L’agitation rebelle en Cisjordanie, un signe que les temps changent

Cisjordanie : Au moment où les Palestiniennes commémorent le 74e anniversaire de leur déportation forcée, la Nakba de 1947-49, il est clair qu’un esprit nouveau de résistance apparaît en Palestine, après plusieurs années de stagnation.

L’esprit de la résistance palestinienne ressurgit, même si l’armée israélienne tente de réprimer la dissidence croissante dans toute la Cisjordanie occupée. (Photo : Mamoun Wazwaz / APA images)

Ahmed Abu Artema (*), 27 mai 2022

Au cours des deux derniers mois, les attaques politiquement motivées des Palestiniens contre les Israéliens ont augmenté, se traduisant par la mort de 18 personnes. C’est un nombre sans précédent, depuis la fin de la Seconde Intifada en 2005.

Le 7 avril, la scène qui a eu lieu rue Dizengoff à Tel-Aviv a constitué un défi extrême, pour l’establishment sécuritaire israélien, au point que l’ancien ministre de la Défense, Shaul Mofaz, a même déclaré qu’Israël avait perdu la bataille autour de la « sensibilisation » du public.

Ce soir-là, un jeune homme identifié comme Raad Fathi Hazem, de Jénine, s’était infiltré dans Tel-Aviv et s’était procuré une arme. Il avait attaqué un bar, tuant deux Israéliens. Un troisième avait succombé un peu plus tard à ses blessures.

L’opération avait provoqué un chaos complet dans la ville. Un bon millier d’agents de la sécurité avaient été mobilisés, dont des unités d’« élite », dans le même temps qu’une centaine de barrages routiers avaient étaient établis alors que des centaines d’Israéliens s’encouraient dans les rues pour échapper à un combattant palestinien. La poursuite avait duré plusieurs heures pendant la nuit avant que des soldats n’abattent le tireur.

Ensuite, le 5 mai, deux jeunes, Asaad al-Rifai, 19 ans, et Subhi Sbeihat, 20 ans, ont commis une nouvelle agression à Elad, près de Tel-Aviv, tuant trois Israéliens. Les deux jeunes vivaient à Romana, un village du gouvernorat de Jénine.

Un refus de se rendre

Dès que Fathi Hazem a appris la nouvelle de la mort de son fils, il a pris place devant la foule des personnes venues offrir leurs condoléances. Il a tenu des propos dans lesquels il était question de patience et de révolution et a déclaré qu’il était fier de son fils. Après quoi, il a demandé à Dieu de lui permettre d’être parmi les premiers à aller prier à la mosquée al-Aqsa après la libération.

Le père de Raad Fathi Hazem est un ancien agent des services de sécurité de l’Autorité palestinienne. Alors que l’homme avait été formé pour travailler en coordination avec l’armée israélienne, ses propos constituaient une indication de la façon dont la culture de la résistance s’est répandue parmi les Palestinien.nes. Il ne s’agit pas d’un phénomène exclusif de l’une ou l’autre faction spécifique.

Les forces de l’occupation israélienne se sont ruées vers le camp de Jénine pour l’arrêter, conformément à une longue pratique de punitions collectives ciblant les familles des perpétrateurs de faits de ce genre, soit en arrêtant des proches, soit en démolissant leur maison, soit les deux. Souvent cela se passe sans que les soldats rencontrent la moindre résistance.

Toutefois, il s’est passé quelque chose de différent, cette fois.

Le père de Raad Fathi Hazem a fait savoir qu’il ne se rendrait pas. L’armée israélienne n’a pu l’arrêter en raison de la présence de combattants palestiniens armés dans le camp.

Il est toujours libre actuellement, même si un autre de ses fils, Hamem, a été arrêté mardi.

C’est une situation anormale, en Cisjordanie où, normalement, la coordination sécuritaire de l’AP avec Israël permet aux troupes israéliennes de s’assurer un accès libre à leurs cibles.

Ces dernières semaines, l’armée israélienne a tenté d’envahir le camp de Jénine à plusieurs reprises. Lors d’un de ces raids, elle a tué la correspondante d’Al Jazeera, Shireen A bu Akleh, ce qui a déclenché un tollé général.

Le vendredi qui a suivi, les soldats ont fait une nouvelle tentative mais, cette fois, la résistance palestinienne et parvenue à tuer un officier vétéran israélien.

Une situation sécuritaire changeante

Les nombreuses tentatives israéliennes en vue d’envahir le camp de réfugiés de Jénine sont une indication de l’ampleur de l’humiliation d’Israël face à la résistance croissante des Palestiniens en Cisjordanie, ainsi que de son inquiétude croissante à propos de la situation sécuritaire en plein changement.

Ces vingt dernières années, Israël a consenti de grands efforts pour démanteler la résistance en Cisjordanie.

En 2002, à cette fin, Israël a mené l’opération « Bouclier défensif ».

Durant cette opération, Israël a tué des centaines de combattants de la résistance, en a arrêté des milliers et a détruit l’infrastructure militaire des factions palestiniennes en Cisjordanie, débarrassant du même coup la scène de ses combattants et de leurs armes.

Il a même érigé un mur de séparation pour empêcher la résistance de mener des attaques à l’intérieur des territoires occupés en 1948 – et de certaines colonies installées après 1967 à l’intérieur de la Cisjordanie. Les Palestiniens reconnaissent que, bien davantage que de constituer une mesure sécuritaire, le mur a contribué à intensifier le vol de terres par les Israéliens.

Mais l’arme israélienne n’a pas été la seule actrice à tenter tant et plus d’éliminer la résistance en Cisjordanie. En fait, la tentative d’Israël a eu lieu après la pleine coopération du gouvernement américain et de l’Autorité palestinienne, particulièrement après la mort de l’ancien président Yasser Arafat et l’ascension politique de l’actuel dirigeant de l’AP, Mahmoud Abbas, en 2005.

À de multiples reprises, Abbas a déclaré qu’il rejetait la lutte armée contre Israël.

En 2005, quand Abbas a repris la présidence de l’Autorité palestinienne, les États-Unis ont formé à Ramallah une équipe de sécurité dirigée par le général américain Keith Dayton. Son but était de « réformer » les services de sécurité palestiniens.

Le plan de Dayton avait reçu le soutien généreux de l’administration et du Congrès américains. Dans un discours adressé en 2009 à l’Institut de Washington pour la politique au Moyen-Orient, Dayton avait résumé sa mission comme étant la création d’une force armée, non pas dans le but d’affronter l’occupation, mais de faire « des hommes nouveaux (…) qui contribueront à faire naître un nouvel État ».

La chose, bien sûr, dépendait totalement des progrès réalisés sur la voie d’un État. Au lieu de cela, les services de sécurité de l’Autorité palestinienne, entraînés par Dayton, arrêtaient – et parfois même tuaient – les personnes soupçonnées de se livrer à des actes de résistance.

En d’autres termes, ils contribuaient au contrôle par Israël de la Cisjordanie occupée.

De son côté, Israël, a uniquement intensifié ses campagnes d’arrestation contre tout militant ou dirigeant soupçonné de la moindre capacité à inspirer les Palestiniens en Cisjordanie.

La collaboration

Ces mesures sécuritaires d’Israël, de l’AP et du général Dayton ont causé un déclin remarquable dans les activités de résistance contre l’occupation israélienne.

Par contre, elles n’ont pas provoqué de réduction du même ordre dans les violations par Israël des lois internationales, puisqu’elles ont consolidé son occupation et ses agressions contre la dignité palestinienne.

L’établissement de colonies s’est poursuivi, les check-points ont proliféré, les opérations militaires israéliennes ont continué sans entrave et la Cisjordanie est devenue un archipel d’enclaves séparées, tels des bantoustans – sans grande capacité de développement et sans la moindre chance de pouvoir un jour constituer un État.

Nombre d’années ont passé sans résistance vraiment soutenue de la part de la Cisjordanie.

Mais, après vingt ans de ciblage systématique intensif, il s’avère désormais que l’esprit de résistance du peuple palestinien s’accroît de nouveau.

Il convient de remarquer que la plupart des perpétrateurs dans la reprise des attaques de résistance sont de jeunes Palestiniens nés après la signature des accords d’Oslo, qu’Israël avait signés afin de mettre un terme à la Première Intifada et qui, espérait-il, allaient proposer des incitatifs économiques en vue de pacifier les territoires occupés pour l’avenir.

Du fait d’avoir grandi dans l’ombre d’Oslo et en supportant sa principale conséquence, c’est-à-dire une force sécuritaire de l’AP qui réprime son propre peuple, ces jeunes n’ont vu aucun bénéfice dans la chose : pas de liberté, pas de progrès en direction de la création d’un État, uniquement davantage de colonies encore et davantage de sécurité pour l’armée israélienne. On ne sera dès lors pas surpris de voir ces jeunes recourir à nouveau à la résistance.

L’agresseur de la rue Dizengoff, Raad Fathi Hazem, par exemple, venait du camp de réfugiés de Jénine. Les camps de réfugiés occupent une place spéciale dans la conscience palestinienne, une place remplie de misère, de pauvreté et d’un rappel constant de la dépossession et de l’humiliation de la Nakba.

Les Palestiniens de ces camps de réfugiés sont bien conscients, évidemment, que les Israéliens vivent dans des villes qui ont été construites sur les décombres de villes et villages palestiniens qu’Israël a détruits au moment de sa création. La richesse et le confort israéliens se sont constitués à leurs dépens. Par conséquent, les Palestiniens perçoivent la résistance comme un acte d’autodéfense contre les gens qui leur ont dérobé leurs foyers et leurs terres.

Depuis 74 ans, des millions de Palestiniens vivent dans des dizaines de camps de réfugiés disséminés en Cisjordanie, dans la bande de Gaza, en Jordanie, en Syrie et au Liban.

Le camp de Jénine présente une autre particularité.

Le camp a été presque complètement détruit au cours de l’opération « Bouclier défensif ». Des centaines de maisons du camp ont été démolies ou endommagées en dehors de toute possibilité de réparation et l’armée israélienne a tué sur les lieux mêmes des dizaines de combattants de la résistance.

Défier le colonialisme

Cette résurgence de l’esprit de résistance s’est exprimée non seulement dans la vague récente des attentats palestiniens et dans l’incapacité israélienne d’envahir le camp de réfugiés de Jénine. Elle s’est également exprimée dans les confrontations et actes de contestation en Cisjordanie, à Jérusalem occupée et à l’intérieur d’Israël même.

Le 13 mai, des millions de gens du monde entier ont assisté en direct à la façon dont les forces d’occupation israéliennes ont brutalement agressé l’enterrement de Shireen Abu Akleh, la journaliste abattue par les forces israéliennes.

Cette agression contre des gens paisibles, en deuil de surcroît, a déclenché un tollé dans le monde entier.

Les Palestiniens comprennent très bien que le but de l’occupation d’oblitérer leur existence à Jérusalem sous-tendait cette tentative en vue de réprimer les funérailles.

Israël s’emploie depuis des décennies à vouloir judaïser la capitale palestinienne et il n’entend pas autoriser la moindre expression d’une quelconque souveraineté palestinienne dans la ville.

Mais comme l’ont montré les événements récents, dont les funérailles de Shireen Abu Akleh, ce projet a échoué. Les Palestiniens continuent de se rassembler, que ce soit pour des funérailles ou des mariages, des protestations ou des remises de diplômes. Et ils continuent d’agiter le drapeau palestinien et de faire étalage fièrement de leur identité palestinienne.

La bataille autour des drapeaux est un important indicateur du nouvel esprit du peuple palestinien. Dans un clip vidéo, on peut voir un policier israélien se précipiter pour empêcher un colon d’agiter un drapeau israélien devant la mosquée al-Aqsa.

Une autre prise de vue montre deux femmes colons à Jérusalem occupée qui retirent précipitamment le drapeau israélien de leur voiture afin d’éviter d’irriter plus encore des manifestants palestiniens qui passent près d’elles.

Un troisième clip montre une policière israélienne en train d’arrêter une jeune Palestinienne uniquement parce que les couleurs de son foulard sont les mêmes que celles du drapeau palestinien.

Dans une autre scène encore, au cours de la Journée de la Nakba, des manifestants palestiniens ont hissé des dizaines de drapeaux palestiniens à l’intérieur de l’Université de Tel-Aviv, ce qui amène la police israélienne à exercer sa répression en supprimant la veillée.

Hisser le drapeau, surtout dans des villes comme Tel-Aviv et Jérusalem, constitue une affirmation de l’existence des Palestiniens. Cela alimente également l’esprit des Palestiniens et cela renforce leur moral.

Et voici la leçon clé : La résurgence de l’esprit de résistance et de contestation montre une chose : C’est l’identité palestinienne même qui constitue un défi existentiel au colonialisme d’Israël.

Des décennies d’oppression, de violence et de persécution n’ont eu aucun impact sur la détermination des Palestiniens à vouloir garantir leur liberté et leurs droits.

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(*) Ahmed Abu Artema est un écrivain et activiste palestinien, réfugié de Ramle.

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Publié le 27 mai 2022 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal, Charleroi pour la Palestine
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Lisez également : Raad est retourné à Jaffa et il est mort

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