Le cessez-le-feu reste hors d’atteinte alors que le génocide à Gaza entre dans son cinquième mois

La campagne militaire israélienne à Gaza s’est traduite par au moins 100 000 Palestiniens tués, blessés ou portés manquants et présumés morts – plus de 4 pour 100 d’une population de 2,3 millions d’habitants, ou près d’une personne sur 20 – alors que le génocide entre dans son cinquième mois.

 

31 janvier 2024. Des Palestiniens inspectent les décombres d’une école après une attaque israélienne contre le camp de réfugiés de Nuseirat, à Deir al-Balah, dans la partie centrale de Gaza. (Photo : Naaman Omar / APA images)

31 janvier 2024. Des Palestiniens inspectent les décombres d’une école après une attaque israélienne contre le camp de réfugiés de Nuseirat, à Deir al-Balah, dans la partie centrale de Gaza. (Photo : Naaman Omar / APA images)

 

Maureen Clare Murphy, 7 février 2024

Quelque 60 pour 100 des 27 585 morts palestiniens recensés par le ministère de la santé à Gaza depuis le 7 octobre étaient des femmes et des enfants. Des milliers d’autres sont restés ensevelis sous les décombres.

Au moins 17 000 garçons et filles de Gaza ne sont pas accompagnés ou sont séparés de leur famille, selon le fonds de l’ONU pour les enfants, l’UNICEF.

Khan Younis, dans le sud de Gaza, a supporté le plus gros des bombardements alors que, ces derniers jours, les organisations de la résistance palestinienne ont combattu les forces terrestres israéliennes dans une grande partie de Gaza, a rapporté le Bureau de l’ONU pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA).

Lundi, les forces israéliennes ont bombardé des blocs résidentiels et des gratte-ciel dans diverses zones de Khan Younis, provoquant ainsi d’importantes destructions.

De lourds combats se poursuivent à proximité du Complexe médical Nasser et de l’hôpital Al Amal à Khan Younis,

« compromettant la sécurité du personnel médical, des blessés et des malades, ainsi que celle de milliers de personnes déplacées intérieures »,

selon l’OCHA.

Le ministère palestinien de la santé à Gaza a déclaré mardi que les forces israéliennes avaient intensifié le siège du Complexe médical Nasser, où il y a une forte pénurie de fournitures médicales et de sutures et où l’on estime qu’il ne reste que quatre jours de carburant afin d’alimenter les générateurs de l’hôpital, a encore dit l’OCHA.

Entre-temps, les dépistages initiaux pratiqués sur de milliers de jeunes enfants indiquent que la malnutrition aiguë a considérablement augmenté à Gaza, selon l’OCHA.

« Cette augmentation rapide de la malnutrition aiguë suggère que, sans services préventifs et curatifs adéquats, la situation va empirer, a ajouté l’OCHA.

 

« Nous atteindrons Rafah »

Mardi, Antony Blinken, le secrétaire d’État américain, a rencontré des dirigeants qataris à Doha.

Blinken a déclaré que, lors de sa visite dans le pays, mercredi, il allait discuter avec les dirigeants israéliens de la réponse du Hamas à une proposition de cessez-le-feu, a rapporté Reuters.

Le secrétaire d’Etat a expliqué

« qu’il restait toujours beaucoup de travail à accomplir, mais nous continuons de croire qu’un accord est possible et qu’il est en effet essentiel ».

Toutefois, une source du gouvernement israélien a déclaré au diffuseur national du pays qu’il rejetterait la demande de cessez-le-feu permanent du Hamas et la fin du siège de Gaza dans le cadre de l’un ou l’autre échange de prisonniers.

Alors que les diplomates s’employaient à assurer un accord, Yoav Gallant, le ministre israélien de la défense, a déclaré aux troupes :

« Nous achèverons la mission à Khan Younis, et nous atteindrons Rafah aussi et éliminerons sur place chaque terroriste qui menacera de nous nuire. »

Trois éminentes organisations palestiniennes de défense des droits humains – Al-Haq, Al Mezan et le Centre palestinien pour les droits humains (CPDH) – ont averti qu’une expansion des opérations terrestres israéliennes à Rafah, dans l’extrême sud de Gaza, était imminente.

Une telle escalade

« exacerberait significativement les actes génocidaires en cours perpétrés par l’armée et les autorités israéliennes contre la population palestinienne de Gaza »,

ont mis en garde les organisations juridiques.

Environ 1,3 million de Palestiniens – plus de la moitié de la population de Gaza – sont actuellement concentrés à Rafah, après avoir été déplacés d’autres régions du territoire.

Au vu de la densité de population actuelle dans la zone, une attaque contre Rafah

« pourrait se traduire par des pertes en vies humaines palestiniennes sans précédent »,

ont déclaré les organisations des droits.

Elle pourrait également forcer des centaines de milliers de Palestiniens de Gaza à fuir vers l’Égypte,

« ce qui constituerait un crime de déportation forcée »,

ont ajouté les organisations des droits.

« Le scénario potentiel pourrait dépasser le nombre de Palestiniens expulsés de force par les milices sionistes et l’armée israélienne au cours de la Nakba de 1948 »,

ont-elles ajouté.

Un porte-parole de l’OCHA a émis le même genre d’avertissement mardi, en déclarant que,

« dans cette situation, l’intensification des hostilités à Rafah pourrait déboucher sur une perte de vies civiles à grande échelle et nous devons faire tout ce qui est possible et en notre pouvoir, pour éviter cela ».

Sinai for Human Rights (Le Sinaï pour les droits humains), une organisation ayant son siège en Égypte, a déclaré mardi qu’Israël avait bombardé la zone frontalière ces derniers jours.

 

L’UNRWA, l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens, et qui connaît actuellement d’énormes difficultés, a déclaré qu’un convoi transportant des vivres avait été touché lundi par des tirs de la marine de guerre israélienne alors qu’il attendait de pouvoir se rendre dans le nord de Gaza.

 

Des fonctionnaires de l’agence ont dit que personne n’avait été blessé.

La veille, un groupe de personnes qui attendaient des camions d’aide dans le sud de la ville de Gaza (située dans le nord du territoire) s’étaient retrouvées sous le feu. L’OCHA a déclaré que c’était la cinquième fois qu’on faisait état de tirs sur des personnes rassemblées en vue d’obtenir de l’aide humanitaire.

Les agences humanitaires disent qu’elles sont dans l’impossibilité d’atteindre le nord de Gaza, où le niveau de la faim est très proche d’une situation de famine.

La semaine dernière, Sigrid Kaag, la principale coordinatrice de l’ONU pour l’aide humanitaire et la reconstruction à Gaza, a déclaré aux diplomates que l’accès humanitaire restait sévèrement restreint.

Elle a demandé l’ouverture de plus de passages encore et la reprise des activités commerciales à Gaza, où quelque 300 000 civils restent dans le nord et ce, dans des conditions de plus en plus pénibles.

 

L’évacuation forcée

Des milliers de personnes ont quitté Khan Younis pour Rafah après qu’Israël a sorti des ordres d’évacuation et a intensifié son offensive militaire dans le secteur.

Israël a établi un checkpoint sur la route de l’évacuation après avoir fermé les routes latérales, forçant ainsi les gens à suivre la rue al-Bahr, à l’ouest du camp de réfugiés de Khan Younis.

Au checkpoint, les Palestiniens ont été forcés de passer un par un, tout en laissant leurs biens derrière eux, selon le Réseau euro-méditerranéen de contrôle des droits humains (REMDH ou Euro-Med).

Les femmes, les fillettes et les jeunes garçons ont pu passer, mais les hommes et les garçons de plus de 15 ans ont été forcés d’exhiber leurs cartes d’identité et de faire scanner leurs iris, a expliqué l’organisation des droits.

Certains des hommes et des garçons ont pu passer alors que d’autres ont été

« arrêtés, forcés de se dévêtir et gardés dans un espace ouvert alors que le temps était à la pluie »,

rapporte encore Euro-Med.

Les Palestiniens qui ont fui Khan Younis pour se rendre à Rafah via le corridor contrôlé par les Israéliens

« ont été forcés de scander des slogans anti-Hamas »,

rapporte +972 Magazine.

« Beaucoup se sont vu confisquer leurs biens et les hommes ont été séparés de leurs familles, dévêtus et soumis à des heures de violence physique et de privations. »

Ceux qui ont pu se rendre à Rafah

« ont été forcés de rester dans un espace ouvert, dans des conditions humanitaires épouvantables et en attendant de l’aide »,

a déclaré Euro-Med.

La plupart des gens nouvellement déplacés ne disposent quotidiennement que de 1,5 à 2 litres d’eau, et ce, pour boire, faire la cuisine et se laver, et il y a un supplément en cas de diarrhée chez les enfants, explique l’UNICEF.

Environ deux tiers du territoire de Gaza, lesquels hébergent près de 1,8 million de Palestiniens, ont été placés sous les ordonnances d’évacuation décrétées par Israël.

Quelque deux millions de personnes sont des déplacées internes, à Gaza, où il n’y a aucun endroit sûr ni aucune garantie de la part d’Israël qu’il leur sera permis de retourner dans leurs foyers, a ajouté Euro-Med.

Ajith Sunghay, le responsable du Bureau des droits de l’homme de l’ONU pour la Palestine, a déclaré, après une visite d’une semaine à Gaza, que les civils

« sont constamment en mouvement depuis des lieux dont on leur a dit qu’ils étaient sûrs, et ils vivent dans la peur en permanence ».

« Les gens font des tentes avec des sacs en plastique et du bois qu’ils peuvent trouver »,

a ajouté Sunghay.

« Ils vivent sur un repas par jour, et encore, quand ils ont de la chance. »

 

Des destructions largement répandues

La majorité de tous les bâtiments de Gaza ont probablement été endommagés ou détruits, selon une analyse de données satellitaires.

L’ONU estime que plus de 650 000 Palestiniens déplacés à Gaza

« n’auront pas de foyer où retourner et que bien plus encore seront incapables d’y retourner immédiatement, en raison du degré des dégâts infligés aux infrastructures environnantes, ainsi que du risque posé par les restes explosifs de la guerre ».

 

The New York Times rapportait mardi qu’il avait examiné des centaines de vidéos enregistrées par des soldats israéliens à Gaza et postées sur leurs comptes personnels des médias sociaux.

Certaines de ces prises de vue sont très quelconques. Mais d’autres vidéos montrent des soldats

« occupés à vandaliser des magasins locaux et des classes d’école, à faire des commentaires désobligeants sur les Palestiniens, à raser au bulldozer ce qui s’avère être des zones civiles, à revendiquer la construction de colonies israéliennes à Gaza ».

Le journal ajoutait qu’il avait

« retrouvé plus de 50 vidéos en provenance des unités du génie de l’armée israélienne en plein combat, montrant le recours aux bulldozers, aux excavatrices et aux explosifs pour détruire ce qui en fait était des maisons, des écoles et autres bâtiments civils ».

La semaine dernière, The New York Times a publié une analyse des démolitions contrôlées entreprises par les forces israéliennes, lesquelles ont

« détruit des centaines de bâtiments – dont des mosquées, des écoles et des sections entières de quartiers résidentiels »

de Gaza depuis novembre.

Le journal disait que la plupart des 33 sites de démolition qu’il avait identifiés se trouvaient loin en dehors de la zone approximative de « tampon » proposée par Israël le long de la frontière est et nord de Gaza. Il peut y avoir plus de sites de démolition contrôlés que ceux que le journal a pu confirmer grâce aux preuves visuelles disponibles, a encore expliqué The New York Times.

Le rapporteur spécial de l’ONU sur le droit au logement a imaginé le terme « domicide » pour décrire la destruction répandue ou systématique de logements, comme c’est le cas à Gaza.

Le ministère palestinien de la culture dit que les bombardements israéliens ont détruit plus de 200 immeubles d’une importance culturelle ou historique à Gaza.

« Parmi les dégâts figurait aussi un ancien cimetière romain et le cimetière de la guerre du Commonwealth, où plus de 3 000 soldats du Royaume-Uni et du Commonwealth ont été enterrés après avoir perdu la vie au cours de batailles des Première et Seconde Guerres mondiales,

a écrit The Guardian.

L’organisation culturelle de l’ONU, l’UNESCO,

« a mis en garde en disant que d’autres sites encore risquaient d’être endommagés, dont l’un des plus anciens monastères chrétiens de la région, le complexe Saint-Hilarion, dont on dit qu’il est toujours intact bien que se trouvant dans une zone de combats intenses »,

a ajouté le journal.

 

Meurtre de l’une des directrices de programme du Croissant-Rouge

Les bâtiments médicaux font partie des infrastructures civiles détruites par Israël à Gaza.

 

La Société du Croissant-Rouge de Palestine (SCRP) a publié des prises de vue de son quartier général très endommagé à Jabaliya, dans la partie nord de Gaza. La vidéo montre des ambulances réduites en pièces sur la route et les murs du bâtiment écroulés et truffés d’impacts.

Le Croissant-Rouge a déclaré que Hedaya Hamad, l’une de ses directrices de programme, avait été abattue et tuée par les forces israéliennes au cours du siège de son quartier général et de l’hôpital Al-Amal adjacent, à Khan Younis.

Le Croissant-Rouge a ajouté que Hedaya Hamad avait été tuée alors qu’elle tentait de secourir des personnes déplacées qui s’abritaient dans le bâtiment après s’être fait tirer dessus par les soldats.

« Hedaya a incarné le sens du sacrifice, de l’humanité et du volontarisme »

jusqu’à son dernier souffle, a déclaré le Croissant-Rouge à propos de leur collègue assassinée.

 

Les forces israéliennes ont convoqué, puis fait disparaître de force le Dr Haider al-Qaddura, un membre du comité exécutif du Croissant-Rouge et directeur général de l’hôpital Al-Amal, ainsi que le directeur administratif de l’hôpital, Maher Atallah.

Le Croissant-Rouge a dit que la disparition des deux hommes avait eu lieu après l’approbation par Israël du passage en toute sécurité des personnes déplacées qui s’étaient réfugiées à l’hôpital et dans son quartier général « à l’issue d’un siège de deux semaines ».

Des centaines de familles ont quitté l’hôpital et les installations du Croissant-Rouge, a déclaré lundi l’organisation humanitaire. Quarante personnes déplacées plus âgées et environ 80 patients et blessés sont restés, en même temps qu’une centaine de membres du personnel administratif ou médical.

 

Entre-temps, la Croissant-Rouge a déclaré mardi qu’après plus d’une semaine, on ignorait toujours le sort d’une fillette de six ans et celui de deux paramédicaux qui avaient tenté de se porter à son secours après que sa famille s’était retrouvée sous les tirs israéliens.

Le mois dernier, la Cour internationale de justice (CIJ) a sorti une décision provisoire disant qu’Israël perpétrait vraisemblablement un génocide à Gaza et elle lui a ordonné de « prendre toutes les mesures en son pouvoir » pour s’abstenir de violer les articles de la Convention sur le génocide, dont il est un État partie.

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Maureen Clare Murphy est rédactrice en chef de The Electronic Intifada.

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Publié le 7 février 2024  sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine


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