Gaza : Une nouvelle barrière pour deux millions de personnes, emprisonnées depuis 15 ans

Ils font la fête, à l’intérieur du bunker. Une nouvelle clôture autour de la bande de Gaza a été inaugurée. Une clôture ? Une barrière terrifiante, plutôt !

Un soldat israélien près de la barrière dont la construction s’est terminée récemment le long de la frontière entre Israël et Gaza. Photo : Tsafrir Abayov, AP

Gideon Levy, 9 décembre 2021

Tous les hôtes de marque de ministère de la Défense ont été invités à « l’événement scellant l’achèvement du projet » – sans la présence de ce lépreux de Benjamin Netanyahou, qui détient des parts dans la création du projet et qui, naturellement, n’a pas été invité. Ils se sont tous fait l’accolade, de la façon bien connue des seuls vieux amis, et ils y sont allés de tapes amicales sur l’épaule du « père de la clôture », le général de brigade Eran Ofir, que l’on a affublé du titre poétique de « chef de la frontière et de l’administration de la zone de couture » – dans un pays qui n’a pas de frontière et qui n’a guère de zone de couture non plus. Bien sûr, des trempettes de légumes avec sauces et petits fours ont été servies en guise d’amuse-gueules. Le ministre de la Défense Benny Gantz a dit que la barrière était « récréative », comme s’il s’était agi d’une œuvre d’art, et tout le monde a été ravi et s’est mis à ronronner de fierté.

Après tout, comment est-il possible de ne pas se réjouir face au 3,5 milliards de shekels qui ont été galvaudés : En d’autres termes, profondément enfouis dans le sol et en échange desquels Israël a reçu 2 millions de mètres cubes de béton, 140 tonnes de fer et d’acier qui ne rouilleront jamais, y compris des senseurs qui frémiront à la moindre houe utilisée par un membre du Hamas, et une sécurité assurée à jamais pour les enfants qui vivent en Israël à proximité de la frontière de Gaza – ce qui, naturellement, n’a « pas de prix ».

Ils sont même venus de l’Amérique de Donald Trump, au moment de contempler la merveille – la fierté d’Israël. Chaque envoi de roquettes Qassam est passé par-là et a pu voir les trois usines à béton construites sur place, les tonnes de ciment et de fer versés dans le sol dans un pays qui paie ses handicapés 3 200 shekels par mois et leur demandant de se débrouiller avec cela pour continuer de subsister, parce qu’il n’a pas d’argent.

Alors que le monstre de fer et de béton était enterré dans le sol, pas un seul débat public n’a eu lieu à propos de cette entreprise absurde. Mais de quoi aurait-il fallu discuter ? De sécurité. Il est improbable qu’il y ait ne serait-ce qu’un millier d’Israéliens, sans compter les entrepreneurs et leurs familles, à avoir jamais entendu parler de quoi que ce soit, à ce sujet. Il est ridicule de demander un débat public sur le sujet, que ne comprend que le seul général de brigade Eran Ofir et qui comble d’extase des gens de la même engeance que Trump.

Il est excitant de voir désormais la clôture dans toute sa splendeur. Elle peut servir de nouveau monument national à la mémoire de cette santé mentale très passagère que le pays a perdue. Un convoi de limousines amènera les hôtes officiels de l’étranger – directement après la visite de Yad Vashem – pour contempler la merveille. Ci-gît la santé mentale d’Israël. Ci-gît sa tête, au plus profond du sable et c’est ici, finalement, qu’Israël a été proclamé nation aliénée. Un État sophistiqué sur le plan militaire, qui s’entoure de clôtures qui n’ont d’égales nulle part dans le monde, qui fait face à des milices allant nu-pied, lesquelles ne cesseront jamais de le harceler aussi longtemps qu’elles seront emprisonnées à l’intérieur de la bande de Gaza. Un pays qui investit des dizaines de milliards de shekels de plus dans les préparatifs d’une agression non moins absurde contre l’Iran, en sachant qu’il ne la mènera jamais à bien, a besoin d’un monument à la santé mentale – et sa place est sur la frontière avec la bande de Gaza.

Le ministre de la Défense Benny Gantz accompagné de responsables de la sécurité lors de l’inauguration de la barrière de Gaza. (Photo : Eliyahu Hershkovitz)

Au-delà des parois surpeuplées des grilles de fer, il n’est plus possible de voir quoi que ce soit de part et d’autre. Mais personne n’a envie de regarder de l’autre côté, en fait. C’est un immense camp de concentration pour les personnes de l’endroit.

Quand la clôture a été construite autour de Qalqilyah, en Cisjordanie, elle a rappelé aux gens la clôture d’un camp de concentration. Naturellement, toute personne qui osait faire la comparaison était immédiatement condamnée. Face à la clôture de Gaza, il n’est vraiment plus possible d’encore tromper qui que ce soit. C’est vraiment à cela que ressemble la clôture d’un ghetto, d’une prison, d’un camp de concentration. Il n’y a qu’en Israël qu’on célèbre la construction d’un camp de concentration. Seul le ciel au-dessus du ghetto a toujours l’air ouvert, et de façon limitée aussi, toutefois. On attend pour bientôt la prochaine invention diabolique de l’establishment de la défense : un dôme de fer, un immense plafond par-dessus le ciel de Gaza. Le chef de l’administration « de la frontière et de la zone de couture » s’y emploie déjà. Il va d’abord en terminer avec cette muraille d’intimidation qu’il fait construire le long de la frontière libanaise, après quoi il sera libre de passer au dôme également.

Deux millions de personnes sont emprisonnées en permanence depuis 15 ans – jamais auparavant il n’y a eu d’autre camp de concentration comme celui-là. La clôture qui a été inaugurée mardi est inamovible : Elle y est pour toujours. Gazaouis, vous ne serez jamais libérés. Après tout, vous ne jetez pas un milliard de dollars aux immondices.

La Ligne Bar-Lev (*) était un piège mortel, la barrière de séparation a été ouverte toute grande et arrachée pour un bout de temps, et on n’en a tiré aucune leçon. Mais les Israéliens font la fête. Il y a une abondance de sécurité dans le sud aussi – tant de sécurité qu’il ne reste rien du tout pour faire autre chose.

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(*) La ligne Bar-Lev était une chaîne de fortifications construites par Israël le long de la côte du canal de Suez après la conquête de la péninsule du Sinaï sur l’Égypte durant la guerre des Six Jours en 1967. (NDLR)

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Gideon Levy, est un chroniqueur et membre du comité de rédaction du quotidien Haaretz. Il a obtenu le prix Euro-Med Journalist en 2008, le prix Leipzig Freedom en 2001, le prix Israeli Journalists’ Union en 1997, et le prix de l’Association of Human Rights in Israel en 1996.

Il est l’auteur du livre The Punishment of Gaza, qui a été traduit en français : Gaza, articles pour Haaretz, 2006-2009, La Fabrique, 2009

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Publié le 9 décembre 2021 sur Haaretz
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine

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