Un tribunal hollandais maintient l’immunité de Benny Gantz pour ses crimes de guerre
Mardi, un tribunal hollandais a décidé que deux importants commandants de l’armée israélienne ne pouvaient être poursuivis pour avoir tué une famille palestinienne dans la bande de Gaza.
La cour d’appel de La Haye a décidé que les commandants bénéficiaient de l’« immunité fonctionnelle » du fait qu’ils agissaient au nom de l’État israélien.
Adri Nieuwhof, 7 décembre 2021
La décision est un camouflet au visage d’Ismaïl Ziada et de tous les Palestiniens qui, une fois de plus, se retrouvent bloqués dans leur quête de justice.
S’adressant à des supporters à l’extérieur du tribunal, Ziada a qualifié de « honteuse » et de « lâche » la décision de la cour d’appel.
« Aujourd’hui, ce n’est pas un jour facile pour moi parce qu’à Gaza, nous sommes soumis à un massacre militaire et qu’à La Haye, nous sommes soumis à un massacre judiciaire »,
a ajouté Ziada.
« C’est juste à cause d’Israël. Rien d’autre. Ce n’est pas une question de justice »,
a déclaré Ziada à propos du jugement.
Le citoyen palestino-hollandais a intenté un procès à Benny Gantz, commandant en chef de l’armée israélienne, à l’époque, et à Amir Eshel, responsable des forces aériennes durant la même période, pour leur décision de bombarder la maison de sa famille lors de l’offensive israélienne de 2014 contre Gaza.
Gantz est actuellement ministre israélien de la Défense et vice-Premier ministre.
Ziada réclame aux commandants israéliens des centaines de milliers de dollars de dommages et intérêts.
L’agression israélienne avait complètement détruit l’immeuble de trois étages dans le camp de réfugiés d’al-Bureij.
Elle avait tué la mère de Ziada, Muftia, 70 ans, ses frères Jamil, Yousif et Omar, sa belle-sœur Bayan et son neveu de 12 ans, Shaban, ainsi qu’une septième personne qui rendait visite à la famille.
Pas de place pour la justice
En janvier 2020, le tribunal de district de La Haye avait accordé l’immunité à Gantz et à Eshel.
La décision de ce mardi résultait de l’appel introduit par Ziada contre l’arrêt de la cour inférieure.
L’avocate des droits humains Liesbeth Zegveld a prétendu durant l’appel qu’il était injustifiable d’accorder l’immunité aux deux hauts commandants militaires israéliens.
Israël a complètement privé les Palestiniens de Gaza de tout accès à la justice en déclarant que l’enclave côtière était une « entité ennemie » et que ses résidents étaient des « sujets ennemis », a affirmé Zegveld.
De plus, la loi israélienne interdit à des citoyens « ennemis » de déposer plainte pour dommages en tous gens contre l’État devant les tribunaux israéliens.
Dans la décision de ce mardi, la cour d’appel hollandaise a rejeté ces arguments. Elle a accepté que lorsqu’on en vient à la responsabilité pénale pour des crimes de guerre, les officiels de l’État n’ont aucune garantie d’immunité.
Mais les juges ont estimé que lorsqu’on en vient à des questions civiles, les officiels des gouvernements étrangers ne peuvent être poursuivis devant les tribunaux de leurs pays pour leurs actes officiels, et ce, en raison du principe établi depuis longtemps de l’immunité étatique.
La décision accepte tous les précédents qui ont maintenu cette immunité tout en rejetant tous les arguments et précédents proposés par Ziada selon lesquels les personnes accusées de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité devraient également être confrontées à leur responsabilité civile.
Dans une affaire de 2012 citée par Ziada, le tribunal de district de La Haye avait autorisé une procédure civile pour des faits de torture imputables à 12 officiels libyens restés anonymes. Il l’avait fait en fonction d’une provision de la loi hollandaise qui, selon un résumé de l’affaire,
« permet aux tribunaux hollandais d’exercer leur jurisprudence dans des plaintes civiles quand le fait de faire valoir ces plaintes en dehors des Pays-Bas s’avère impossible, que ce soit juridiquement ou dans la pratique ».
Le plaignant – un médecin palestinien qui avait vécu en Libye – s’était vu accorder un jugement par défaut d’un million d’euros contre les officiels libyens.
Dans la décision de ce mardi, la cour d’appel hollandaise a rejeté ce précédent sans la moindre explication cohérente de la raison pour laquelle le même raisonnement – l’absence de tout autre forum permettant éventuellement à Ziada de demander réparation – ne s’appliquerait pas.
« Des gradés de très haut rang »
La décision dans l’affaire Ziada fait ressortir clairement l’urgence de l’enquête de la Cour pénale internationale sur les crimes de guerre en Cisjordanie occupée et dans la bande de Gaza.
La CPI est un tribunal de dernier recours, qui intervient quand les tribunaux nationaux sont incapables ou peu désireux d’agir, comme c’est manifestement le cas quand il s’agit des violations par Israël des droits palestiniens.
Devastating news today, my thoughts are with the @IsmailZiada family. The #ICC Prosecutor @KarimKhanQC must prioritise this case and move the investigation forward urgently
@ICC_PASP https://t.co/a4mD0srRx0
— Dr Susan Power (@Susanrosepower) December 7, 2021
« Le tribunal n’est pas aveugle aux souffrances [de Ziada]. Pas plus qu’il n’est aveugle aux évolutions des lois pénales concernant l’immunité vis-à-vis de la jurisprudence fonctionnelle »,
déclarent néanmoins les juges hollandais.
Ils reconnaissent une décision récente prise en Allemagne et qui affirme qu’un soldat afghan de rang subalterne a pu affronter un procès pénal pour crimes de guerre devant un tribunal allemand.
« Pour autant qu’il n’y ait aucune raison s’étendre ce développement à la législation civile », cela ne serait pas applicable, dans le cas de Ziada, « dans lequel du personnel militaire de très haut rang est impliqué »,
affirment les juges hollandais.
En d’autres termes, le tribunal hollandais dit que, même s’il avait décidé de retirer l’immunité aux officiels étrangers cités en justice pour crimes de guerre, il n’aurait toujours pas pu le faire dans le cas de Gantz et d’Eshel, précisément en raison de grade supérieur.
Cela semble aller à l’encontre de toute notion naturelle de justice, dans laquelle ce sont ceux qui ont les plus hautes responsabilités qui devraient être susceptibles d’avoir à rendre le plus de comptes.
En effet, la décision reconnaît qu’en raison des rangs élevés assumés par Gantz et Eshel,
« un jugement de leur conduite constituerait aussi, nécessairement, un jugement de la conduite de l’État d’Israël ».
Lors de l’audience en appel, en septembre, Ziada avait demandé aux juges de « ne pas faillir à la justice ».
Mais, pour lui, c’est exactement ce qu’ils ont fait.
« Mon procès ne tournait pas autour de moi ni autour de la famille Ziada », a-t-il dit mardi. « Je ne souhaite à personne sur cette terre de souffrir ce que nous avons souffert et souffrons toujours. »
« C’est votre cause autant que la mienne », a ajouté Ziada, s’adressant à ses supporters du monde entier. « Sans vous, je n’aurais pas été en mesure de faire ce que nous avons fait jusqu’à présent. »
Il a déclaré qu’il allait discuter des prochaines démarches avec ses avocats mais qu’ils « poursuivrait le combat ».
« Ma mère me donne la force de continuer », a ajouté Ziada.
« Elle est en moi et me transmet cet esprit de lutte. Nous ne permettrons pas à ces juges lâches de nous empêcher de lutter pour la Palestine. »
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Ali Abunimah a contribué aux recherches nécessaires à la rédaction de cet article.
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Publié le 7 décembre 2021 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine
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