Pourquoi je me suis retiré d’une rencontre littéraire à l’Institut du monde arabe

En réponse à l’Appel du Palestinian Academic and Cultural Boycott of Israel (PACBI), j’ai annulé ma participation à une rencontre littéraire pour présenter mon roman, prévu à l’Institut du monde arabe le 11 décembre 2021. (*)

Karim Kattan. Photo : Héli Chelli

Karim Kattan, 2 décembre 2021

Étant donné l’absence d’information à ce sujet en français, je voudrais rapidement éclairer le contexte.

L’Appel a été émis en réaction à la présence de nombreuses œuvres, prêtées par la fondation Ben Svi et par le Musée d’Israël. Celles-ci sont explicitement présentées comme « le premier fruit des Accords d’Abraham » par le professer Denis Charbit de l’Open University of Israel, qui a participé activement à l’élaboration de l’exposition, soulignant qu’elle n’aurait jamais pu avoir lieu sans la contribution des institutions israéliennes.

Le Musée d’Israël est un musée colonial s’il en est, qui occupe en partie et efface un autre musée, palestinien celui-ci, et dont la collection est constituée à partir du pillage et du vol des collections palestiniennes. A un moment de l’histoire où le patrimoine muséal est interrogé à tous les coins de rue, il est incroyable qu’un tel geste passe inaperçu.

Une exposition sur les « juifs d’Orient » dans leur diversité ne peut émaner d’une telle collection qui, au contraire, vise à solidifier l’existence d’ethno-nationalismes congelés, empêtrés dans des contradictions sans fin. Israël s’approprie les histoires des communautés juives arabes et non-arabes qui ont existé (et qui existent toujours) à travers ce soi-disant monde arabe, pour constituer un mythe national belliqueux, et pour assigner une identité israélienne aux juif.ve.s, tout en détruisant leurs héritages.  A cela, nous opposons une pensée de la fluidité et du devenir qui se soustrait à l’amnésie colonial.

J’aurais voulu dire que c’est une occasion ratée de faire une belle exposition sur les juif.ve.s du Maghreb et du Machrek. Mais je pense bien au contraire que la réussite est là : mettre les Palestinien.ne.s au pied du mur, leur imposer encore une fois, sous couvert d’humanisme, un choix impossible. 

Cette exposition constitue un geste pernicieux qui vise à délégitimer d’emblée nos demandes, en les présentant comme fondamentalement anti-humanistes (qui, au fond, voudrait être contre une exposition qui se targue d’être une célébration de nos héritage plurimillénaires ?), et en nous forçant à consentir à notre propre destruction.

Pour toutes ces raisons et parce que je crois dans l’existence d’autres histoires pour notre pays, d’autres alliances, d’autres libertés, je répond à l’appel de boycotter entièrement l’Institut du Monde arabe.

Et je vous propose d’aller chercher ailleurs des histoires juives, car elles sont là, nombreuses, riches et véritablement humanistes. Par exemple : il y a deux jours Ariella Aïsha Azoulay a publié dans la Boston Review un essai émouvant qui illustre mille fois mieux la pluralité des communautés juives, qu’une exposition de propagande. Ou encore, ce film de Simon Bitton, Ziyara (2020), que je n’ai pas encore vu, et qui s’intéresse à une tradition de pèlerinage partagés par les juifs et les musulmans au Maroc.

Parce que ce geste de boycott n’est pas une censure, mais la possibilité de faire naître des espaces du devenir, pour nous et à nous, et sans concessions.

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(*) à Paris

Texte transcrit à partir de la publication de Karim Kattan sur Instagram.

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