Le renforcement de l’activisme au sein de la société civile palestinienne (1)

Note de la rédaction de Newlines Institute : Cet article sur l’activisme palestinien est divisée en deux parties. Cette première partie se concentre sur les Palestiniens de Jérusalem et sur les Palestiniens vivant en Israël. La seconde sur les Palestiniens des territoires occupés en 1967.

La division selon ce schéma reflète la chronologie des événements tout en reconnaissant pleinement les demandes et préoccupations partagées des Palestiniens de ces diverses régions au cours de « l’Intifada de l’unité »

“Un peuple uni, un seul combat”, “Haifa, Al-Quds, Gaza, Al-Lydd, Al-Ramla, Akka (Acre)”

“Un peuple uni, un seul combat”, “Haifa, Al-Quds, Gaza, Al-Lydd, Al-Ramla, Akka (Acre)”

Dana El Kurd, 5 octobre 2021

Les Palestiniens de Jérusalem, d’Israël en deçà de la Ligne verte et des territoires occupés lors de la guerre des Six-Jours, en 1967, ont appris avec le temps – et les uns des autres – comment se débrouiller avec l’évolution des méthodes israéliennes de ciblage des activistes et des institutions en vue de les paralyser. Cela va compliquer la tâche d’Israël dans sa volonté d’isoler l’opposition et la réduire à une seule zone.

Israël sape l’activisme et la société civile des Palestiniens depuis 1994, c’est-à-dire depuis les accords d’Oslo. Malgré les obstacles créés par Israël, les Palestiniens ont fait preuve d’une ingéniosité incroyable, consacrant leur énergie à mobiliser de nombreuses façons novatrices. De nouvelles générations d’activistes ont également montré la voie de façon plus efficace sur les plates-formes des médias sociaux. Tout cela a contribué à modifier le discours sur la cause palestinienne. Les organisations et médias internationaux continuent à produire des évaluations qui ignorent la cause de base de la violence et de la répression et qui font souvent passer en premier les voix occidentales au détriment de celles des Palestiniens. Pourtant, les activistes palestiniens en deçà de la Ligne verte, dans les territoires et dans la diaspora ont obtenu une victoire, sur le front narratif, particulièrement dans la dernière vague de mobilisation tant en Israël que dans les territoires et dans la diaspora. De plus, l’étendue géographique de l’activisme et de la société civile des Palestiniens va compliquer la tâche d’Israël dans sa volonté d’isoler l’opposition et de la réduire à une seule zone.

Ces développements ont eu lieu en dépit du ciblage par Israël de l’activisme de la société civile palestinienne au cours de la décennie écoulée. Il a résulté du cadre d’Oslo que les organisations de masse ont été cooptées et balayées dans un processus qualifié de « ONG-isation », du fait que les donateurs internationaux ont exigé qu’elles se « professionnalisent ». Des recherches ont montré à quel point ces considérations concernant le financement ont servi comme une forme de pacification politique, pour ces organisations. D’autres qui ne se sont pas engagées dans cette voie ont simplement cessé de fonctionner. Les organisations de la société civile palestinienne ont été également attaquées à Jérusalem, lorsque les autorités israéliennes ont dissous les organisations aussi bien politiques que non politiques qui servaient les Palestiniens dans la ville, y compris des institutions comme le théâtre palestinien ou la Chambre de commerce.

Les Palestiniens sont les seuls à subir ces attaques, mais tous ceux qui expriment un désir de résolution pacifique de l’occupation israélienne – une résolution qui ne soit pas élaborée sur la répression brutale d’un parti, quel qu’il puisse être – devraient prendre cette dynamique en considération. De plus, s’il y a des inquiétudes concernant le recours à la violence et autres bains de sang, les décideurs politiques devraient alors tenir compte de l’accroissement de la répression israélienne, qui a érodé le soutien palestinien à la perspective de la paix ainsi qu’à la viabilité des méthodes non violentes.

Jérusalem 

Les Palestiniens de Jérusalem ont une relation unique avec l’autorité politique israélienne. Ils ne possèdent pas la citoyenneté israélienne, au contraire de la minorité palestinienne en deçà de la Ligne verte, et ils ne possèdent pas non plus la citoyenneté palestinienne. Ils bénéficient de très peu de services en échange des taxes exorbitantes qu’ils doivent payer et courent un risque constant de déportation via l’utilisation stratégique du mur de séparation, le recours aux expropriations de maisons et à une politique du logement discriminatoire. Les Palestiniens de Jérusalem sont également privés de tous droits, n’ayant rien à dire dans les processus politiques qui les gouvernent (le gouvernement israélien ou l’Autorité palestinienne). Les institutions palestiniennes de la ville ont été systématiques ciblées et souvent dissoutes et les partis politiques palestiniens ne sont en aucun cas autorisés à fonctionner.

Bien que les Palestiniens de Jérusalem soient environ 370 000 et que, par conséquent, ils ne constituent que 5 pour 100 du total de la population palestinienne vivant entre le fleuve et la mer, les tentatives d’Israël en vue de marginaliser, fragmenter et priver de tout pouvoir cette communauté ont débouché sur des ouvertures politiques uniques. Les Palestiniens de Jérusalem sont confrontés à l’occupation israélienne et à ses mesures discriminatoires sans qu’il y ait d’intermédiaires politiques. Pendant ce temps, les Palestiniens de Cisjordanie doivent se faufiler parmi des formes labyrinthiques de contrôle spatial et politique ainsi qu’entre les diverses strates d’une autorité politique répressive.

Étant donné leur privation de citoyenneté, les Palestiniens de Jérusalem ont également avec l’État une relation différente de celle des citoyens palestiniens d’Israël. Sans possibilité de participation politique, même marginale, leur relation avec l’État est plus antagoniste. La menace régulière d’expulsion et la constellation unique des doléances, de même que, en un certain sens, un degré de liberté vis-à-vis de l’encombrement politique posé ailleurs par les institutions palestiniennes en stagnation, ont poussé les Jérusalémites à défier en permanence l’occupation, avec la ville en tant que point de focalisation de la mobilisation palestinienne au sens plus large.  

Ce n’est pas parce qu’Israël permet plus d’organisation à la société civile que ne le permettent les autorités palestiniennes ; comme on l’a mentionné plus haut, les activistes palestiniens sont régulièrement soumis à des attaques, leurs organisations sont contraintes de se dissoudre et ils doivent affronter des mesures extrêmement punitives pour le moindre type d’engagement politique. Mais, étant donné le contact plus direct avec les forces d’occupation israéliennes et leurs mesures, les Palestiniens de Jérusalem doivent résister plus activement par nécessité. Dans leur résistance, ils galvanisent et éduquent les activistes dans d’autres parties des territoires.  

Les protestations qui ont éclaté en avril 2021 suite à la répression exercée au cours du mois de Ramadan et la bataille en même temps autour de l’expulsion des familles de Sheikh Jarrah n’étaient en aucune façon les premières à Jérusalem. Les Palestiniens de Jérusalem se sont engagés dans des vagues périodiques de protestation, chacune agissant comme un processus interactif d’apprentissage et de coordination que les Jérusalémites ont été à même de mettre sur pied par vagues successives.

Tout au long de ces vagues, la société civile de Jérusalem est restée active en dépit du peu d’attention internationale ou de soutien matériel de la part du monde extérieur. Des organisations comme Al-Haq, Grassroots Al-Quds, Jerusalem Legal Aid and Human Rights (Assistance juridique et droits humains), Jerusalem Center for Human Rights (Centre pour les droits humains) et d’autres s’emploient à fournir de l’aide juridique aux familles confrontées à l’expulsion, à les défendre au sein de la municipalité israélienne qui gouverne les Palestiniens, à consigner les abus dans le domaine des droits humains et à faciliter la mobilisation populaire. Les organisations religieuses, dont certaines ont des liens avec le mouvement islamique en Israël, ont également assumé un rôle dans le maintien de la présence palestinienne sur le site de la mosquée Al-Aqsa.  

Aujourd’hui, les activistes disent que la clé de la poursuite de la mobilisation en vue de soutenir le défi posé par l’occupation israélienne en cours, consiste à exploiter à fond le grand moment qu’ont été les protestations d’avril et mai. Lors de la dernière vague, les activistes au sein des organisations officielles de la société civile, comme Grassroots Al-Quds, ont utilisé leur présence et leur expertise en tant que médias sociaux pour formuler des déclarations et fournir des informations destinées à un usage élargi. D’après une interview de la directrice Fayrouz Sharqawi, les membres ne dirigeaient pas les protestations de la même façon que celles de Sheikh Jarrah ou que les protestations de soutien des prisonniers politiques ; ils amplifiaient leur impact. Les organisateurs de la société civile étaient également actifs dans la promotion la facilitation de la grève économique du 18 mai. Ces méthodes indiquent bien la manière dont les organisations de la société civile, qui servent les résidents de la ville, sont activées d’autres façons quand apparaissent des opportunités politiques.

 

Les Palestiniens en Israël même 

« On n’a pas le temps. Nous avons un seul but, cette semaine : planter dans la tête de chaque Palestinien l’idée que son intérêt personnel et son gain personnel ne peuvent jamais au grand jamais être séparés de l’intérêt et du gain de sa famille, de sa société et de son peuple. »

Majd Kayyal, activiste palestinien, Palestine Economic Week, 5 juin 2021. 

Cela fait longtemps que les deux millions de Palestiniens qui vivent dans les frontières d’Israël de 1948 sont ciblés par l’État, parfois de façon très semblable à celle des Palestiniens ailleurs, en dépit de leur statut de citoyenneté. Néanmoins, ils sont des citoyens sur papier, avec des passeports et une prétendue représentation auprès du gouvernement israélien et, par conséquent, certaines institutions – comme la Knesset – leur sont ouvertes pour certains types d’engagement. L’organisation qui a coordonné les communautés palestiniennes en deçà de la Ligne verte a traditionnellement été le Comité supérieur de suivi, qui comprend à la fois des partis politiques et des mouvements qui s’engagent dans la Knesset et d’autres pas.  

Mais ces organisations traditionnelles ont lutté pour maintenir leur pertinence et pour rester populaires dans la communauté palestinienne en deçà de la Ligne verte, face en même temps à la répression israélienne et au passage de plus en plus marqué vers l’extrême droite de la politique israélienne. Les partis politiques arabes se sont battus contre les expulsions de certains de leurs dirigeants, contre les difficultés à maintenir leur unité ainsi que contre  une absence de partage dans la vision du futur de la Palestine. De plus, les autorités israéliennes ont mis hors-la-loi le Mouvement islamique (branche du nord), qui avait engendré, ces dernières années, une partie de la coordination de part et d’autre de la Ligne verte entre les citoyens et leurs compatriotes occupés de Jérusalem.

Bien que le mouvement islamique ait été démantelé, la mise sur pied d’un mouvement dans laquelle il s’engagea – du moins avec un segment particulier de la société palestinienne – présente des ramifications claires aujourd’hui. Par exemple, lors de la toute dernière vague de protestations, bien des citoyens palestiniens d’Israël qui avaient été influencés par le discours et l’organisation de mouvement islamique organisèrent eux-mêmes, indépendamment de sa direction, des envois d’autocars à Jérusalem en guise de solidarité avec les Palestiniens qui y protestaient.  

Au travers du reste du spectre politique, les dirigeants de parti sont perçus comme liés à l’État israélien, tout en se chamaillant autour des sièges de la Knesset et en se coordonnant avec des extrémistes israéliens de droite (comme ce fut le cas pour Mansour Abbas et le parti Raam, connu également sous l’appellation de Liste arabe unie), plutôt que d’aborder les problèmes auxquels sont confrontés les Palestiniens au sens large. Par conséquent, les institutions traditionnelles et les dirigeants de ces organisations sont de plus en plus impopulaires du côté des activistes politiques. Ces activistes rejettent leur contrôle sur la communauté, leur insistance envers des relations de clientélisme, et leur présentation de la lutte palestinienne comme étant simplement un problème de citoyenneté. Pour ces raisons, le Comité supérieur de suivi est perçu de plus en plus comme un obstacle à une mobilisation efficace. 

En lieu et place, lors de la toute dernière vague de protestations, des comités populaires locaux sont apparus dans plusieurs villes et villages en réponse à la répression de l’État. Ces groupes semblent avoir brisé le monopole des institutions traditionnelles et se coordonnent désormais avec d’autres communautés et organisations de la société civile, y compris celle de Jérusalem. Dans leurs activités figurent de l’aide juridique aux prisonniers politiques, des tournées de solidarité liant des Palestiniens de différentes villes, l’organisation de protestations contre la répression policière et d’autres choses encore. Des organisations en place depuis longtemps, comme Adalah, fournissent des ressources et de la documentation, mais bien d’autres efforts citoyens sont apparus dans un même temps.

Les activistes ne cessent de répéter que la cohésion sociale est la clé du succès de ces efforts et ils tentent activement de bâtir la solidarité entre les communautés ainsi qu’au sein même des communautés. Un activiste fait remarquer :

« Nous inculquerons l’idée chez chaque Palestinien qu’il est impossible de séparer son intérêt personnel et son bénéfice personnel de l’intérêt collectif, de celui de sa famille, de sa société, de son peuple. »

Ils l’ont fait en mettant en exergue la participation des femmes, ainsi qu’en modifiant le discours autour des doléances des communautés palestiniennes à l’intérieur d’Israël.

Plutôt que d’en faire une question de citoyenneté incomplète ou non réalisée, les activistes mettent en exergue les façons dont leur colère, qui a bouilli longtemps contre l’État et contre la répression subie par leurs communautés, est liée à la logique de l’État israélien à l’égard des Palestiniens de partout, une logique qui cherche à dominer et à remplacer la population autochtone. Cela adopte de nombreuses formes : un violent nettoyage ethnique comme la Nakba, l’ébranlement sur le plan économique des communautés palestiniennes afin de les pousser à quitter leur terre natale et l’utilisation d’une citoyenneté limitée comme un moyen de « classifier les populations, de créer la différence, et d’exclure, de racialiser et d’éliminer les peuples autochtones ». et comme « une politique de détournement qui agit en vue de contenir les subjectivités et luttes autochtones dans le cadre d’une grammaire libérale des droits ».  

Cette façon de voir les choses est la base de l’activisme en deçà de la Ligne verte aujourd’hui. En effet, les citoyens palestiniens d’Israël prennent la direction d’actions qui, pour cette raison, engagent les Palestiniens des diverses géographies. Une telle dynamique pose le plus grand défi à la volonté d’Israël d’aller de l’avant, puisque sa fragmentation intentionnelle du peuple palestinien – en recourant à la citoyenneté – cesse de fonctionner. Il deviendra quasiment impossible d’isoler la mobilisation et l’opposition et de la limiter à une communauté particulière ou localement. Les Palestiniens ne limiteront pas leurs doléances à l’occupation de la Cisjordanie ou au blocus de Gaza, en dépit de dizaines d’années de tentatives de la communauté internationale de ramener les contours du conflit dans ce genre de limites plus étroites. La progression, l’opposition à Israël et au caractère de l’État israélien viendront de nombreux fronts.

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Publié le 5 octobre 2021 sur Newlines Institute
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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