Ici, à Jérusalem, nous, les Palestiniens, luttons toujours pour nos maisons

Nous ne pouvons leur permettre de voler nos maisons une fois de plus et nous refusons de continuer de vivre dans des camps de réfugiés alors que les colonisateurs vivent dans nos maisons.

16 avril 2021. Des activistes palestiniens et israéliens protestent contre l’expulsion de réfugiés palestiniens à Sheikh Jarrah, au profit de colons israéliens (Photo : Activestills)

16 avril 2021. Des activistes palestiniens et israéliens protestent contre l’expulsion de réfugiés palestiniens à Sheikh Jarrah, au profit de colons israéliens (Photo : Activestills)

Mohammed El-Kurd, 28 juillet 2021

Il y a quelques mois, l’attention du monde s’est portée sur Sheikh Jarrah, mon quartier, à Jérusalem sous occupation. Depuis des décennies, les colons israéliens, soutenus par leur État, tentent de nous expulser de nos foyers et de coloniser notre quartier. Les Nations unies ont qualifié ces expulsions forcées de crime de guerre. Moi, j’appelle ça du vol – car c’en est un.

En mai, nos efforts en vue de résister à cette mainmise a bénéficié d’une vague de solidarité de la part des Palestiniens à Jérusalem et bien au-delà, au cours de ce qu’on a appelé le Soulèvement ou l’Intifada de l’Unité. Les Palestiniens ont été soumis à la violence israélienne dans la partie orientale de Jérusalem – pas uniquement à Sheikh Jarrah, mais aussi à l’extérieur de la porte de Damas (elle-même un foyer d’intenses protestations), et à l’intérieur et aux alentours de la mosquée al-Aqsa –, violence qui a dégénéré ensuite en des agressions contre Gaza déjà en état de siège. Les Palestiniens se sont mobilisés et ont résisté et, dans le monde entier, des gens ont manifesté pour soutenir le droit des Palestiniens à la libération et à la décolonisation. Mais, après le cessez-le-feu, l’attention du monde s’est éloignée. Toutefois, pour les Palestiniens, la réalité n’a absolument pas changé.

À Sheikh Jarrah, les efforts en vue de nous déposséder n’ont pas ralenti. Notre quartier connaît un blocus depuis trois mois, assuré par les forces israéliennes, et complété de restrictions permanentes destinées à étouffer les existences des centaines de Palestiniens qui vivent en cet endroit. De plus, dans le même temps, des colons juifs armés, qui ont déjà occupé certaines de nos maisons, écument les rues en toute liberté. Chaque nuit, une douzaine de fanatiques agitant des armes patrouillent dans ma rue tout en bénéficiant d’une impunité arrogante. Ils sont protégés – et même soutenus – par les troupes qui assurent le blocus de notre communauté.

Pour ceux d‘entre nous qui vivent à Sheikh Jarrah, les preuves de ce partenariat entre les colons et l’État sont abondantes et écrasantes. Considérez les événements de deux journées du mois dernier. Le 21 juin, la police israélienne est venue dans le quartier après qu’un colon avait aspergé de spray au poivre quatre écolières dans la rue. Mais, quand les policiers sont arrivés, ils ont ignoré les gamines et ont arrêté deux jeunes Palestiniens. Naturellement, ils n’ont pas arrêté le colon – mais ils ont menacé d’arrêter mon frère parce qu’il filmait l’arrestation des deux garçons.

Plus tard, le même jour, des dizaines de colons armés se sont rassemblés dans une maison qui avait été saisie en 2009 à la famille Ghawi, déclenchant une nuit de violence qui, une fois encore, a vu la police militarisée participer à des agressions contre des résidents palestiniens de Sheikh Jarrah. À l’une des extrémités de la rue Othman-Bin-Affan, les forces d’occupation ont tabassé des Palestiniens à coups de bâton ; pendant ce temps, à l’autre bout de la rue, des colons balançaient de gros cailloux et pourchassaient avec du spray au poivre les adolescents qui protestaient. Des journalistes venus sur place ont également été pris pour cibles. Plusieurs jeunes Palestiniens ont tenté d’empêcher cette répression en lançant des pétards en direction des colons. Avant la fin de la nuit, un certain nombre de maisons palestiniennes – dont la nôtre – ont été envahies par les forces israéliennes.

Le lendemain matin, comme j’avais ramassé une dizaine de fragments de grenades incapacitantes, mon voisin m’a interrompu pour me montrer des dizaines d’autres munitions qui avaient été tirées. Ses enfants les avaient déployées sur leur table extérieure, comme une collection de souvenirs macabres. Le même jour, un membre de la Knesset israélienne, Bezalel Smotrich, a fait irruption dans la maison de ma famille, en compagnie de Tzahi Mamo, le directeur de Nahalat Shimon International – une société privée, enregistrée aux États-Unis, qui œuvre à saisir notre quartier et à le nettoyer de ses Palestiniens. Nahalat Shimon International intente des procès en s’appuyant sur la législation raciste israélienne, sur des documents fabriqués de toutes pièces et sur des juges colons afin d’expulser les Palestiniens de leurs maisons et de céder ensuite les propriétés aux colons. Quand des juristes se pointent à ma porte pour me notifier que je vais être dépouillé de ma maison, ce que les Palestiniens disent depuis des décennies se confirme : les colons et l’État son bel et bien les reflets l’un de l’autre.

Je suis las de rapporter les mêmes brutalités quotidiennement, de réfléchir à de nouvelles façons de décrire ces évidences. La situation à Sheikh Jarrah n’est pas difficile à comprendre : c’est une parfaite illustration du colonialisme de peuplement, un microcosme de la réalité que vivent les Palestiniens depuis 73 ans de domination sioniste. Ce vocabulaire n’a rien de théorique. Il est manifeste dans les tentatives de nous expulser de nos maisons de sorte que les colons puissent les occuper – avec le soutien du régime, dont les forces et la politique fournissent un soutien violent à l’éviction d’une population pour en installer une autre à sa place.

Je me moque de savoir qui cette terminologie peut offenser. Colonial est le terme qui convient pour qualifier un État dont les forces s’associent à la violence des colons ; dont le gouvernement collabore avec des organisations de peuplement ; dont le système judiciaire utilise des lois expansionnistes pour réclamer indûment nos maisons ; dont les lois de l’État-nation confirment que « le peuplement juif » est une « valeur nationale (…) à encourager et promouvoir ». L’appétit témoigné pour les terres palestiniennes – mais sans les Palestiniens – n’a pas faibli depuis plus de sept décennies. Je le sais, j’en fais l’expérience en permanence.

Le 2 août, la Cour suprême israélienne, dont la juridiction sur la partie orientale de Jérusalem défie les lois internationales, va décider si elle acceptera l’appel de ma famille et de trois autres en tant que dernier obstacle juridique avant que nous ne soyons expulsés. Des ajournements ont eu lieu précédemment. Les Palestiniens sont habitués à ce genre de retard intentionnel ; il sert à tester notre persévérance. Mais nous sommes aussi obstinés que tous ceux qui sont confrontés à la perspective de perdre leur maison – leur vie, leurs souvenirs – au profit de ceux qui recourent à la force, à l’intimidation et à des lois on ne peut plus arbitraires.

Face à cette cruauté et en dépit des gaz lacrymogènes et de l’eau au « skunk », nous résistons. Nous ne pouvons leur permettre de voler nos maisons une fois de plus et nous refusons de continuer de vivre dans des camps de réfugiés alors que les colonisateurs vivent dans nos maisons. Nous ne pouvons leur permettre de nous jeter en plus grands nombres encore à la rue. Nous sommes las d’être transformés en une population de réfugiés, un quartier après l’autre,  une maison à la fois.

Je n’ai aucune confiance dans le système judiciaire israélien ; c’est une composante de l’État colonial de peuplement, construit par des colons pour des colons. Je ne m’attends pas non plus à ce qu’interviennent en notre faveur les gouvernements internationaux, qui sont profondément complices de l’entreprise coloniale israélienne. Mais j’ai foi en ces gens du monde entier qui protestent et exercent des pressions sur leurs gouvernements afin qu’ils mettent un terme à ce qui constitue essentiellement un soutien inconditionnel à la politique israélienne.

Ce ne sont pas des déclarations de condamnation et des froncements de sourcils qui feront cesser l’impunité et les crimes de guerre. Nous, les Palestiniens, avons maintes et maintes fois exprimé le genre de mesures politiques transformatives qu’il fallait prendre – tels que les boycotts par la société civile et les sanctions au niveau de l’État. Le problème, ce n’est pas l’ignorance, c’est l’inaction.


Publié le 28 juillet 2021 sur The Guardian
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

Mohammed El-Kurd est un écrivain et poète palestinien de Jérusalem.

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