Le mouvement syndical américain de plus en plus solidaire avec les Palestiniens

Bien qu’elle soit encore marginale, cette solidarité ouvrière avec la Palestine, sans précédent et en pleine expansion, a le potentiel de briser enfin la mainmise centenaire du sionisme sur le mouvement ouvrier aux États-Unis, et d’organiser le pouvoir des travailleurs dans leurs organisations syndicales et sur le lieu de travail pour aider à renverser l’Israël de l’apartheid.

Suzanne Adely et Michael Letwin, 26 août 2021

En mai dernier, les travailleurs palestiniens ont lancé un appel urgent à la solidarité internationale contre une forte escalade de la violence israélienne. Leurs appels ont suscité une réaction sans précédent, même aux États-Unis, où les autorités syndicales ont longtemps soutenu le dernier régime d’apartheid au monde.

Ce changement radical se reflète dans les déclarations des organismes syndicaux américains et, surtout, de Block The Boat, qui a réussi à empêcher un navire israélien de ZIM Lines d’accoster sur la côte ouest américaine en mai et juin.

Plus profondément, cette mobilisation fait écho à une plus longue histoire de résistance de la classe ouvrière américaine au sionisme – l’idéologie coloniale qui sous-tend le régime israélien – ainsi qu’à la solidarité avec les BIPOC (Noirs, Autochtones, Personnes de couleur) et d’autres mouvements populaires de justice sociale aux États-Unis.

Appels des syndicats palestiniens

Le mouvement de boycott, désinvestissement et sanctions (BDS), qui a été soutenu par la quasi- totalité de la société palestinienne – y compris ses syndicats – s’inspire de la campagne mondiale de désinvestissement qui a contribué à faire tomber l’Afrique du Sud de l’apartheid, et s’appuie sur des décennies de résistance palestinienne à la colonisation israélienne.
Elle exige la fin de l’occupation et de la colonisation israéliennes de toutes les terres arabes, le démantèlement du mur d’apartheid en Cisjordanie, l’égalité totale pour les citoyens palestiniens d’Israël et la mise en œuvre du droit des réfugiés palestiniens à retourner dans leurs foyers.
Le 13 mai, en réponse à la dernière offensive israélienne, deux fédérations syndicales palestiniennes ont lancé un appel urgent à la solidarité,

« demandant à nos frères et sœurs du mouvement syndical international de cesser de prendre en charge les marchandises importées ou exportées vers Israël ».

Le 18 mai, les syndicats palestiniens ont contribué à l’organisation d’une grève générale observée par des centaines de milliers de personnes dans toute la Palestine historique. Cet acte de résistance massive fait écho à la grève générale palestinienne de 1936 contre le sionisme et le colonialisme britannique, qui reste – à six mois près – la plus longue de l’histoire mondiale.

Le même jour, la fédération syndicale de Gaza a lancé un appel invitant les syndicats américains à

« boycotter l’occupation israélienne et ses institutions, et à refuser de traiter de quelque manière que ce soit avec eux, notamment en n’achetant aucun de leurs produits, en refusant de décharger leurs navires et leurs marchandises des ports et des aéroports, et en faisant pression sur eux pour qu’ils cessent leurs pratiques racistes ».

Réponse internationale du monde du travail

En réponse à ces appels, le 14 mai, les dockers italiens ont refusé d’expédier des armes à Israël et, peu après, les dockers de Durban, en Afrique du Sud, ont refusé de décharger des marchandises israéliennes. Cette action faisait écho aux dockers d’Afrique du Sud, d’Inde, de Suède, de Norvège, de Turquie et desÉtats-Unis qui, les années précédentes, avaient refusé de prendre en charge des marchandises israéliennes pendant les bombardements en série d’Israël qui ont tué et mutilé des milliers de Palestiniens.

Le 18 mai, le Conseil international des dockers a demandé

« à tous les dockers de faire preuve de la solidarité qui a été démontrée tant de fois dans tant de conflits. Nous ne pouvons nous permettre d’être complices de cette violence en travaillant sur des navires qui exploitent des marchandises de guerre destinées à massacrer des civils et des enfants. Ne permettons pas que cela entache notre nom ou ternisse nos consciences ».

Le mouvement ouvrier américain et le sionisme

Aux États-Unis, les hauts responsables syndicaux soutiennent depuis longtemps le projet sioniste, à commencer par la déclaration Balfour de 1917, qui envisageait un « foyer national juif » minoritaire, dans l’espoir de détourner le large soutien des Juifs à la révolution russe, et de servir d’avant-poste colonial européen en Palestine.

Rapidement, ils se sont ralliés à la Histadrout, la fédération syndicale sioniste, qui a été le fer de lance de l’apartheid, de la dépossession et du nettoyage ethnique anti-palestiniens, y compris la Nakba (catastrophe) qui a établi l’État israélien en 1948.
Au cours des décennies suivantes, les dirigeants syndicaux américains, toutes tendances politiques confondues, ont soutenu les guerres israéliennes, ont qualifié d’« antisémites » ceux qui critiquaient l’alliance étroite d’Israël avec l’Afrique du Sud de l’apartheid et ont acheté d’énormes quantités d’obligations de l’État d’Israël, parallèlement au soutien économique et militaire global des États-Unis à l’État israélien.

Ce sionisme ouvrier a été coordonné par le porte-parole américain de la Histadrut, le Jewish Labor Committee (JLC). Tout en se présentant comme progressiste, le JLC a une longue histoire de promotion d’Israël, des guerres d’empire américaines et du racisme – y compris en soutenant la grève des enseignants de la ville de New York en 1968 contre le contrôle des écoles par la communauté , et en soutenant les offensives contre l’affirmative action. Dirigé aujourd’hui par Stuart Appelbaum, président du Syndicat des travailleurs de la vente au détail (RWDSU), le JLC a mobilisé le défunt président de la AFL-CIO, Richard Trumka, et pratiquement tous les hauts responsables syndicaux américains pour attaquer le mouvement BDS.

Racines du soutien du mouvement syndical au BDS

Malgré cela, le mouvement BDS a des racines profondes, bien qu’étroites, dans l’antisionisme ouvrier. En 1969, la League of Revolutionary Black Workers, basée à Détroit, a soutenu la lutte palestinienne comme faisant partie de la résistance mondiale à l’oppression.

Le 14 octobre 1973, 3 000 travailleur·euses arabes de l’automobile à Detroit ont organisé une grève sauvage pour protester contre l’achat par la section syndicale 600 de l’UAW (syndicat de l’automobile) de 300 000 dollars d’obligations israéliennes. Le 28 novembre 1973, des travailleur·euses arabes et d’autres travailleur·euses de l’automobile ont protesté contre la remise du « prix humanitaire » de l’organisation sioniste B’nai B’rith au président de l’UAW, Leonard Woodcock.

Cet antisionisme syndical a commencé à réapparaître peu après le 11 septembre. Le 18 avril 2002, la section locale 10 du syndicat Longshore and Warehouse Union (ILWU), qui compte un grand nombre de membres noir·es et a une longue histoire de combat pour la justice sociale, a condamné les attaques d’Israël en Cisjordanie et a « demandé l’arrêt de toute aide militaire à l’État d’Israël ». Le même jour, New York City Labor Against the War, une organisation multiraciale de base, a appelé à la fin de l’aide militaire américaine à Israël, au retrait israélien de la Cisjordanie et de Gaza, et au soutien du droit au retour des Palestinien·nes et affirmé son soutien aux résistants militaires israéliens.

En 2004, pour renforcer cette solidarité, Al-Awda NY : The Palestinian Right to Return Coalition et New York City Labor Against the War ont fondé conjointement Labor for Palestine, un réseau intersyndical dont les déclarations ont été approuvées par des milliers de syndicalistes.

En 2010 et 2014, en réponse à l’intensification des attaques israéliennes contre Gaza, les dockers de la côte ouest des sections locales 10 et 34 de l’ILWU à Oakland ont refusé de décharger les marchandises de ZIM Lines, la principale compagnie maritime israélienne. Cette décision s’inscrit dans une longue tradition de l’ILWU, qui a refusé de prendre en charge des marchandises destinées à l’Allemagne nazie (1934), à l’Italie fasciste (1935), au Chili (1978), à l’Afrique du Sud (1984) et aux guerres américaines en Irak et en Afghanistan (2008).

Peu après, les étudiants diplômés membres de la section 2865 de l’UAW à l’université de Californie, l’Electrical Workers (UE) et un petit nombre d’autres organisations syndicales ont publié des déclarations pro- BDS (bien que la résolution de la section 2865 ait été unilatéralement annulée par l’UAW), souvent avec le soutien affirmé de membres juifs opposés au sionisme.

Ces développements reflètent également la solidarité croissante entre les luttes de Black Lives et des Palestiniens.

Nouvelle solidarité syndicale avec la Palestine

En réponse aux appels lancés par les syndicats palestiniens en mai 2021, une nouvelle série de déclarations de solidarité a été publiée – non seulement par Labor for Palestine, Labor Against Racism and War, the United Electrical Workers et UAW 2865, mais aussi par des organismes syndicaux qui ne l’avaient jamais fait auparavant.

Ces nouvelles voix sont celles de NewsGuild-CWA, de la section 36 des couvreurs, de la section 804 des Teamsters, des sections 23 et 17 de Unite Here, de United Educators of San Francisco (section 61 de l’AFT), de la Seattle Education Association, de la Graduate Labor Organization de l’université Brown, la Georgetown Alliance of Graduate Employees, le Vermont State Labor Council, le Professional Staff Congress de la City University of New York, la Rutgers AAUP-AFT, le Part-Time Lecturer Chapter of Rutgers AAUP-AFT (Local 6324), et la Legal Services Staff Association (UAW Local 2320).

Surtout, Block the Boat, une campagne communautaire et syndicale lancée pour la première fois en 2014 par l’Arab Resource and Organizing Center, a réussi à empêcher le navire israélien ZIM Lines Volans d’accoster n’importe où sur la côte ouest en mai et juin, et a inspiré des campagnes Block the Boat dans d’autres ports américains et canadiens.

Bien qu’elle soit encore marginale, cette solidarité ouvrière avec la Palestine, sans précédent et en pleine expansion, a le potentiel de briser enfin la mainmise centenaire du sionisme sur le mouvement ouvrier aux États-Unis, et d’organiser le pouvoir des travailleurs dans leurs organisations syndicales et sur le lieu de travail pour aider à renverser l’Israël de l’apartheid.


Publié le 26 août sur Labor Notes
Traduction : Patrick Le Tréhondat, Réseau Syndical International de Solidarité et de Luttes 

-Suzanne Adely est cofondatrice de l’Arab Workers Resource Center, membre de l’U.S. Palestine Community Network, et présidente élue de la National Lawyers Guild.

-Michael Letwin est un ancien président de l’Association of Legal Aid Attorneys/UAW Local 2325, membre du collectif d’organisation de l’USACBI : The U.S. Campaign for the Academic and Cultural Boycott of Israel, co- fondateur de Jews for Palestinian Right of Return, et membre du groupe de travail de la DSA sur le BDS et la solidarité avec la Palestine.

Tous deux sont membres de Labor for Palestine, Al-Awda NY : The Palestine Right to Return Coalition, et Block The Boat NY/NJ.

Lisez également : BDS gagne en intensité avec les actions de #BlockTheBoat à Oakland et à Seattle

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