu’il y ait un raid ou une arrestation. Et, chaque fois, c’est effrayant. On peut même en mourir.
Publié sur Haaretz le 11 mars 2021
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine